Qu'est-ce que ça veut dire?
par François Brooks
Si vous deviez vous identifier à un philosophe, lequel serait le plus en accord avec votre propre pensée? Ou alors, seriez-vous éclectique? Mais lorsqu'on adhère à un type de pensée spécifique, est-ce qu'on est encore dans le domaine de la philosophie?
Notre pensée est un temple sacré que nous essayons de protéger vaillamment contre le sacrilège de la profanation en critiquant toutes les pensées qui nous semblent la profaner. Nous la louons, la célébrons, l'encensons par les messes médiatiques qui la renforcent. Nous aimons bien nous reconnaître dans les pensées qui louent, légitiment, font exister notre « propre » pensée : celle à laquelle nous aimons nous identifier. Sacrilège et anathème à celui qui ne pense pas comme nous! Tolérance oblige, nous ne brûlons plus l'hérétique, mais nous restons toujours sur nos gardes, prêts à fustiger celui qui ose contredire notre pensée souveraine. Et nous avons l'outrecuidance de nous prétendre démocrates, défenseurs de la liberté de penser, alors que notre réaction est, avant tout, frileuse et religieuse ...
« Je ne suis pas d'accord! » s'exclame Marc avec toute la conviction de son âme. Je venais de lui exposer la vision du monde d'un philosophe. Le principal obstacle qui se dresse quand on étudie la philosophie – discipline qui prétend aider à libérer notre esprit – c'est notre liberté de penser. Marc se sent lésé dans son droit fondamental garanti par la Charte. Comment alors apprendre les philosophes si on refuse d'entendre leurs façons de voir le monde? Comment les connaître si nous jugeons leur pensée anathème?
Inspiré de Leibniz, Gilles Deleuze nous suggère une méthode : Transformer notre « Je ne suis pas d'accord! » en « Qu'est-ce que ça veut dire? ». Dans ses cours, il répétait sans cesse cette question comme son leitmotiv : Qu'est-ce que ça veut dire?... Qu'est-ce que ça veut dire?... Spinoza ne disait rien d'autre dans sa célèbre citation « Ne pas se moquer, ni déplorer, ni détester, mais comprendre ». Dans la typologie du discours, des 14 actions mentales possibles, l'action philosophique consiste essentiellement à adopter l'attitude interrogative. Le philosophe essaie de comprendre et non de prétendre ou de commenter.
C'est dans un contexte semblable que Pierre Bégin (mon premier prof de philo) me confiait un jour qu'il lisait préférablement des auteurs dont la pensée était en complet désaccord avec sa propre façon de voir les choses. Philosopher, c'est prêter son esprit à comprendre une autre pensée que la nôtre. Inversement, pratiquer un culte religieux, c'est préférer renforcer notre façon de penser en fréquentant des idées que nous avons déjà adoptées. Le philosophe cherche à comprendre ; le prêtre cherche à se conforter. Le premier pose des questions, le second apporte la Révélation.
Nous qui nous targuons (moi y compris) d'être des esprits libres, dans le quotidien, quelle est la part de nos activités intellectuelles consacrée à la découverte, comparée à celle où on ne cherche qu'à se rassurer de penser comme on pense?