« Philo sans fumée »
de janvier 2007
Bonjour à tous!
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Bonne année! : Avec le nouvel an, Philo5 a maintenant 7 ans
PLACE AUX
SCIENCES!
Un nouveau
philosophe s'ajoute : Ernst Mach
Textes originaux de Einstein, Heisenberg et Gödel
2. SUJETS DU MOIS : 1. MAISON-MOI et 2. SE SORTIR DU CATHOLICISME
3. PHILOSOPHE DU MOIS : VOLTAIRE
4. LES QUESTIONS PHILOSOPHIQUES : QUESTIONS TYPIQUES : « Questions portant sur la légitimité... »
5. QUELQUES LIVRES ET FILMS INSPIRANTS :
6. RIRE ET S'ATTENDRIR : « Débat de fond » et « Refus de la servitude volontaire » avec Calvin et Hobbes.
7. PENSÉES : Alberto Villoldo
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Comme chaque année, je vous
envoie cordialement mes
joyeux sortilèges de saison, mais, avec 2007 qui commence, Philo5 a maintenant 7 ans :
l'age de raison disait-on dans le temps. La numérologie a beau nous laisser
indifférents, on a tous un peu de Pythagore dans
les veines. Le chiffre
Ernst Mach & a laissé son nom dans le langage scientifique et populaire pour désigner la vitesse du son : Mach 1, Mach 2 etc. Mais il a apporté à la philosophie un point de vue original qui n'a pas manqué d'influencer les grands scientifiques qui ont suivi. Il s'est attardé à démontrer l'économie de la pensée. Le dessin qu'il a produit (de sa propre main) du point de vue de l'individu est particulièrement éloquent. En fait, il nous rappelle que, aussi vastes que soient les ambitions scientifiques, elles n'en consistent pas moins à réduire le monde à l'échelle humaine. Le monde est tout autre chose : irréductible.
En
plus de celui
de Mach, je vous offre ce mois-ci les textes fondateurs de la pensée
philosopĥique de trois philosophes :
On se méprend le plus souvent sur
la science. D'aucuns croient qu'elle est le roc solide de
C'est bien à cause de notre
esprit humain qui, par essence, transforme tout en religion que nous en
arrivons à peu près toujours à dogmatiser la vie qui, essentiellement dynamique,
passe inlassablement d'une certitude provisoire à la recherche de nouveaux
horizons. La science ne connaît pas le bienheureux état de sommeil de la foi
religieuse si reposante. Pour Descartes, la
foi est la terre promise, la science la voie qui doit y mener. Einstein, Gödel
et Heisenberg ont découvert que la science relève davantage de la voie d'Héraclite que
de celle de Parménide.
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Science et religion sont à l'honneur ce mois-ci. Je vous
invite donc à me partager votre réflexion sur 2 sujets :
1. MAISON-MOI
Comment voyez-vous le monde? ... Je vois le monde un peu comme on voit
l'incroyable...
Peut-on véritablement en sortir?
Comment vous en sortez-vous?
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Voltaire peut être considéré comme le premier journaliste. L'idée choc qui me revient chaque fois que je pense à lui est la suivante : Même si vous ne proférez que des bêtises, je me battrai jusqu'à la mort pour défendre votre droit de le faire [1]. En fait, il pensait que l'obscurantisme est un problème beaucoup plus grave que l'imbécillité et que les idées vertueuses sauraient bien trouver toutes seules leur chemin vers la lumière. Vaillant pionnier de la liberté de penser, il travailla toute sa vie à combattre le dogmatisme et les superstitions de l'Église. Et pourtant, il déclarait volontiers que si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer. Je pense souvent que l'intérêt n'est pas de dénoncer ses contradictions, mais de chercher comment on arrive à s'en arranger. Ce mois-ci, je vous invite à l'exercice philosophique suivant : Si vous deviez, comme Voltaire, affirmer de telles antinomies, comment feriez-vous pour les concilier? Sauriez-vous détecter quelles sont les contradictions qui vous animent? Mais avant, je vous invite à lire un peu de Voltaire dans ces quelques lignes essentielles : Dieu, tolérance et liberté &.
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Questions portant sur la légitimité...
Nous
terminons l'inventaire des questions philosophiques possibles ce mois-ci par ce
dernier type de formulation.
Les types de questions sur Dieu
(Je répète que ceci est un exercice philosophique et non pas une étude théologique sur la foi en Dieu. Si j'ai choisi ce thème, c'est qu'il est universel et peut par la suite se prêter à n'importe quel autre sujet. Dieu n'est ici qu'une variable générale commode. J'espère que ceux qui ont la foi sensible sauront faire abstraction de leurs connotations personnelles pour profiter de la richesse de l'exemple.)
Faut-il tuer le Dieu de son enfance?
Doit-on devenir son propre Dieu?
Qu'y a-t-il à gagner (ou à perdre) à supprimer l'idée de Dieu?
Peut-on vivre sans Dieu?
Qu'est-ce qui justifie que
l'on y croit?
Cet
exercice nous invite à creuser plus profondément dans nos habitudes de croyance
pour trouver nos motivations fondamentales. De manière analogue, on pourrait se
demander : Faut-il tuer le mythe du
Père Noël, ou celui de Superman? Et si l'humain est un être de croyance et
d'idéaux, qui l'amènent à légitimer tout ce qu'il fait, par quoi cette foi et
nos idéaux seront-ils remplacés lorsqu'on aura délogé ceux qui ne nous
conviennent plus? Si nous sommes d'anciens catholiques, avons-nous
véritablement renoncé aux dogmes de l'Église, ou ne les avons-nous pas tout simplement
réaménagés pour répondre à notre actuel besoin de transcendance, aussi modeste
soit-il?
Chaque
philosophe apporte une réponse originale en nous présentant une manière d'idéal
auquel on peut se consacrer. Même les plus matérialistes ou pragmatiques se
sont enflammés pour des idéaux fabuleux. Marx en est un bel
exemple. Ça nous a pris 75 ans de communisme soviétique avant de comprendre
qu'il n'avait semé en nous que les germes d'une nouvelle religion, un nouvel
opium du peuple qui n'a cependant pas eu la pérennité de la chrétienté. On
commence à peine à comprendre avec Bruno Ballardini (voir
plus bas) comment
on peut concevoir l'Église et ses mécanismes séculaires avec une vision économique
moderne du marketing.
Et
n'allez pas me dire que vous n'avez pas d'idéal. Même le suicidaire poursuit un
but qu'il croit plus élevé? Quel est le vôtre? Celui de ne pas avoir de
religion??? Mais si toute religion disparaissait, quel serait votre raison d'être?
N'est-on pas dupe de soi-même quand on prétend vouloir abolir ce qui fonde
notre principal élément de combat?
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Film de Jean-Daniel Verhaeghe – Scénario original de Jean-Claude Carrière
Bakti productions – France 3 © 1991
Trois conceptions du monde s'affrontent : un dominicain de terrain qui
vit chez les Indiens d'Amérique du Sud, ardent défenseur de ces âmes à
christianiser, un philosophe aristotélicien qui défend l'idée qu'il est dans la
nature que certains hommes naissent esclaves sans âme et un théologien
catholique qui les interroge pour savoir si ces « sauvages » ont
véritablement une âme. On a même fait venir une famille autochtone pour les
soumettre à certaines expériences qui vont aider à déterminer leur nature.
Sont-ils de simples animaux ou sont-ils dotés de quelque spiritualité qui en
ferait des âmes à sauver? L'action se déroule comme une pièce de théâtre qui
met en scène un tribunal où chacun y va de ses arguments pour tenter
d'influencer le juge épiscopal. Il ne s'agit pas ici de juger l'Église à qui on
a donné le beau rôle contre un philosophe insensible aux cruautés rapportées.
Il s'agit de comprendre comment celle–ci a pu gérer une crise de conscience.
La controverse est enflammée par le dominicain est en état de choc, outragé
par le comportement sanguinaire des Espagnols qui se livrent à de troublants
massacres. Ce débat n'a rien à voir avec la lutte des classes que Marx mettra
en lumière 300 ans plus tard. On ne remet en cause ni l'infériorité des Indiens
ni la foi en Dieu. Il s'agit de déterminer si ces humanoïdes ont un esprit qui
les distingue de l'animal. La barrière de la langue ne les aide pas, mais les
rituels religieux de ces hommes-animaux plaide en leur faveur.
Ce film est d'autant plus intéressant qu'on pourrait actualiser le débat en faisant des analogies avec les animaux que l'on mange. Ont-ils une âme? Est-il éthique de produire la viande que nous mangeons en les soumettant à des traitements aussi inhumains? Un animal devrait-il avoir des droits? Pourquoi existe-t-il différentes classes d'animaux? Les chiens, les chevaux et les chats contre les poules, les vaches et les moutons? Un débat à venir prochainement sur Philo5 : en quoi consiste l'âme? Faculté de transcendance ou sensibilité affective ?
Jésus lave plus blanc, ou
comment l'Église a inventé le marketing, Bruno Ballardini
L'auteur est un homme mûr de 53 ans, expert en marketing, qui connaît admirablement
bien le catholicisme. Les rouages symboliques des sacrements n'ont pas de
secret pour lui. Son livre nous présente une thèse qui plairait sûrement à Guy Debord.
L'église catholique y est dépeinte comme une société où le spectacle de la mise
en scène d'une hiérarchie des valeurs se vend à prix fort ; on le paye de
son âme. La messe est d'ailleurs un moyen de persuasion beaucoup plus
perfectionné que les publicités indifférentes à notre inertie puisqu'elles
impliquent le fidèle-client au moyen d'une gestuelle à laquelle il est tenu de
participer. Le salut et tous les accessoires de la divinité (lieux du culte,
fétiches, reliques etc.) constituent la marchandise dont elle s'est appropriée
le monopole. Ce fonds de commerce permet aux experts en marketing que sont le
pape, les évêques et les prêtres de s'octroyer une place enviable sur terre...
dans la hiérarchie céleste. On y explique de manière lumineuse la célébration
de la messe, la transsubstantiation et tous les mécanismes symboliques des
mystères de l'Église dans un jargon de marketing qui nous est aujourd'hui
familier. Produit, caractéristiques,
conformité, durée, réparabilité, style, service après vente, courtoisie,
crédibilité, fiabilité promptitude et communication (publicité), chaque
concept trouve son équivalent dans une église qui avait tout inventé ça depuis
longtemps.
Mais si l'on regarde par l'autre bout de la lorgnette, ne pourrait-on pas
dire aussi que le marketing est devenu notre religion actuelle? L'esprit humain
est-il fondamentalement marchand ou bien fondamentalement religieux? D'ailleurs
quelle différence? Si le sentiment religieux de l'homme peut se réduire à un
comportement marchand, comme l'église catholique semble le faire d'après
l'auteur, ne pourrait-il pas aussi prendre son expansion dans une multitude
d'aspects? Ou bien doit-on penser que tout n'est que marketing et
marchandisation?
Quoi qu'il en soit, notre Sainte Mère aurait donc enfanté notre religion
actuelle : le marketing. On pense que le marketing est une science
nouvelle mais ce livre nous apprend que l'Église avait tout inventé et
perfectionné bien avant l'heure.
Un film de Denise Filiatrault © 2006
De même que la musique du film est d'une qualité extraordinaire qui contraste avec les modestes moyens techniques de l'époque, le jugement philosophique que Filiatrault porte sur l'histoire d'Alys Robi se sert des instruments en vogue actuellement (libéralisme et féminisme triomphant) pour juger un temps qui vivait selon d'autres valeurs. Humoriste burlesque respectée, l'auteurE reste ainsi fidèle à elle-même en nous présentant la caricature d'une époque pourtant beaucoup plus riche et complexe que l'image qui lui en est restée. Mais, à tout seigneur..., il faut lui reconnaître des décors soignés et une certaine recherche d'authenticité. C'est aussi une caricature somptueuse un spectacle burlesque raffiné et sensible avec des personnages masculins pas méchants pour une cenne. Elle a même inséré quelques bouts de vieux films de l'ancien temps. C'est une réalisation cinématographique très intéressante pour qui a connu l'époque : on voit comment naît une légende et comment elle se colore de l'esprit du temps qui la raconte.
Ce film raconte
l'histoire d'Alys Robi mais c'est aussi, la critique sociale d'une époque que
la cinéaste n'a pas encore digérée. L'Église catholique en prend pour son rhume.
Comme le fonds de commerce de la cinéaste est aussi le « spectacle »,
elle se garde bien de mettre en cause l'ardent désir d'attirer l'attention des
foules. La marchandisation
de l'être ne la préoccupe pas le moins du monde au contraire. On sent un
puissant réquisitoire invitant les femmes à prendre leur place et à pousser au
maximum le développement de leurs ambitions personnelles. Alys Robi, emploie sa
féminitude [2] à gagner tous les galons de la
hiérarchie du star système ; elle s'installe ensuite au sommet pour
profiter de l'argent, la liberté en amour et la gloire que procure cette quête
de réalisation personnelle.
Mais dans cette
recherche du graal féminin, en plus de l'énorme pression artistique qu'elle
s'est mise sur le dos, Alys s'est livrée à tous les excès sans considération
pour sa santé personnelle : fumée, alcool, pilules etc. Elle fut alors
sujette à des excès de colère (toujours justifiés dans les situations mises en
scène de Filiatrault). Ses nerfs ont craqué. Elle devint violente. Elle fut
internée. Elle a souffert. Beaucoup. Le Québec de cette époque refusait de se
plier aux légitimes ambitions des femmes émancipées de la nôtre. Si la cinéaste
avait aussi chaussé nos lunettes diététiques actuelles, elle aurait peut-être
suggéré à Alys de mieux s'alimenter et de faire un peu d'exercice.
Elle dénonce la
tyrannie de l'Église sur les consciences, les techniques médicales brutales,
mais elle encense le désir de gloire et de richesse à tout prix au mépris de
toute autre considération éthique. Elle a toutefois le mérite d'être sans
ambiguïté. Mais Alys Robi était-elle le monstre qu'elle décrit? Était-elle
incapable d'aucune autre générosité qu'un sentimentalisme impuissant envers son
frère malade? Était-elle si égoïste et d'une telle infidélité en amour, mettant
ses attraits sexuels au seul profit de sa carrière? Je me demande où est la
gloire d'un tel personnage? En voulant mettre Alys en scène avec ses propres valeurs,
Filiatrault rate sa cible. Comment admirer un tel personnage ainsi caricaturé?
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[Nous ne vivons plus désormais en démocratie, nous vivons en
médiacratie. Les médias créent et perpétuent les tendances culturelles
auxquelles nous avons tous souscrit.]
“We don't live in a democracy any longer, we live in a
mediacratie. And our media is creating and perpetuating our cultural trends that
we've all subscribed to.”
Alberto Villoldo, Film 2012 The Odyssey © 2006 (Citation No. 335)
Dieu est une sphère intelligible de laquelle le centre est partout
et la circonférence nulle part.
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Quelle source alimente votre esprit ?
[1] Cette idée, reprise par Brassens (écoutez l'extrait ),
n'est pas exactement celle de Voltaire. En voici l'origine : C'est une
historienne anglaise (me dit Alain Thomas) qui écrivit sur l'attitude
de Voltaire face à Helvétius :
" On
the Mind [« De
l'Esprit », livre d'Helvétius] became not the success
of the season, but one of the most famous books of the century. The men who had
hated it, and had not particularly loved Helvetius, flocked round him now.
Voltaire forgave him all injuries, intentional or unintentional. " I disapprove of what you say,
but I will defend to the death your right to say it, " WAS HIS
ATTITUDE NOW. "
« De
l'esprit
[livre
d'Helvétius] est devenu, non pas un succès de saison, mais un des livres les
plus célèbre du siècle. L'homme qui l'a détesté, et qui n'a pas non plus
particulièrement aimé Helvétius, se range maintenant résolument à ses côtés.
Voltaire lui a pardonné toutes ses injures, qu'elles aient été intentionnelles
ou non. « Je désapprouve ce que
vous dites, mais je défendrai jusqu'à la mort votre droit de le dire »
ÉTAIT MAINTENANT SON ATTITUDE. »
[2] La notion de « féminitude »
a été proposée par le sociologue Malek Chebel dans son livre La femme Marocaine tire son épingle du jeu.
Vous utilisez dans votre livre la notion "féminitude"
qui est à distinguer de celle de féminité ou de femme. Dans quel sens doit-on
comprendre ce terme?
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Il existe trois états de femme possible. Le terme
"femme" renvoie avant tout à une réalité biologique et anatomique, la
"féminité" correspond à l'accentuation des caractères dans un rapport
de différenciation par rapport à l'homme, aussi bien au plan psychologique que
du comportement. La "féminitude" enfin, c'est le passage du
stade de la femelle-femme à celui de l'individu-femme, de l'être pensant et
agissant. Autrement dit, il s'agit d'utiliser les apports de la femme et de la féminitude
dans une visée politique. La féminitude c'est l'usage délibéré et
conscient, et tout à fait contrôlé de la femme et de sa féminité. La féminitude
c'est l'usage transcendé et maîtrisé que fait la femme de sa féminité et de son
statut.
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(trouvé
ici : http://www.maroc-hebdo.press.ma/MHinternet/Archives277/html_277/Liste277.html)