Marie-Claude Blais |
2009-10-31 |
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Philosophie Magazine © 2009 |
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École : le rôle de l'autorité [1] |
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Considérer l'enfant comme un égal est-ce renoncer à l'élever... et reconduire les inégalités sociales de départ ? La philosophe Marie-Claude Blais dresse un bilan sévère de la politique scolaire. Propos recueillis par Émilie Chapuis * * * Film Entre les murs de Laurent Cantet La relation pédagogique est-elle nécessairement inégalitaire ? Ne peut-on imaginer que maîtres et élèves se considèrent un jour comme des égaux ? Si on considère que l'enfant doit être éduqué, c'est qu'il n'est pas un adulte ! Rousseau le rappelle : l'être humain, contrairement aux autres animaux, est caractérisé par son inachèvement. L'enfant a besoin de l'adulte et de son autorité pour conquérir son autonomie et entrer dans le monde. Cependant, cette différence entre l'enfant et l'adulte n'est ni une inégalité ni une hiérarchie. Il faut distinguer l'égalité de droits, qui est partagée par tous, et l'égalité de traitement des individus. On a souvent tendance à déduire de la première que les enfants doivent être traités comme des adultes. Mais ils ne sont pas en capacité d'exercer leur liberté. Pourtant les enfants naissent « libres et égaux »... Libres en droits, oui. Mais pas autonomes. Ils doivent être conduits vers l'autonomie. Voilà pourquoi je défends la légitimité d'une « autorité médiatrice ». L'autorité n'est ni le pouvoir ni la domination. C'est « ce qui autorise », ce qui permet d'agir par soi-même. Cette médiation permet aux élèves d'entrer dans un monde qui s'impose à eux, car ses règles et ses lois leur préexistent. Un certain modèle d'autorité a été balayé par le processus d'égalisation des droits. La Déclaration des droits de l'enfant a libéré les enfants d'un pouvoir paternel souvent oppressif. Mais on est allé trop loin. Si aucun individu ne peut être formé de force... il ne peut pas non plus se former tout seul ! En évinçant l'autorité, on a supprimé la protection et le guidage dont l'enfant a besoin. Les pédagogues d'aujourd'hui l'ont-ils oublié, eux ? L'intérêt pour l'enfant réel semble avoir disparu, remplacé par un imaginaire de l'enfant. L'expérience quotidienne de l'enfant est effacée, au profit d'un mythe de l'enfance comme âge d'or, comme rêve de l'enfant que l'on aurait aimé être. Le surinvestissement adulte de l'enfance a installé une forme de méconnaissance. L'idée qui voudrait que les enfants aient droit à une totale liberté se répand tout particulièrement dans les milieux défavorisés. De même, les enseignants ne comprennent plus leur rôle. Il ne s'agit pas de laisser les enfants négocier, mais de les pousser à prendre des distances par rapport à ce qu'ils sont. Voulez-vous dire que les familles sont responsables des mauvais résultats scolaires de leurs enfants ? Ce n'est évidemment pas le seul facteur. Mais après trente ans d'efforts pour augmenter l'égalité des chances, avec des résultats nuls ou en baisse, il faut se demander pourquoi ces inégalités scolaires perdurent ! Où s'est-on fourvoyé ? Voilà une énigme à laquelle il faut s'atteler ! Or les catégories plus favorisées sont les moins tributaires de l'idéologie de l'égalité. Elles donnent plus d'importance aux codes et aux institutions, reprennent les enfants quand ils font des fautes... Dans les autres familles, les enfants ont une liberté presque totale, la possibilité de négocier en permanence. On y donne moins d'importance à l'institution scolaire, dont on attend surtout qu'elle épanouisse l'enfant au présent. Comment, dès lors, instaurer une véritable « égalité des chances » ? Je pense, et je ne suis d'ailleurs pas la seule, que le recentrage sur les savoirs fondamentaux est essentiel. Il faut enseigner les règles. Et, dans le même ordre d'idée, il faut revenir à des apprentissages très méthodiques. On a construit toute une pédagogie autour de la découverte par l'enfant. J'y suis favorable, mais à condition de ne pas gommer pour autant l'aspect formel des connaissances. Un exemple : les enfants qui ont du mal avec l'oral en auront aussi avec l'écrit. Un travail sur l'oralité, surtout pour les enfants qui ne possèdent pas de cadre linguistique chez eux, peut apporter beaucoup. Je regrette aussi la disparition des apprentissages de mémoire. Les enfants s'y imprégnaient des structures du langage. Finalement, « mettre l'enfant au centre » n'a de sens que si c'est pour lui transmettre quelque chose de complètement extérieur à lui. « S'adapter » à l'enfant, c'est, selon moi, travailler la médiation, mais pas appauvrir les savoirs transmis. Sinon, l'école ne fait qu'aggraver les inégalités initiales. Et « donner plus à ceux qui ont moins », en instaurant une discrimination positive ? L'égalité des chances est un idéal consubstantiel à la démocratie. Dès la Déclaration des droits de l'homme, l'article 6 annonce que chacun peut accéder à toutes les dignités « sans autre distinction que ses vertus et ses talents ». Le principe est méritocratique : il s'agit de repérer ce que l'individu ne doit qu'à lui-même et de le valoriser. Le combat pour l'école unique, pendant la première moitié du XXe siècle et jusqu'au collège unique de 1975, aura pour but de permettre à chacun de recevoir la même instruction, première définition de l'égalité des chances. Mais dans les années soixante-dix, Bourdieu et Passeron montrent que les enfants défavorisés n'arrivent pas dans les filières nobles dans les mêmes proportions que les autres. Ce sera le début de la discrimination positive : la mise en place des ZEP vise à donner les moyens de réussir aux élèves issus des familles défavorisées. On sait aujourd'hui que cette mesure a des résultats très contrastés. Les écoles sont stigmatisées, mais surtout on assiste à une « adaptation des savoirs » par les enseignants : une tendance — qui n'est pas délibérée ni consciente — à être moins exigeants et moins axés sur les savoirs fondamentaux qu'avec d'autres élèves. |
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Texte paru dans Philosophie Magazine n° 33 © octobre 2009, pp. 51-52.
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