par François Brooks
Dieu
est mort ; le poste est vacant. Nietzsche
l'avait déclaré il y a plus d'un siècle. Au Québec, la nouvelle est arrivée
dans les années soixante. Depuis, on n'en finit plus de faire mourir cet
archétype paternel qui, de Dieu, est devenu diable.
Mais
cette figure est si essentielle qu'on voit maintenant renaître une myriade de superhéros ayant pour tâche d'anéantir les diables apparus après le décès du
Tout-Puissant. Autant de divinités postulant au titre de surhomme – comme
Nietzsche en avait proposé le remplacement. Je devrais dire « le
retour », puisque l'Antiquité grecque en avait déjà établi l'usage.
Titans, héros, demi-dieux et déesses, – de ces divinités spécialisées,
l'Histoire est passée à un super-Dieu unique qui régna pendant environ 1789
ans. Et puis, comme le poste est difficile à tenir, nous avons décapité le roi
pour insuffisance représentative. Paix à Louis XVI. Dieu fut mort.
La
dépouille royale n'était pas encore froide que Robespierre avait institué le
culte de l'Être Suprême.
Dieu est défini comme un « être nécessaire ». Ce qui est nécessaire est ce dont on ne peut se passer. Il n'y a donc pas à s'inquiéter de sa mort puisqu'on va nécessairement le recréer... de mille manières : Voici les superhéros! Curieusement, le terme n'est pas encore défini dans les dictionnaires courants. Par son étymologie, on serait tenté de penser qu'il s'agit de la désignation d'un héros supérieur mais son utilisation usuelle dans la bédé, le cinéma et autres médias dénote plutôt une image pour l'homme en manque de modèle. Signe des temps, les superhéros foisonnent.
On se croirait 2500 ans en arrière au Banquet de Platon alors
qu'un groupe de convives se sont donné pour tâche de sublimer chacun leur tour
le dieu Éros, rivalisant de discours pour mettre en valeur les avantageuses
facettes de sa personnalité.
La culture médiatique n'en finit
plus de proposer des postulants. Depuis l'Hyperman de Calvin et Hobbes,
jusqu'aux 7 superhéros justiciers du navet Mysteryman (le film), en passant par
le dernier Superman écolo-recycleur, les héros de l'antiquité ressurgissent comme
jamais, mis à la mode du jour et des besoins particuliers des groupes ou
individus. Que ce soit l'intellectuel pensif qui nous écrit un livre réfléchi
nous expliquant avec force et conviction que son idée est « La »
super-idée qui va sauver la planète (et la société), l'auteur populiste qui a
su convaincre les dollars de financer sa nouvelle super-intuition qui fait
tabac ou encore le navet cinématographique qui remet à l'écran pour la énième
fois la même mouture à peine déguisée d'un surhumain sauvant l'Univers, il
n'est pas loin ce super-Dieu dont le terrien voudrait bien se débarrasser mais
dont il a tant besoin, vu son entêtement à vouloir rester petit et à préférer
projeter hors de lui la grandeur dont il se prive.
Femmes ou hommes, à la mesure de la limite de notre besoin de sublimer, quand il s'agit de faire vivre Dieu, il semble que l'humain soit intarissable d'ingéniosité pour Le ressusciter. Tant qu'il y aura des cerveaux symboliques sur terre, Dieu peut dormir tranquille, qu'il existe ou non, sa résurgence est assurée.
Et
l'orient n'est pas en reste. Chacun se doit de devenir un Bouddha après s'être
élevé graduellement en passant par toute une hiérarchie d'êtres plus évolués
les uns que les autres. Mais le superhéros oriental comporte une paradoxale
propriété sur l'occidental. Si ce dernier se doit d'être voyant et pétaradant,
l'autre se reconnaît plutôt par sa hauteur sur l'échelle de la modestie. L'un
peut tout faire par des pouvoirs magiques d'une puissance inimaginable tandis
que l'autre possède simplement un savoir-être propre à lui assurer une harmonie
et une paix intérieure sans faille, quelle que soit sa situation. L'un mise sur
la force et la compétition, l'autre sur la sagesse et la connaissance,
attributs respectifs de la jeunesse et de la vieillesse.
En fait, la conscience humaine
semble s'accommoder très mal du fait que l'humain soit mortel et insignifiant
dans l'univers, qu'il n'ait que peu d'emprise sur sa destinée et que le moindre
accident de parcours bouleverse toutes ses prévisions. Le désir du sublime est
rattaché à celui de se donner du contrôle sur notre existence. Deux méthodes y
conduisent. La première consiste à tout dominer, la seconde à apprendre à plier
comme le roseau de la fable. Dennis A. Schmidt l'avait bien
démontré en essence dans son livre science-fiction Zen Kensho.
Peut-on concilier les deux? Schmidt nous présente deux idéologies complètement
antinomiques et qui, curieusement, recherchent le même but. Après en avoir lu
l'extrait
(cliquez
ici), je vous
poserai deux questions :
1. De quel genre de maître désireriez-vous être l'élève?
2. Dans votre vie de tous les jours, quel maître vous conduit véritablement?