Liberté, licence, déterminisme [1]
par François Brooks
L'homme, au contraire de l'animal, est doté de liberté, c'est-à-dire de la faculté de s'arracher à la programmation de la nature ; il va donc ainsi entrer dans l'histoire, aspect inconnu des animaux.
La notion de liberté est aujourd'hui si galvaudée qu'il faut peut-être prendre quelques minutes pour en préciser les nuances.
Le premier sens que nous donnons à la liberté consiste au pouvoir de faire ce que l'on veut quand on veut, si chéri par la Charte qui a oublié de mentionner qu'à chaque liberté est rattaché un devoir qui garantit que notre vivre ensemble ne dégénère pas en permissivité aveugle et au déclin subséquent. Il s'agit ici de licence, et non de liberté. Lorsqu'on considère la liberté d'action laissée à chacun ou donnée à soi-même, on doit parler de licence d'agir. C'est ainsi que le libertaire, n'admettant aucune limitation sociale de sa liberté individuelle devient licencieux. Cette personne donne tant d'importance à ses pulsions individuelles et ses humeurs du moment qu'elle se détermine à agir sous le joug d'un esclavage duquel elle refuse de s'affranchir. Comme le rat de laboratoire équipé d'une électrode au cerveau activant le centre du plaisir va actionner le bouton qui le stimule jusqu'à en mourir [3], le licencieux agit dans le cadre d'une logique déterminisme qui s'oppose à la liberté. Il agit sous l'influence d'une addiction ; sa volonté est inactive. Ainsi, de nos jours, les gens qui réclament toujours plus de « liberté » en revendiquant qu'on leur laisse obtenir tout ce qui leur fait envie, ne font en fait qu'exiger davantage de licence.
La liberté, Sartre nous l'a expliqué, est tout autre chose. Elle a besoin de résistance pour s'affirmer. Elle consiste à consentir à des règles qui vont permettre d'agir délibérément en vue de réaliser un projet. La liberté est une action intentionnelle qui pose un choix créateur. Elle n'assure pas le passé, elle décide l'avenir. Sans contraintes la liberté perd son sens et devient son contraire : licence et déterminisme. Ainsi, c'est avec la table des lois que l'humain peut agir sa liberté en s'éclairant des lumières philosophiques.
On admire les œuvres d'une personne qui agit sa liberté avec courage pour imposer ses idéaux malgré les obstacles. Admire-t-on la même personne d'avoir fait de même lorsqu'elle y a été conduite par la contrainte ou par le désir d'autosatisfaction ?
Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit.
Henri Lacordaire
[1] Voir Déterminisme et liberté (FB-980213). Voir aussi Michel Onfray, Contre-histoire de la philosophie, No 14, Frémeaux & Ass. © 2010, CD3[6].
[2] Cité par Luc Ferry dans Kant, L'œuvre philosophique expliquée, Frémeaux © 2008 CD2-[9].
[3] James Olds and Peter Milner, Positive reinforcement produced by electrical stimulation of septal area and other regions of rat brain. J Comp Physiol Psychol 1954, 47 : 419-427. (Page consultée le 3 sept. 2010)