par
« Le média EST le message » nous
dit McLuhan. Et les médias créent notre monde ; ils
exercent une pression constante sur nous. Mais dans quel monde est-ce que je
veux vivre?
À
mesure que je prends conscience des pressions médiatiques qui s'exercent de
toutes parts, j'essaie de trouver un moyen d'y échapper. Mais est-ce
souhaitable? Est-ce seulement possible? Tout ce qui m'entoure porte la marque
de l'homme ; pas un pied carré qui n'ait été aménagé d'une façon ou d'une
autre par la main humaine.
À
commencer par tout mème
médiatique : TV, radio, journaux, panneaux, je me sens le champs de
bataille d'une foule d'idées qui se bousculent en moi pour obtenir mon
attention. Si je laisse aller, mes sentiments personnels ont tendance à en
favoriser certains plutôt que d'autres, mais valent-ils mieux? Je n'en sais
rien. Qu'est-ce que la valeur? Ou bien elle se pose relativement à d'autres –
et alors je me sens obligé de choisir – ou bien elle est absolue, et souffre
donc de la jalousie de Dieu : elle ne supporte aucune concurrence.
Chez-moi,
j'y échappe assez bien pour peu que je n'allume ni radio ni télévision. Mais il
y a l'ordinateur. L'Internet qui sait tout et n'attend qu'une frappe pour m'instruire,
et bien sur, les courriels comme des adresses personnelles qui viennent saper
mon attention encore plus efficacement que les mass médias. Quelle différence y
a-t-il entre une pub qui me demande d'être heureux par l'achat ou un courriel
de F4J qui veut aussi mon bonheur par l'adhésion à son agenda politique? L'un
vaut l'autre si je me considère en manque de bonheur. Mon attention drainée, voilà
que mon esprit chevauche à nouveau la cavalerie dérisoire d'un Don Quichotte
s'illusionnant de trouver le bonheur dans la conquête, ne serait-ce que celle
de mon esprit captivé par un mème mercantile ou politique.
Chez-moi,
il y a aussi le téléphone. Mais l'agressivité de ce média est heureusement
apprivoisée depuis longtemps par un afficheur et un répondeur qui m'en libèrent
partiellement. Fini l'angoisse du temps où les répondeurs n'existaient pas encore,
et où je me demandais tout le temps si je n'étais pas en train de rater une
communication importante pour peu que mes oreilles s'éloignaient de portée de
la sonnerie.
Hors
de chez-moi, c'est pire : je ne contrôle rien. La marque et l'idéologie
m'agressent de toutes parts. Chaque objet sur lequel mes yeux se posent porte
la griffe commerciale et doctrinale. Partout les automobiles m'exhibent leur
promesse de liberté : ubiquité jamais satisfaite ; partout les routes,
qui sont autant de voies de la philosophie du déplacement, me font croire que
la planète entière m'appartient pour peu que je roule. Rouler, c'est
communiquer. J'en viens à croire que la vie ne sert qu'à acheter et à se
déplacer. On a tant critiqué Dieu et la religion ; pourtant nous l'avons
remplacé par des activités qui me semblent si fidèlement religieuses...
Pendant
nos vingt premières années terrestres, le système d'éducation nous fait
grandir, dans l'idée que nous sommes ignorants. L'université tient son fonds de
commerce du fait qu'on en a été efficacement convaincu. Comment pourrais-je me
guérir de ma boulimie médiatique alors qu'on m'a programmé à croire qu'il faut
toujours en savoir davantage? Mais à la fin d'une lecture ou d'un programme,
est-ce que j'en sais véritablement plus qu'avant ou bien ne suis-je que
renforcé dans la foi médiatique qui a fait de moi un ignorant converti aux
vertus de la communication? À quoi me sert-il d'en savoir tant alors que le
savoir dont j'aurais précisément besoin au moment opportun me déserte si
souvent pour faire place à l'expression d'un sentiment inadéquat qui s'est importunément
donné priorité?
Je
me sens comme un téléphone relié par mille fils, sollicité et toujours occupé.
Qui m'a inscrit à la croyance qui veut que le bonheur soit dans la
communication? Mais même si je coupe tous les fils, ça continue encore à
communiquer tout seul dans ma tête. Voilà que les idées résidentes s'attaquent
les unes aux autres et que la conversation continue. Si bien que le malaise
ressenti ne s'apaise que lorsque je rebranche mes fils à l'extérieur comme pour
évacuer cette communication interne sans issue.
Le
foisonnement d'idées qui m'habitent est si varié, je n'ai qu'à choisir celles
que je préfère pour me libérer de toutes les autres. Ma chance reste que je ne
peux penser qu'à une seule chose à la fois. Mais il me faut dire
« non » à tout moment pour éviter d'être sapé par un mème attracteur.
Libéré
de la voiture, de la radio et des journaux, je projette maintenant de fermer
définitivement ma télévision. En aurai-je le courage? Cet ami-qui-me-veut-du-bien
me semble aussi addictif que la cigarette. Mieux encore, verrai-je le jour où
l'Internet ne me dira plus rien? Mais une fois libéré de tous ces attracteurs
médiatiques, je me rendrai peut-être compte que chaque humain agissant dans ma
vie est une sorte de machine mue par les médias qui l'habitent. Aucune idée ne
lui appartient véritablement et il n'est que l'écho d'une philosophie qui s'est
emparée de nous tous.