Mario Roy au masculin
par Mario Roy
La Presse © 2008-2010
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Les masculinistes... et les autres [1]
Il s'agit, sauf erreur, du premier ouvrage de cette ampleur consacré à la mouvance masculiniste au Québec. Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri (ce dernier surtout connu pour ses positions pacifistes) proposent un ouvrage collectif, Le Mouvement masculiniste au Québec/L'Antiféminisme démasqué. Il dénonce un courant décrit comme réactionnaire, puissant et dangereux. Ce réquisitoire est livré avec un sous-texte dont nous parlerons plus loin. Avant cela, surgit une première difficulté.
Dans la réalité, le masculinisme radical est une image miroir du féminisme radical en ce qu'il incarne la forme lourde de la conscience identitaire masculine. Il n'a levé que des troupes peu nombreuses, faibles, isolées, surtout actives sur le web.
La principale caractéristique des masculinistes est une méconnaissance absolue des codes d'accès à la légitimité et à la crédibilité. Des amateurs, en somme. Pour cette raison entre autres, ils sont largement ignorés par les médias, sauf lors de rares coups d'éclat - ah! le pont Jacques-Cartier!
Fallait-il alors faire tonner contre eux l'artillerie lourde? C'est une question d'appréciation, d'idéologie et d'instinct guerrier.
Cependant, l'ouvrage de Blais et Dupuis-Déri ne se résume pas à cette offensive. Sa thèse principale peut se décrire ainsi.
L'homme ne vit aucune difficulté d'exister qui soit liée à sa condition, moins encore aux changements de société induits par le féminisme. Si difficultés il devait tout de même y avoir, elles découlent du système néolibéral qu'il s'est lui-même infligé - on reconnaît l'idée développée en 1999 par la féministe américaine Susan Faludi dans Stiffed : The Betrayal of the American Man. Et si l'homme trahit et se trahit ainsi, c'est que, par rapport à la femme, il est essentiellement mauvais.
Comment, en effet, interpréter autrement le passage - absurde - soutenant que l'homme s'est livré à un « processus d'héroïsation » de Marc Lépine, le tueur de Polytechnique (page 74)? Et cet autre passage expliquant que l'homme se suicide dans le but de « blesser par la culpabilité », alors que les femmes qui le font « ne dérogent pas à leur rôle de mère » (pages 158 et 167)?
On savait déjà, il est vrai, que les femmes qui tuent leur progéniture « souffrent et veulent épargner à leurs enfants de telles souffrances », alors que les hommes agissent « par mesure de représailles (et) pour faire souffrir » (La Presse, 17 août 2006)...
Face à cela, il est assez déprimant de devoir rappeler ici qu'un sexe n'est pas inférieur à l'autre. Et que soutenir le contraire conduit nécessairement à promouvoir la perpétuation de la guerre des sexes, devenue insupportable pour l'écrasante majorité des femmes et des hommes.
Ce que veulent celles et ceux-là, en effet, c'est la paix.
Il se trouve aujourd'hui peu de gens pour nier que l'homme, en particulier au Québec, vit un certain nombre de difficultés liées à sa condition et à un environnement social chambardé depuis les années 60. Entre autres, parce que le point d'équilibre à la fois du pouvoir et de l'autorité (ce n'est pas la même chose) s'est considérablement déplacé du côté des femmes.
Du côté du pouvoir, qui est la capacité d'action directe sur les institutions et sur la richesse, les femmes ont fait des progrès stupéfiants - mais il leur reste du chemin à parcourir, il faut inlassablement le rappeler.
Cependant, du côté de l'autorité, qui définit le cadre moral dans lequel s'exerce le pouvoir, ce n'est pas à un cheminement que nous avons assisté, mais à un virage en U! Les valeurs dites féminines (intériorité, prudence, empathie, conservation, pacifisme) constituent aujourd'hui les étalons de mesure à partir desquels tout est jugé.
Ce n'est pas un mal en soi. Ce qui fait problème, c'est que ces mots ont enfoui dans le non-dit et le non respectable les actions associées aux valeurs dites masculines : lutter, risquer, jouer, produire, bâtir.
On peut discuter à l'infini du dosage qui doit être fait de ces valeurs. Mais on ne peut pas remettre en cause leur légitimité. Ni prétendre que cette amputation psychosociale, littéralement, n'a eu aucun effet sur les hommes en tant qu'individus.
Après un demi-siècle de luttes, la quête d'un nouveau modus vivendi entre les sexes accuse au Québec un retard que d'autres nations sont mieux parvenues à combler. Ailleurs, on s'intéresse en effet depuis des années aux impacts sur les deux sexes de la révolution féministe, de la mutation de la famille, des bouleversements sexués dans l'éducation, le travail, les soins de santé.
Ici, le concept même de condition masculine est inexistant. Ce qui ne laisse qu'un vide en face de la réalité confortablement institutionnalisée, dominante par défaut, de la condition féminine. Et les tentatives souvent maladroites de combler ce vide sont accueillies par le sarcasme et le mépris... exactement comme le furent les premières sorties du féminisme de combat dans les années 60 et 70.
Pourtant, on connaît par cœur les problèmes spécifiques aux hommes et aux garçons. Suicide et mort précoce. Exclusion des systèmes de santé et d'éducation. Pauvreté extrême des sans-abri, absence de ressources dédiées et démission de l'État. Profilage sexiste dans la fiction, la publicité, les médias, la littérature étatique et universitaire.
Pourquoi, à la fin, doit-on droguer massivement les garçons (29 millions de comprimés par année, au Québec, de Ritalin et assimilés?!) pour qu'ils puissent fonctionner dans ce système??
On commence heureusement à s'interroger, ici, sur cette petite noirceur.
« L'homme, pour survivre, doit aujourd'hui comprendre ce qui lui arrive... N'est-il pas temps que les hommes se pensent maintenant en tant qu'hommes et se définissent hors du cercle de la pensée féminine? » demande François Brooks, membre du collectif d'auteurs qui signent un ouvrage sur la condition masculine (300 000 femmes battues/Y avez-vous cru?).
En France et aux États-Unis, une vaste littérature se développe depuis longtemps autour de ce thème.
Déplorant l'attitude des hommes qui, face au nouveau rapport des sexes, « le nient, le subissent ou régressent silencieusement », Élisabeth Badinter appelait déjà en 1986 à « une réponse des hommes au changement qui leur a été imposé » (dans : L'un est l'autre). Les hommes devraient prendre exemple sur l'efficacité de leurs compagnes, conseille Kathleen Parker (dans, nous traduisons: Sauvons les mâles), alors qu'eux-mêmes « ont toujours, après 20 ans de travail, non pas à consolider, mais d'abord à faire émerger un mouvement de revendication masculine »!
Néanmoins, ce mouvement finira bien par pousser.
Il faudrait juste qu'il évite les erreurs de jeunesse. Entrer dans une logique d'affrontement, par exemple, serait improductif car le féminisme moderne, lui, a renoncé à cette dynamique. (Sa vieille version guerrière est en effet éteinte, sauf dans quelques cavernes étatiques et universitaires où elle sert d'artefact paléontologique.)
Beaucoup plus tard, lorsqu'un niveau supérieur de maturité aura été atteint, c'est à la condition humaine, simplement, qu'hommes et femmes consacreront leurs réflexions et leurs efforts.
[1] Mario Roy, Les masculinistes... et les autres, Journal La Presse © 11 mai 2008.
[2] Mario Roy, La petite noirceur, Journal La Presse © 29 mars 2010.