Il faut relancer la question de l'être
Lorsque la science et la
technique observent
le monde, c'est pour l'analyser, le décortiquer, en trouver les
composantes mais pendant que le scientifique est affairé à regarder
et décrire ce que le monde est, il ne se demande pas ce qu'est l'être,
il le prend pour acquis. Pareillement le théologien dont la foi en
Dieu accepte le dogme de la révélation tissée dans le rituel qui
renouvelle une réponse définitive ne s'interroge pas sur l'être.
De même le logicien prend la non-contradiction comme valeur
souveraine,
il ne s'interroge pas sur l'être et le rien, il les pose comme
contraires irréductibles, nécessaires mutuels. L'ontologue est un métaphysicien qui
considère que ces attitudes sont insuffisantes puisqu'elles ont
oublié l'être ; il faut sans cesse relancer la
question de l'être .
La question métaphysique
par excellence est (voir
Leibniz) :
L'être est essentiellement rien ; cette
vacuité lui permet d'être n'importe quoi, n'importe qui, tout ce qui est
possible d'être en tant qu'étant. L'être n'est cependant pas l'étant
puisqu'il serait alors déterminé. L'être est indéterminé, c'est ce qui
existe avant de poser les questions « qu'est-ce que ceci ? » ou
« qu'est-ce que
cela ? ». L'être est la faculté d'exister la plus haute puisqu'il
prend toutes les formes sans perdre son essence.
La science ne s'intéresse qu'à l'étant, la
théologie fige l'être dans un statut définitif et la logique
l'oppose à lui-même. Mais la question de l'être
en tant que le rien générateur de tous les
possibles, relance sans cesse la question « Qu'est-ce que l'être ? »
pour la garder vivante. L'être doit être sans cesse
remis en question.
L'étant, le Dasein,
l'être et le monde
L'étant
[2] est tout
ce qui existe là devant nous : homme, objet,
plante, animal, idée. Mais
l'homme est doté d'un statut particulier, il se distingue de
tous les étants en accédant à l'être
par la métaphysique. L'homme devient alors un Dasein
(être-là)
[3].
« Le Dasein est de telle manière qu'étant, il entend
quelque chose de tel que l'être. »
[4]
Il faut chercher dans le Dasein
(être-là) les préconditions de toute vraie quête de la
vérité en tant qu'interrogation sur l'être de l'étant
[5],
véritable interrogation sur l'être. « Préconditions »
parce que tout homme est un Dasein potentiel puisqu'il est doté de
l'être, mais son être doit être mis en
question pour accéder à son plein potentiel ; c'est alors qu'il
devient un véritable Dasein
(être-là). Le véritable
Dasein est un homme dont l'être tient en
éveil perpétuellement la flamme du questionnement sur son être
et l'être des choses.
Subjectivisme : le questionnement de
l'être n'est pas
questionnement sur l'être
« Toute orientation vers l' “objectivisme” ou le
“réalisme” demeure du “subjectivisme” ; la question de l'être prend
place ailleurs que dans la relation sujet-objet. »
[6]
Le regard sur les choses (la représentation objectivante) n'est pas un mode originel d'aborder les choses mais bien un mode dérivé.
Par exemple lorsque je manipule un outil
[7], j'oublie de le
considérer pour ce qu'il est en lui-même. L'observation de l'instrument et du matériau travaillé n'a lieu que lors d'un dysfonctionnement, lorsque se présente un obstacle dans l'utilisation de
l'outil. Mais c'est justement quand je ne le regarde pas en me demandant
pourquoi il est brisé que le marteau se révèle dans sa façon d'être la plus
fondamentale.
L'être se dévoile dans la dysfonction puisque la fonction d'une
chose — son être — disparaît dans l'ensemble auquel il s'intègre.
Brisé, l'outil dévoile son être véritable qui
consiste à n'être-pas-brisé pour
être-ce-qu'il-est-conçu-pour-faire, pour être fonctionnel. L'outil
fonctionnel manifeste son être propre sans se faire remarquer.
L'être a la paradoxale propriété d'être si essentiel
qu'il n'est visible que lorsqu'il disparait ; on le distingue
lorsqu'il sort du contexte de sa vérité propre, mais alors il a
perdu son authenticité.
L'être-pour-la-mort
Que signifie, pour une chose qui est — pour l'étant
(homme, animal, plante, idée) — le fait d'être ? L'Existanz [8] est ce qui a, en soi, des possibilités. Celui qui existe a des possibilités à tout moment et la certitude de sa mort. La mort est, dès maintenant, constitutive de l'existant
[9].
L'être-pour-la-mort est ce qui donne à l'existant ses possibilités. Sinon il appartiendrait entièrement à la technicité de l'étant ; il n'y aurait pour lui ni possibilités ni existence.
Le Dasein est l'étant en tant que
l'être qu'il a à être en existant. C'est l'étant
(l'homme) qui découvre qu'il est là,
dans le monde, en un lieu, dans une situation où il est jeté. L'homme se distingue de tous les autres
étants comme
Dasein (être-là). Le Dasein, en tant qu'existant, a à être son
être
véritable ; ce qui constitue une tâche.
La condition de fait du Dasein comporte deux moments :
1. il est
jeté dans le monde
(naissance) et
2. il est-pour-la-mort
(décès). « Jeté » parce
qu'il n'a pas choisi de naître soudainement dans ce monde, et « pour-la-mort »
parce qu'il
partage avec tous les autres Dasein le destin
ontologique de disparaître.
L'oubli de l'être
Le « on » est le Dasein privé de son être par d'autres ; c'est
l'homme réduit à l'étant. C'est le niveau le plus bas de
l'existence humaine, c'est le plus répandu. L'homme doit s'en arracher
pour conquérir son authenticité en envisageant la question métaphysique
par excellence : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
L'homme doit prendre conscience du danger de
concevoir tout étant, y compris lui-même, comme simple
matériau de construction et de rentabilisation utilitaire. Il lui
faut sortir de l'oubli de l'être et accéder à l'Existanz.
Le Dasein peut accéder au mystère de l'Être en
s'ouvrant au sens ontologique produit par l'art.
Temporalité de l'être
« La temporalité est
le « hors-de-soi » originaire en et
pour soi-même. »
[10]
Le passé « naît de l'avenir » : le
Dasein assume en existant la situation d'être jeté qui était déjà la sienne en tant qu'il était déjà dans le monde, de sorte que son
Dasein futur ne peut être que « ce qu'il avait toujours été » donc, son propre « passé ».
L'essentiel de l'être, c'est l'instant. Mon « antériorité » n'est pas le souvenir des événements mais une ouverture au passé. Je suis mon passé ; je ne l'ai pas été. De même, mon futur n'est pas quelque chose qui m'attend aussi longtemps que je vis, mais quelque chose que je suis maintenant. Autrement dit, je suis mes possibilités.
L'être et le temps apparaissent imbriqués l'un dans l'autre, se rapportant l'un à l'autre. La dimension originelle, c'est le futur, et celle-ci à cause de
l'être-pour-la-mort, se trouve être, en tant que futur authentique, finie.
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