2009-11-15 |
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Groupe Express-Roularta © 2009 |
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De la pédophilie en littérature [1] |
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À partir de l'âge de huit ans, il n'est pas convenable qu'une petite fille soit encore pucelle, même si elle suce la pine depuis plusieurs années. Pierre Louys, Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d'éducation, 1926 * * * Ouh là là ! Quel titre effrayant ! Que vais-je bien pouvoir dire sur ce sujet sans déclencher une avalanche de courrier ? ! Depuis l'affaire Marc Dutroux (1996), la pédophilie est le sujet tabou par excellence. Tout écrivain qui s'avise d'y toucher risque d'être victime d'un lynchage immédiat. Puis-je rappeler, avant de me griller complètement, deux principes de base ? 1) Il existe une grande différence entre le fantasme littéraire et le passage à l'acte criminel. 2) On doit pouvoir écrire sur tous les sujets, surtout sur les choses choquantes, ignobles, atroces, sinon à quoi cela sert-il d'écrire ? Voulons-nous que les livres ne parlent que de choses légales, propres, gentilles ? Si l'on ne peut plus explorer ce qui nous fait peur, autant foutre en l'air la notion même de littérature. Ces deux principes étant posés, il est temps de susciter ma levée de boucliers. À mon avis, l'écriture doit explorer AUSSI ce qui nous excite et nous attire dans le Mal. Par exemple, il faut avoir le courage d'affronter l'idée qu'un enfant est sexy. La société actuelle utilise l'innocence et la pureté de l'enfance pour vendre des millions de produits. Nous vivons dans un monde qui exploite le désir de la beauté juvénile d'un côté pour aussitôt réprimer et dénoncer toute concupiscence adulte de l'autre. Le roman doit-il se laisser brider par cette schizophrénie ? La chasse aux sorcières qui vient d'être ranimée par l'affaire Polanski, puis le délire sur Frédéric Mitterrand (annoncé par l'attaque de François Bayrou sur Daniel Cohn-Bendit) oublient ce qui est en vente dans les librairies. Disons les choses clairement : ceux qui s'indignent avec tant de virulence doivent brûler une longue liste d'ouvrages. Messieurs et Mesdames les censeurs, dégainez vos briquets ! Vous avez de l'autodafé sur la planche : Le blé en herbe de Colette, Si le grain ne meurt d'André Gide, Lolita de Nabokov, Il entrerait dans la légende de Louis Skorecki, Au secours pardon de votre serviteur, Rose bonbon de Nicolas Jones-Gorlin, Les 120 journées de Sodome du marquis de Sade, Ivre du vin perdu de Gabriel Matzneff, Les amitiés particulières de Roger Peyrefitte, La ville dont le prince est un enfant d'Henry de Montherlant, Il m'aimait de Christophe Tison, Le roi des Aulnes de Michel Tournier, Pour mon plaisir et ma délectation charnelle de Pierre Combescot, Journal d'un innocent de Tony Duvert, Mineure de Yann Queffélec, Les chants de Maldoror de Lautréamont, Microfictions de Régis Jauffret, Moins que zéro de Bret Easton Ellis, Mémoire de mes putains tristes de Gabriel Garcia Marquez, Enfantines de Valéry Larbaud, Histoire de ma vie de Casanova ou même, quoique en version platonique, Mort à Venise de Thomas Mann doivent rapidement être incendiés ! Ma liste n'est pas exhaustive. Je remercie les maccarthystes français anti-pédophilie de m'aider à compléter cette liste d'autodafés en envoyant leurs lettres de délation au magazine car je suis sûr que j'en oublie et j'ai hâte de les lire... pour mieux être révolté, bien sûr, et avoir un regard désapprobateur sur ces oeuvres ! C'est donc le sourcil froncé que j'aimerais terminer sur une citation, insupportablement comique, tirée du Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d'éducation (1926) de Pierre Louys : « À partir de l'âge de huit ans, il n'est pas convenable qu'une petite fille soit encore pucelle, même si elle suce la pine depuis plusieurs années. » Ah ! zut zut, nous voilà bien. Que faire de ce numéro de Lire avec cette phrase dedans ? Doit-on aussi le brûler à présent ? |
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[1] Texte de Frédéric Beigbeder, paru sous le titre De la pédophilie dans la littérature dans la chronique Mauvaise foi du Magazine Lire # 380 © nov. 2009, p. 8.
NOTE (F. B., Philo5)
Bien entendu, il serait plus simple d'éviter ces questions et penser à autre chose, mais elles peuvent nous interpeler dans trois cas. Soit qu'on éprouve une quelconque attirance érotique pour les enfants : dans ce cas la littérature permet un exutoire autrement impossible. Soit qu'on veuille tester les limites de notre liberté d'expression : le texte de Beigbeder semble aller dans ce sens. Soit que l'on craigne les pédophiles : on pourrait alors augmenter la répression jusqu'à la censure totale. Beigbeder provoque avec assurance, mais la liberté d'expression n'est pas un droit éternel. Maintes fois au cours de l'histoire les libertés se sont transformées en interdits. Les réponses à ces questions taboues pourraient bien amener le législateur à limiter davantage une liberté que l'on pense inébranlable. Dans ce cas, Beigbeder aura paradoxalement desservi sa propre cause en provoquant la fin d'une permissivité qu'il croyait solidement implantée ; le législateur pourrait s'aviser de reconnaître sa « mauvaise foi », et d'y mettre fin en interdisant toute littérature pédophile.
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