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Comme
l'humain se construit des édifices volants (Airbus A380)
pour se véhiculer dans l'espace, le gène se construit des organismes vivants
pour se véhiculer dans le temps. Ainsi se perpétue-t-il ; il devient en
quelque sorte éternel, un peu à la manière Schopenhauer
qui nous expliquait que la vie et la mort n'est qu'une vibration de l'espèce...
Le
mème – réplicateur [1] culturel d'un langage codé – est à l'esprit
ce que le corps est au gène. Ainsi, l'esprit est éternel – ou cherche à le
devenir – en se construisant une culture véhiculée par des corps vivants. Une sélection culturelle s'opère pour
décider des mèmeplexes [2] qui survivront ou non, à la manière dont la
sélection naturelle de Darwin
s'opère pour décider de l'évolution des espèces.
Darwin
nous démontrait que l'on peut se passer de Dieu pour expliquer la
création ; c'est maintenant Dawkins
qui nous dit que l'on peut se passer de l'Esprit Saint pour illuminer notre
pensée. Le mème est autonome comme l'Esprit du Livre mais il a l'avantage
d'être une proposition scientifique qui nous délivre du carcan divin. Si Dieu
est un mèmeplexe a
Le
mème semble désigner ce que l'esprit de la Trinité divine constituait. L'Esprit souffle...où il veut [4] ; il est autonome comme le vent, comme
le mème. Je suis toujours étonné de constater à quel point les mêmes concepts
de base renaissent d'une époque à l'autre avec la prétention de nouveauté. Comme
si nous étions soucieux de réinventer le monde en jetant les outils de nos
ancêtres pour les reforger immédiatement avec un narcissisme nous fait croire
originaux. Mais bien sûr, il faut la faire agir dans le contexte qui nous est
propre, si nous voulons nous réapproprier notre propre pensée. Notre contexte
n'est plus religieux, il est
maintenant scientifique [5] réinterprétons donc l'univers avec ces
nouvelles lunettes... super améliorées.
L'intérêt
d'adopter l'hypothèse mémétique réside dans le fait que si celle-ci est mieux
adaptée à notre environnement culturel actuel, elle risque de supplanter les
autres théories dominantes. Ce faisant, elle pourrait bien contribuer à une
meilleure adaptation culturelle à notre époque. En effet, comment peut-on se sentir
adapté en continuant à parler de Dieu dans une culture qui l'a fait mourir?
Dorénavant, la mémétique nous permettra d'accéder à la « vie
éternelle » plus sûrement que la religion. Changeons de véhicule pour
mieux nous rendre au paradis de l'idée éternelle. [6] Car, après tout, même si nous avons rejeté
les religions qui nous promettaient ‘faussement' de vivre éternellement, il
n'en reste pas moins que nous aimerions bien ne jamais mourir. [7]
* * *
Depuis
l'invention de la pensée humaine – que d'aucuns situent à l'époque de la Grèce
antique – s'opposent déterministes et libre-arbitristes. La mémétique donne
maintenant un argument supplémentaire de taille aux déterministes. En effet,
cette théorie démontre un déterminisme « actif » qui, de façon analogue aux gènes, poursuit un dévelo
* * *
Les
anciens Grecs vénéraient une multitude de dieux qui les accompagnaient dans
leur vie de tous les jours. La première grande mutation idéologique fut le
passage du polythéisme au monothéisme. À partir du christianisme, et à la suite
du judaïsme, un seul Dieu fut témoin de la pensée humaine. À partir des Lumières,
on commença à remettre en question le Dieu unique. Si bien qu'au XIXe
siècle, Darwin
en vint à démontrer que l'on pouvait parfaitement se passer de Dieu pour
expliquer l'origine de la vie sur terre. Parallèlement, un mouvement de
romantisme centralisa le point focal de la pensée humaine sur l'individu. Un
« je » narcissique prit alors toute la place. Le « moi » tout-puissant
commença d'être célébré et, graduellement, on se mit aveuglément à son service.
Les Droits de l'homme et la liberté individuelle fut la deuxième grande
mutation idéologique, révolution copernicienne de la pensée.
Mais
voilà que pointe à l'horizon ce qui pourrait bien devenir la troisième mutation
ontologique : la mémétique. De Dieu à l'individu, nous passons maintenant
aux mèmes, sorte d'atomes de la pensée qui nous utilisent pour se reproduire.
Nous ne pensons plus, nous sommes pensés. Du coup, tout comme Dieu mourut au
temps de Darwin,
maintenant c'est l'individu qui s'effondre, désormais possédé par une entité
sur laquelle son contrôle est illusoire. Un mème aveugle cherche à se
multiplier et nous sommes son lieu de culture. Chaque idée se bouscule pour
rejoindre la tête du palmarès de notre attention. Bien comprise, cette
mécanique aléatoire nous délivre définitivement de la « théorie
des complots » puisque aucune intentionnalité n'anime le mème. À
l'image des corps biologiques, il ne poursuit qu'un seu
* * *
De
la planète des dieux, à la planète Dieu, à la planète moi, à la planète mème,
la pensée s'est donnée chaque fois une perspective singulière pour comprendre
le monde en accordance avec les dévelo
[1]
[2] Mèmeplexe : groupe de mèmes qui travaillent ensemble ou « complexe co-adapté de mèmes ».
[3] Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 17, 1886.
[4] « Jésus répond: "Je te le dis, c'est la vérité, personne ne peut entrer dans le Royaume de Dieu, s'il ne naît pas d'eau et d'Esprit. Ceux qui sont nés d'un père et d'une mère appartiennent à la famille des humains. Et ceux qui sont nés de l'Esprit Saint appartiennent à l'Esprit Saint. Ne sois pas étonné parce que je t'ai dit: «Vous devez naître de nouveau.» Le vent souffle où il veut, et tu entends le bruit qu'il fait. Mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. C'est la même chose pour tous ceux qui sont nés de l'Esprit Saint.» » Évangile de Jean, § 3, versets 5 à 8.
[5] Quoique j'aie souvent l'impression que l'on confonde l'un et l'autre... sans tenir compte de l'enseignement de Karl Popper.
[6] Dans son essai Totalement inhumaine, publié en 2001 aux éditions ‘Les empêcheurs de tourner en rond', Jean-Michel Truong nous dépeint un univers où le mème parvient à se perpétuer en empruntant d'autres véhicules que la vie.
[7] À cet effet, j'avais proposé une solution qui à ce jour n'est pas encore démentie : « Quand on est mort, le temps passe vite ».