2000-10-13 |
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Journal Voir © 5 oct. 2000 |
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Aux plus faibles la poche [1] |
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SOMMAIRE |
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Dans les écoles, le décrochage scolaire représente l'ennemi numéro un. En effet, certaines statistiques laissent une vilaine tache sur le bulletin du ministère de l'Éducation (exemple : 34 % des jeunes Québécois quittent l'école secondaire sans obtenir un diplôme). Selon Françoys Gagné, le Ministère planche sur divers projets pour faire disparaître en priorité cette triste note. « Surveillez bien comment le gouvernement va régler le problème : en baissant les exigences ! Il fera passer les élèves en difficulté en diminuant les efforts qu'ils ont à fournir. Les écoles font bien du travail pour garder les étudiants à l'école, comme faire couler le moins de monde possible. Alors, les standards d'excellence diminuent et l'inflation des notes devient un grave problème, car elles ne veulent plus rien dire. » Ainsi, le nivellement par le bas est devenu le recours des professeurs excédés, bousculés par une direction qui désire obtenir de bonnes statistiques de « performance » à la fin de l'année. « Par exemple, les contenus de programme enseignés en cinquième année sont progressivement déplacés en sixième, explique-t-il. C'est que le Ministère transfère de la matière jugée difficile à des niveaux supérieurs. Il y a alors une dilution des programmes pour permettre à plus d'élèves de passer. Dans toute cette folie, les élèves talentueux s'ennuient, sont frustrés et brimés. Des experts disent qu'ils se dirigent vers le décrochage, le suicide ou la délinquance. Ce n'est pas encore prouvé. Une chose est sûre, toutefois : ils sont discriminés. Ici, au contraire de l'Europe, un enfant qui manifeste un talent précoce est vu comme anormal. » |
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Selon Françoys Gagné, c'est cette philosophie américaine de « réduction des écarts » entre les meilleurs et les moins bons élèves qui gagne des adeptes au sein des écoles québécoises. « En fait, les efforts sont mis sur les faibles pour qu'ils rattrapent les forts, indique-t-il. On empêche alors les enfants talentueux d'avancer. » Par contre, Gagné estime que ces efforts s'avèrent souvent vains. « À cause des différences individuelles dans les aptitudes scolaires, c'est utopique de penser à réduire les écarts. Ma conviction est que si on respectait la vitesse de tout le monde, l'écart serait encore plus grand. Et après ! Il faut arrêter de mentir en disant aux plus faibles qu'ils pourraient être aussi bons que le meilleur de la classe. C'est un mythe, car l'effort et la volonté ne suffisent pas. Après tout, il existe des différences d'intelligence entre les élèves. Certains ont plus d'aptitudes que d'autres. Voilà. » |
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Pour que l'école soit adaptée au rythme d'apprentissage de chaque élève, Françoys Gagné prône le développement de classes et d'écoles à part. « Je préfère cette option, car elle empêche la comparaison entre les élèves lents et rapides dans les classes. Ainsi, il faudrait donner plus de place aux écoles internationales au Québec, des institutions qui offrent un programme enrichi aux bons élèves. » Toutefois, ces écoles ont la vie dure. Leur existence est peu appréciée, car, semble-t-il, elles favorisent les meilleurs élèves au détriment des plus faibles. « C'est ridicule, se désole Gagné, mais c'est pourtant avec cette argumentation que de bons projets ont été éliminés par le Ministère, qui favorise plutôt l'existence de classes hétérogènes. » D'après les adversaires de Françoys Gagné, séparer les élèves fait resurgir le spectre du système à deux vitesses : la voie rapide pour les enfants plus futés, la voie lente pour les moins brillants. « Le système est déjà à cinq ou six vitesses ! lance-t-il. Il existe une série de mesures pour les élèves en difficulté où ils sont séparés selon leur degré de difficulté. Pourquoi ne pas étendre le principe à tous les élèves ? » Probablement parce que plusieurs critiques du milieu scolaire estiment qu'agir ainsi serait ni plus ni moins que de verser dans l'élitisme en faveur d'enfants déjà privilégiés. « Cette conviction est véhiculée depuis des années par la Centrale des syndicats du Québec (nouvelle CEQ), le plus important adversaire des programmes pour les élèves talentueux, estime Gagné. Le syndicat se dit que ces derniers proviennent de familles riches et que les aider serait injuste, car cela pourrait creuser l'écart entre les riches et les pauvres dans la société. Bon... C'est vrai que les élèves talentueux ont souvent des parents aisés. Pourtant, des enfants pauvres aussi sont intelligents et, s'ils n'ont pas de ressources, ils n'émergeront jamais. Des écoles internationales recrutent dans les milieux pauvres et vont chercher de jeunes talents. Ne serait-ce pas là un bon coup que de répandre cette pratique ? » Sans réponse favorable à sa question au Ministère, Françoys Gagné en vient à déplorer l'absence quasi totale de promotion de l'excellence au Québec. « Nous ne voulons pas développer une élite intellectuelle. On dirait que nous avons peur de performer. Nous refusons aux enfants talentueux des stimulations qui leur permettraient de faire avancer la société, sous prétexte qu'ils n'ont pas droit à de « meilleurs » traitements que les autres. Ce sont plutôt des traitements adaptés que je voudrais. Je ne veux pas créer des ghettos, mais bien favoriser l'existence de milieux faits sur mesure. » Dans ce dossier controversé, Françoys Gagné soupçonne le ministère de l'Éducation de cacher indûment des chiffres à la population. Il doute du succès des programmes actuels destinés aux enfants en difficulté, dont aucune statistique à leur sujet n'émane des bureaux du Ministère. « Il y a visiblement des choses qu'on ne veut pas savoir ou qu'on désire nous cacher. On veut faire une grosse moyenne en évitant de parler des problèmes réels, tant chez les faibles que chez les forts. C'est tout. » |
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[1] Publié dans la section Actualité du journal Voir, le 5 octobre 2000. |
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