Quel est votre niveau éthique ?
par François Brooks
Si les gens malhonnêtes comprenaient l'avantage qu'il y a à être honnête, ils deviendraient honnêtes par malhonnêteté.
Benjamin Franklin
Vivre ensemble n'est certainement pas une tâche facile. Le code le plus ancien que nous connaissons nous a probablement été donné par la Bible. Que les 10 commandements proviennent de Moïse ou de Dieu n'a pas tant d'importance qu'aujourd'hui encore ils sont bien en force. Rare sont ceux qui remettent en question le « Tu ne tueras point ! », mais, pour mettre cette maxime en pratique, la moralité peut s'appliquer de façons diverses et laisser un sentiment très variable d'un individu à l'autre. Comment se fait-il que certains se conforment aux lois avec tout le naturel du monde alors que d'autres doivent constamment se faire violence pour y arriver ? Pour mieux comprendre, essayons de nous situer sur l'échelle de la moralité.
L'éthique est une forme moderne de la morale qui prend en compte un équilibre entre les désirs, les droits et les devoirs. Celle-ci nous permet de sortir du carcan étroit du manichéisme binaire qui ne distingue que le bien et le mal, pour nous amener à examiner tous les aspects nécessaires afin de jouir d'une liberté pleine et entière. En effet, Kant affirmait qu'obéir au devoir, c'est la liberté elle-même. Mais aussitôt que la priorité est donnée à l'une des trois composantes de l'éthique, ou que, inversement, on néglige l'une ou l'autre, l'échange harmonieux de nos relations sociales est compromis et l'inconfort surgit.
Lawrence Kohlberg a produit une échelle de développement moral qui va permettre de situer notre position. Prenons l'exemple de la possession personnelle. Vous trouvez une paire de gants par terre. De très beaux gants, presque neufs, qui vous font parfaitement, et sont à votre goût ; qu'allez-vous faire ? La situation semble simple mais, à l'examen, plusieurs possibilités se présentent. Regardons-les sous l'éclairage de l'échelle proposée par Kohlberg.
Niveau | Principe | Attitude | Agissements | Que faites-vous au feu de circulation ? |
1 |
Égoïsme aveugle |
Aucune retenue, seulement le besoin personnel et la norme est reconnue. |
Vous agissez
sous le |
Sur un feu rouge, vous regardez de chaque côté avant de le brûler. |
2 |
Égoïsme instrumental |
Vous percevez que les autres ont des buts et des préférences. |
Vous déviez de la norme mais vous vous conformez en présence de l'autorité. |
Vous passez sur les feux rouges sauf si un policier est dans les parages. |
3 |
Perspective des relations sociales |
Vous savez reconnaître les intentions bonnes et mauvaises. |
Vous pensez que la loi du karma agit et que, même en différé, vous risquez d'être puni. |
Vous passez sur les feux rouges sauf si quelqu'un d'autre peut vous voir. |
4 |
Perspective du système social |
Vous pouvez comprendre les systèmes d'abstraction normative. |
Vous comprenez que l'organisation sociale est nécessaire pour le bien-être général. |
Vous arrêtez au feu rouge. |
5 |
Perspective contractuelle |
Vous reconnaissez que les contrats mutuels permettent d'élever le bien-être des gens qui y participent. |
Vous cherchez à créer des ententes mutuelles transformant ainsi vos actions en collaboration dans le but d'établir des rapports confortables. |
Vous attendez patiemment le feu vert, permettant même à certains de passer devant vous pour accélérer la circulation générale. |
6 |
Respect mutuel en tant que principe universel. |
Vous voyez comment la fragilité et la faillibilité humaine peuvent être influencées par la communication. |
Vous n'êtes plus attaché aux lois mais à la manière dont votre comportement peut inciter les autres à la respecter en manifestant à chacun toute la considération humaine possible. Votre exemple constitue un fort leadership. Vous acceptez même certaines dérogations aux règles parce que vous comprenez que les lois sont faites pour faciliter le vivre ensemble et non pour y obéir aveuglément. |
Vous laissez passer l'autre avant vous, même s'il est sur sa rouge parce que vous comprenez que le routier avec son camion remorque peut difficilement respecter rigoureusement tous les feux de circulation. |
Alors, qu'allez-vous faire de ces beaux gants ramassés sur le trottoir ?
Vous précipiter rapidement pour vous en emparer au risque de bousculer les gens.
Les ramasser discrètement et les dissimuler rapidement avec la ferme conviction que n'importe qui ferait la même chose. Pourquoi être honnête parmi une foule de gens fourbes ?
Les laisser sur place pensant que c'est la meilleure façon que le propriétaire les retrouve.
Les rapporter aux objets perdus parce que des gens vous ont vu les ramasser et que vous ne voulez pas passer pour une personne malhonnête.
Les rapporter aux objets perdus avec l'idée qu'un autre fera la même chose pour vous une autre fois.
Demander à tous les passants s'ils n'ont pas perdu des gants avant de les rapporter aux objets perdus.
L'éthique appliquée à la gestion en 2012
Chacun sait combien il est valorisant de faire partie d'une société qui reconnaît la valeur personnelle. L'honnête homme ne se fait pas prier pour accomplir son devoir éthique puisqu'il porte en lui la récompense immédiate du bienfait qu'il prodigue. Mais celui qui applique les règles le fait-il de manière trop rigide que son devoir se transforme aussitôt en tyrannie écrasante qui va provoquer l'hostilité des gens qu'il pense bien gérer. C'est pourquoi la gestion est avant tout un art. Celui qui se contenterait de gérer le personnel en appliquant machinalement la règle de manière procédurale irait à l'encontre même de la moralité qui commande d'abord l'humanité. Le gestionnaire qui se met au service des lois n'a pas compris que les lois sont d'abord créées pour servir le bien-être des hommes. Agissant ainsi, sa gestion contribue à créer la plus basse qualité morale dans sa société.
En cette époque où commence la mise massive à la retraite des baby boomers, de nouveaux gestionnaires vont bientôt envahir nos institutions. Avec toute la fraîcheur de leur jeunesse bien intentionnée, mais formés à l'école de la modernité qui pense pouvoir enseigner la gestion comme s'il s'agissait de connaître et d'appliquer des consignes toutes faites, le pire est à craindre. Pourrions-nous vivre une époque sans précédent de déshumanisation sociale ? Et conséquemment, une montée de désobéissance sociale en ressac ? L'humanité est à reconstruire à chaque génération. Plus que jamais, il importe de comprendre et d'appliquer avec discernement les concepts de l'éthique développés par Lawrence Kohlberg. Les boomers auront-ils eu le temps et l'opportunité de transmettre la sagesse de leur expérience avant de se retirer ?