Spéculations philosophiques 

 

François Brooks

2005-10-28

Essais personnels

 

Campagne Toyota
« Changeons l'avenir »

 

À quoi bon construire des autoroutes puisqu'elles seront toujours pleines ?

Pompidou

Je vis sans voiture, j'habite Montréal et je fais tous mes déplacements 12 mois par année à vélo depuis que j'ai réussi à me convaincre que l'on peut mener une vie très confortable sans auto. La propagande publicitaire qui incite à construire sa vie autour du concept « Je me déplace, donc j'existe », me pousse de temps en temps à visiter les concessionnaires. Mazda Protege, Ford Focus, Smart for 2 et Toyota Écho sont les derniers modèles qui me séduisent. J'aime bien, à l'occasion, passer quelques heures chez le concessionnaire qui m'accueille comme un seigneur et me fait gentiment essayer le beau carrosse. Depuis 26 ans sans, à force d'économiser, j'aurais maintenant les moyens, mais je me suis adapté à un style de vie tel que cette chose me serait plus encombrante qu'utile. Mes efforts restent vains. Il m'est désormais impossible de me convaincre d'entrer à nouveau dans cette manière d'exister aussi bizarre que répandue.

À propos, avez-vous remarqué l'audacieuse campagne actuelle pour la Toyota Yaris « Changeons l'avenir » ? Sur le thème très populaire de l'écologie, on évoque la notion philosophique non moins populaire de la liberté que Jean-Paul Sartre n'a cessé de promouvoir tout au long de sa carrière. La campagne suggère que nous avons la liberté de changer nos habitudes de consommation en vue d'un meilleur avenir écologique. Mais je me demande ce que Hubert Reeves et David Suzuki en pensent.

Nous savons que toute campagne publicitaire a pour objectif de mousser les ventes. Ici, l'audace est poussée très loin puisqu'il s'agit de récupérer la culpabilité écologique comme tremplin à la consommation. On associe un produit qui est reconnu pour précipiter l'effet de serre et de nombreux autres inconvénients environnementaux à la bonne conscience écolo. Elle a de plus le mérite de nous inciter à agir « librement » dans ce monde « prédestiné » de la vie automobile. Nous n'avons pas le choix de vivre sans, mais nous pouvons choisir laquelle en fonction de nos « intérêts supérieurs collectifs » (!!!)

Cette campagne est géniale. À l'instar de celle d'Air Canada qui, il y a quelques années, récupérait le slogan zen « Vous êtes votre propre destination » — Donc, à quoi bon voyager ? — celle de Toyota, Changeons l'avenir, ne suggère-t-elle pas d'éliminer la voiture de notre vie ? Mais là où la campagne de l'Agence Bleu Blanc Rouge est judicieuse, c'est qu'elle table sur le fait que notre vie est construite autour de la « nécessité » automobile. Changeons l'avenir, mais ne changeons rien à nos habitudes de vie ! Effectivement, Sartre nous a appris que nous pouvons changer l'avenir, et que c'est d'ailleurs notre seule liberté. Mais comment peut-on changer l'avenir sans changer notre manière d'être ?

Cette campagne publicitaire audacieuse suggère que, somme toute, l'automobile personnelle est une nuisance pour l'écologie, le portefeuille et l'environnement. On peut penser que Toyota joue contre ses propres intérêts, mais Frédéric Beigbeder avait montré dans 99 francs que l'univers de la pub s'accommode très bien de telles contradictions, il s'en nourrit même. La campagne plait à tout le monde : elle renforce ceux qui pensent que l'automobile est nuisible ; elle donne un exutoire à ceux qui se sentent coupables de participer au massacre collectif de la planète ; elle plait aux écologistes en promettant d'améliorer l'environnement à peu de frais ; et bien sûr, elle favorise la consommation qui est le sang oxygénant la croissance économique. Je suis curieux de voir si elle fera long feu. Celle d'Air Canada avait été retirée très vite.

Merci Bleu Blanc Rouge pour votre respect de l'intelligence du public. Grâce à vous, le marketing se démarque du bête matraquage publicitaire, et élève nos réflexions au niveau philosophique. En nous présentant honnêtement l'automobile et les inconvénients qu'elle produit côte à côte, qui pourra affirmer que nous n'avons pas fait des choix responsables ? Et si jamais l'écologie s'améliore, on vous créditera d'y avoir participé. Mais, compte tenu de la prospérité économique actuelle et de la démographie mondiale galopante, quoique essentiel, je doute que cet accommodement de la masse à de plus petites voitures ne soit qu'une solution rustine. Nous avions jadis une seule grosse voiture par famille ; nous en aurons maintenant plusieurs. En opérant la même réduction sur vos slogans, on a compris le nouveau message : Roulez plus, laissez votre argent, donnez-nous plus !

Philo5
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