Énergie libre à libérer
par François Brooks
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
(Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 1789)
La philosophie est un vaste domaine qui recouvre autant les sciences techniques que la conceptualisation. L'énergie libre est actuellement sujet à controverse. J'y vois donc plusieurs enjeux philosophiques. La première question est : Pourquoi qualifie-t-on cette énergie de « libre » ? Qui donc l'enchaîne et pourquoi? En fait, nombreux sont ceux qui voudraient que Lavoisier se soit trompé, ou encore, pensent que la nature recèle une quantité cachée d'énergie à laquelle nous n'avons pas accès tout simplement parce qu'elle occuperait une dimension encore inexplorée de la nature.
J'assistai jadis à la conférence d'un type qui se présenta sous le nom de Daniel. Il montrait divers montages de bobines faisant tourner des petits moteurs, allumer de petites ampoules et même chauffer légèrement un grille-pain. Aucune source d'énergie n'alimentait ses montages ; que des petites bobines de fil connectées nulle part. Hallucinant ! Le type semblait simple d'esprit, passablement susceptible et s'exprimait dans un langage enfantin. Il était accompagné d'un mentor qui supportait sa démonstration et faisait tampon avec les questions de la salle.
J'étais assis tout près du présentateur et j'ai pu vérifier qu'il n'y avait apparemment pas de « truc magique ». J'avais apporté un voltmètre et il m'avait laissé prendre une ou deux lectures, mais il a vite cessé la collaboration lorsque mes questions sont devenues plus précises. Ses intentions n'avaient visiblement pas pour but de diffuser la technique. Pourquoi ? Je n'en sais rien. La séance d'un peu plus d'une heure m'avait coûté trente dollars. Je suis reparti mystifié et frustré. À quoi sert une telle démonstration si on ne peut en profiter ? Daniel éprouvait un malin plaisir à nous mystifier. J'avais été invité à une démonstration technique, j'assiste à un spectacle de magie. Le prestidigitateur comptait bien se garder le secret pour lui tout seul. Bien sûr, si nous pouvions tous reproduire le phénomène, il ne pourrait plus tirer profit de ses lucratives séances. Nous avions affaire à un type jaloux d'un savoir-pouvoir rentable qui pourtant agissait comme l'Hydro-Québec qu'il dénonçait ?
Une atmosphère de « théorie des complots » planait dans la salle, mais n'avait sur moi aucune emprise. Nous vivons dans un pays où le libre marché permettrait le développement d'une telle technologie. Il existe cependant des règles de sécurité auxquelles il faut se conformer. Électrotechnicien, technologue professionnel et électricien de carrière, je connais les lois qui régissent mon métier et je sais le tort qui pourrait en résulter si tout un chacun jouait à l'apprenti sorcier. Pourtant, rien n'empêcherait de développer quelques petits gadgets pour allumer une lumière ou faire tourner un petit ventilateur ici et là à bas voltage. D'ailleurs, s'il s'agissait d'une technologie facile et peu coûteuse, la Chine n'aurait-elle pas envahi le marché de ces joyeux gadgets ?
Mais voilà, on nous présente une théorie obscure, on nous fait une démonstration à la Houdini et on nous renvoie chez-nous médusés en nous disant de se mettre sur nos gardes : il y a un complot énergétique. « Saint-Daniel » nous mystifie dans la fosse aux lions des cartels énergétiques ; lions qui, comme dans la mythologie illustrée par Rubens, n'ont que faire de ce martyr bénévole.
Chacun sait que les piles ordinaires sont rechargeables. L'Internet donne les plans du chargeur gratuitement (cliquer ici). Aucun complot. Pourtant, cela n'excite personne. Qui se donne la peine de recharger ainsi ses piles alcalines ? Les gens continuent d'acheter et jeter leurs batteries « non rechargeables ». Pourquoi ? À vous de me le dire.
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L'énergie est libre et l'a toujours été. Rien de nouveau. Elle se présente sous plusieurs formes : hydroélectrique, photovoltaïque, inductive, capacitive, etc. Le tout est de développer une technologie efficace pour la capter. Le livre Coucou, c'est TESLA – L'énergie libre, écrit par un collectif d'auteurs anonymes (!?) et édité par une maison qui base sa promotion sur la liberté d'opinion garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme (appat marketing ?), passe en revue les grandes inventions de Nikola Tesla. Moitié Nouvel-âge, moitié scientifique, cet ouvrage énonce les principales inventions de ce grand chercheur qui a consacré sa vie à essayer d'exploiter une énergie abondante mais cachée.
Si l'énergie est libre, le gros du travail consiste à la capter et transformer de manière à ce qu'elle soit utilisable. Il faut d'abord comprendre les principes physiques en élaborant des théories vérifiables. Pour ce qui nous concerne, il faut comprendre l'énergie électrique et savoir sous quelle forme elle se cache. Tesla a donné son nom à un type de bobine et à l'unité de mesure du champ magnétique, phénomène électrique avec lequel on peut facilement mystifier les gens. Le champ de force invisible agit effectivement et n'est nullement magique ; il est mesurable et produit des effets connus mais, comme il n'est pas visible à l'œil nu, son potentiel de mystification est énorme.
Après ce 10 % d'inspiration, le 90 % de transpiration consiste à l'extraire et l'adapter à nos besoins. Pour ce faire, faudra-t-il investir des quantités énormes de capitaux dans la recherche et le développement de dispositifs sécuritaires qui permettent de l'exploiter ? Tesla a passé sa vie à solliciter des mécènes généreux pour développer les dispositifs de transformation qu'il concevait. Capteurs de foudre, convertisseur de Plauson et bobines électriques en tous genres, le Bureau des brevets ne dérougissait pas et l'envergure de ses projets dépassaient souvent le budget des mécènes.
Qu'en est-il de l'énergie libre ? Assistons-nous à une percée véritablement novatrice ? Tout le baratin qui entoure ces phénomènes ne relève-t-il que d'un glissement philosophique entre la mystification et la théorie des complots? Ignorance et diabolisation ? Avec l'engouement actuel pour l'écologie associée à l'efficacité énergétique, se peut-il que l'on soit encore sujets aux « humaineries » en tout genre qui, par mystification, consistent à exploiter notre ignorance ? Comment pouvons-nous éviter ce get-apens populiste ? Et celui qui dénonce les abus n'est-il pas aussi abuseur potentiel ? J'aimerais bien qu'on me présente le phénomène technique et ses applications en faisant le partage entre l'énergie libre et la fumisterie. L'énergie libre reste encore à libérer.
À suivre...