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2003-10-04 |
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Les 8 sens |
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La Mettrie, L'Homme-Machine, 1747. Nous parlons toujours des cinq sens : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goûter et le toucher. Le corps en comporte pourtant trois autres aussi importants : l'équilibre, la proprioception et le sens du temps. Examinons-les.
Le 7e sens, la proprioception, est bien connu des danseurs.
Il fonctionne en étroite collaboration avec les sens du toucher et de l'équilibre.
Il s'agit de l'information que les muscles envoient au cerveau quant à la variation de force nécessaire pour les activer en fonction de la gravité.
Le sens de la durée a permis au chercheur Michel Siffre de déterminer — dans une caverne, sans montre, et coupé de toute référence solaire — que le corps a des cycles quotidiens d'une durée d'environ vingt-quatre heures et trente minutes. Ils peuvent être gravement compromis lorsque, privé des cycles naturels, on s'oblige à veiller de façon inhabituelle sur de longues périodes. Les hallucinations se produisent après trois jours sans dormir, parfois moins. Le cycle circadien brisé des travailleurs de nuit, ou sur des quarts variables, sont exposés à de tels dérèglements. Le rythme est aussi une fonction sensorielle relative à la perception du temps. Le coeur est l'horloge qui scande la cadence du corps. Il participe à la sensation subjective du temps. Quand le coeur bat rapidement nous agissons plus vite et percevons le monde comme plus lent ; et inversement, tranquille, au repos, le rythme cardiaque lent nous donne l'impression que le temps passe vite. L'intensité de l'attention raccourcit la sensation subjective du temps. Il passe rapidement lorsque nous sommes captivés par une activité intéressante. Au contraire, l'ennui le rallonge. Mais il ne s'agit pas ici d'une information sensorielle puisque l'enthousiasme est un facteur psychologique et non l'information provenant d'un dispositif sensoriel. Le sens du temps est fortement influencé par la dimension sociale qui le verrouille. À long terme, il nous informe sur le groupe d'âge auquel nous appartenons — jeune, le temps semble long ; âgé, il passe vite. À moyen terme, il impose la synchronisation sociale. Les rendez-vous, les cycles communautaires, anniversaires et activités programmées imposent la convergence des temps personnels. À court terme, il entraîne la coordination — par exemple, lorsque nous travaillons sur un projet de groupe, pour le sport d'équipe ou la danse, nous ajustons la cadence pour optimiser la réussite et l'harmonie.
Le phénomène se produit aussi en biologie. Saviez-vous que dans un couvent, les périodes menstruelles des religieuses ont tendance à se synchroniser naturellement ? [2] Si les organismes vivants et les assemblages mécaniques communiquent leur rythme aux autres éléments par la structure à laquelle ils appartiennent, nous pouvons alors estimer que le sens du rythme appartient au sens du temps.
Les sens s'émoussent avec l'âge : la vue baisse, l'ouïe diminue, l'équilibre devient instable, la perception du temps s'abrège. Nous éprouvons la sensation que le temps s'écoule de plus en plus rapidement alors que les autres constatent notre ralentissement. Peut-on alors considérer ce ralentissement comme une perte sensorielle ? Et si le temps est le premier sens, la mort, en supprimant tous les autres, abolit finalement le temps. Mais peut-être devrons-nous bientôt considérer l'existence d'un neuvième sens. En effet, André Mayer propose, dans Apologie des contraires [5], l'idée que le genre pourrait être considéré comme un sens à part entière. Se sentir femme ou homme — ou quelque part entre les deux — serait-il lié à une émanation ou configuration corporelle qui en donnerait le sentiment ? Pourrait-on attribuer ce sens, par exemple, à nos organes sexuels ? La nature qui, sous la forme sexuée la plus rudimentaire du mollusque, quoique dépourvue de la vue de l'ouïe et de tous les sens reconnus tels, n'en a pas moins la perception de ce qui lui est nécessaire pour se reproduire. Si un sens, par définition, est un dispositif par lequel les êtres animés perçoivent les impressions du monde extérieur, le genre serait-il le neuvième sens ? |
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[1] C'est ce que Kant nomme le « sens interne » dans la Critique de la raison pure, 2e section, § 6, GF-Flammarion © 2006, pp. 128-129. (Voir le texte fondateur de Kant, L'espace et le temps.) [2] Maxime Sainte-Marie, Les horloges sympathiques : l'organisation sociale au rythme de la syntonisation, LES CAHIERS DU LANCI, UQÀM 2008. p. 14. [3] Cité par Viviane Pouthas, Dossier Le sens du temps in Cerveau & Psycho No. 32, Mars-Avril 2009, p 48. [4] Maxime Sainte-Marie, Les horloges sympathiques : l'organisation sociale au rythme de la syntonisation, LES CAHIERS DU LANCI, UQÀM 2008. [5] André Mayer, Apologie des contraires, Éditions Carte blanche © 2008, p. 198.
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