par François Brooks
Sans doute un effet de ma propre démarche personnelle, ces temps-ci, partout où je pose le regard, je dénote un désir de se « thérapiser » des années de tyrannie catholique sur les esprits occidentaux. La France nous donne La controverse de Valladolid du scénariste Jean-Claude Carrière, l'Italie Jésus lave plus blanc de Bruno Ballardini et le Québec Ma vie en cinémascope de Denise Filiatrault. Chacun raconte à l'auditoire, comme on le ferait au psychologue, ses souvenirs d'une époque où le catholicisme régnait en maître et duquel on voudrait bien se libérer.
C'est peut-être la France qui s'en sort le mieux avec Valladolid dont Jean-Claude Carrière nous explique qu'il a essayé de présenter une époque sans trop la juger avec nos valeurs actuelles. L'Italie de Ballardini a simplement remplacé une religion par une autre en identifiant le catholicisme au marketing : nouveau vocabulaire, même quête. Le Québec de Denise Filiatrault est pour sa part coincé dans un féminisme qui lui a procuré une liberté totale dont il a bien du mal à jouir sans affronter tous les écueils de ses excès.
Comment se libérer du catholicisme? Philosophie française, religion italienne ou libéralisme féministe? À vous de choisir. Mais peut-on se libérer sans s'enchaîner à autre chose, ne serait-ce qu'à son propre désir de se libérer? Sartre nous dit que la liberté est un état de fait, une déclaration fondamentale, une sorte de constitution de l'être humain sans laquelle on ne pourrait se définir comme tel. C'est ce qui lui faisait dire : « Le peuple français n'a jamais été aussi libre que sous l'occupation allemande ». S'inspirant sans doute du Discours de la servitude volontaire de La Boétie, il nous dit ainsi que celui qui travaille à se sortir du catholicisme est aussi libre que le prêtre qui choisit volontairement de prier la Vierge Marie. L'Église n'enfreint la liberté ni de l'un, ni de l'autre. Nous sommes simplement en présence de deux êtres qui ont choisi le catholicisme pour exprimer, chacun à sa façon, sa propre liberté.
Pour se libérer du catholicisme, il faudrait peut-être penser à autre chose, me direz-vous, mais la liberté n'est pas quelque chose qu'on fuit, c'est quelque chose qu'on embrasse volontairement. Pour Sartre il est impossible de ne pas être libre. Chez lui, liberté rime avec volonté ; ce que cette dernière s'acharne à faire est l'expression même de notre liberté. Peut-on sortir du catholicisme comme on sort d'un bar ou comme on sort de chez-soi? Qui peut sortir de chez-soi sans jamais vouloir y revenir?
Sartre et l'Église, avec leur nuance propre, sont d'accord pour reconnaître que le catholicisme n'a jamais empêché personne d'exercer sa liberté. La liberté constitue d'ailleurs pour cette religion une valeur fondamentale. Comment une personne pourrait-elle être responsable de ses péchés si on ne lui reconnaissait pas d'emblée la liberté qui en est la condition fondamentale? Il y avait d'ailleurs à cet effet une fabuleuse controverse du temps de Luther et Calvin entre ceux qui croyaient à la prédestination et ceux qui défendaient le libre arbitre toujours cher à l'Église catholique. Soit dit en passant, nos crises anti-catholicisme ne datent pas d'hier. On se demande d'ailleurs ce qui fait la force de cette religion si vivace malgré tant de siècles de critiques éprouvantes. Ballardini tente admirablement de lever le voile sur ce mystère.
Mais que veulent donc tous ces gens qui s'attaquent à l'Église en prétendant vouloir se libérer de la tyrannie qu'elle exerce sur eux s'ils sont libres? Où est le tyran? Est-ce vraiment l'Église ou bien l'idée qu'ils s'en font? Pourquoi s'acharnent-ils tant à se libérer d'une idée qui les tyrannise? J'en viendrais à croire qu'ils la chérissent cette idée puisqu'ils lui donnent autant de place. On chérit son bourreau parce qu'il consacre la validité de l'expression de notre liberté. Le bourreau a la même valeur que celle que nous accordons à notre liberté ; c'est lui qui la sacralise tout comme le blasphémateur consacre la validité d'une foi qu'il rejette. C'est ma constitution de victime qui crée le bourreau nous dit La Boétie ; « il n'y a qu'à déposer les clefs et s'en aller » renchérit Paul Simon dans 50 ways to leave your lover.
Je peux sans doute sortir du catholicisme s'il est hors de moi, mais comment le sortir de moi s'il m'habite. Freud nous dit qu'il faut amener à la conscience tous nos mécanismes mentaux et le mouvement psychothérapeutique qui l'a suivi nous a encouragé à vociférer autant de rage que possible pour exorciser nos fantômes intérieurs. Je ne suis pas sûr que ceci aille dans le sens recherché. Ne serait-ce pas aussi une excellente façon de perpétuer leur existence? Seul le croyant peut blasphémer ; le blasphème est une modalité de la foi.
Pour l'heure nous en sommes encore à la catharsis. C'est peut être une étape importante de la libération mais est-ce le meilleur moyen de s'en sortir? Entre le refoulement et la catharsis, y aurait-il une autre voie? Quelle synthèse pourrait bien nous inspirer Hegel? Comment faire la paix avec son bourreau? Comment se sortir du catholicisme? Pourrait-on trouver un moyen de cohabiter en paix, une synthèse unificatrice?
La France de Carrière a choisi la voie philosophique qui consiste à s'approprier une connaissance historique des faits et ainsi amener la paix par une complexe compréhension intellectuelle qui s'interdit les jugements a posteriori. L'Italie de Ballardini a compris que l'on ne sort jamais de la foi et essaie simplement de la comprendre avec le vocabulaire du marketing actuel, et qui sait, peut être même l'améliorer. Le Québec de Filiatrault a choisi la catharsis bruyante et dénonciatrice d'un féminisme qui s'érige en victime mais qui paradoxalement s'identifie au crucifié dont il voudrait bien se libérer, perpétuant ainsi son enchaînement chéri [1]. Intellectualisme, reconnaissance ou amour-haine, quelle est votre voie?
[1] « Criss de tabarnak! » Comme pour rappeler l'oppresseur à la tâche ou convoquer une malédiction dont on s'ennuie, il n'est pas rare qu'on entende encore aujourd'hui au Québec des jurons ecclésiastiques. N'est-il pas curieux que cette coutume soit encore en vogue alors qu'il y a longtemps que l'Église n'exerce plus ici aucun pouvoir coercitif moral ni temporel. Ceci en dit long sur notre attachement à notre bourreau d'antan... Pourtant, ces jurons font l'effet de pétards mouillés puisqu'ils ne scandalisent plus personne, d'autant moins qu'ils sortent parfois de la bouche des jeunes générations qui n'ont jamais connu l'oppression religieuse. Leur athéisme rend le blasphème impossible.