par
Toute
philosophie comporte un lieu où elle s'annule en bouclant sur elle-même.
Lorsque son créateur y est confronté, il se produit dans son esprit
l'équivalent de l'effet Larsen en sonorisation lorsqu'on présente un microphone
devant le haut-parleur : le philosophe se met en colère ou bien, s'il est
un véritable philosophe, il se met à rire.
J'ai
été confronté à ce phénomène de nombreuses fois en retournant le miroir à
l'émetteur. Essayez vous-même, c'est rigolo. Par exemple, essayez de dire la
bonne aventure à la cartomancienne. Ou demandez à un disciple de Freud s'il n'est
pas en train de projeter son propre inconscient sur vous. Dîtes au maître que
vous avez découvert une façon améliorée de pratiquer son art et essayez de vous
faire entendre. Chaque fois, vous aurez ainsi l'occasion de vérifier la
solidité de votre gourou. Sa réponse vous en dira long sur sa véritable
sagesse.
Freud
brisait le miroir avec la phrase suivante : « ... l'analyse ne se laisse pas employer comme
une arme de polémique ; elle suppose le consentement de la personne dont
on veut faire l'analyse et, entre l'analyste et l'analysé, des rapports de
supérieur à subordonné. » D'une simplicité désarmante : elle
exigeait tout simplement que vous laissiez votre sens critique au vestiaire.
Ainsi
donc, pour profiter d'une philosophie, quelle qu'elle soit, il faudrait
accepter de se soumettre à un rapport d'autorité ; exercice
particulièrement difficile dans une époque narcissique qui s'est employée à
trucider Dieu depuis plus de deux cents ans. J'ai connu un type très
intelligent qui avait congédié son psychothérapeute parce que sa finesse
d'esprit lui avait fait apercevoir que celui-ci était « au moins aussi fou
que lui ». Mais si on est l'expert des experts, à qui donc peut-on
recourir quand on a besoin des services dont pense être l'expert? La réplique
du « celui qui le dit, celui qui l'est » pour être d'une sagesse
enfantine incontournable ne va-t-elle pas nous coincer dans un effet Larsen
philosophique aporétique?
Le
miroir philosophique est une épreuve difficile à supporter ; il exige une
humilité extraordinaire pour accepter de reconnaître que nos théories sont
avant tout des projections qui, sous l'apparence d'expliquer le monde que l'on
observe, explique bien davantage l'observateur, Seul l'observateur silencieux
peut véritablement voir le monde.