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Michel Tozzi |
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Chronique sociale © 2011 |
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Identifier le type de question |
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Exercice 11, p. 176 |
(P) Entendue comme « Quel est le sens du mal ? », la question est de type philosophique. Machiavel a montré dans Le Prince comment, dans certaines circonstances, le mal peut servir le bien commun. On peut être d'accord ou non, et c'est là qu'apparaît le sens philosophique puisque chacun apportera sa vision personnelle de ce qui est acceptable. De son côté, Leibniz avait répondu que le mal n'existe pas du point de vue de Dieu puisque celui-ci a créé le meilleur des mondes possibles. Voltaire avait protesté vigoureusement contre cette vision dans Candide ou l'Optimisme. (F) Entendue comme « Pourquoi le mal arrive-t-il ? », la question est factuelle. Nous considérons notre propre vie comme un fait ; toute atteinte porte à nous protéger instinctivement. En ce sens, il n'y a aucune interprétation philosophique qui tient. Je l'ai compris le jour où, au travail (je gagnais ma vie en pratiquant le métier d'électricien d'éclairage), coincé dans une nacelle à huit mètres du sol, un court-circuit a provoqué une explosion qui m'a projeté un jet d'étincelles continu au visage. Pris de panique, je devais m'en sortir par tous les moyens. À ce moment, la question Pourquoi le mal ? était absurde. Je percevais un mal factuel auquel je devais échapper. Hors de danger, la question est technique : qu'est-ce qui a provoqué le court-circuit ? 2. Quel est l'écart moyen de salaire entre une femme et un homme ? (P) Entendue comme « Pourquoi l'écart de salaire à travail égal ? », la question est de type philosophique. Simone de Beauvoir ne voyait pas de différence entre l'homme et la femme. Elle résume le sens philosophique de cette question ainsi : cette situation est un mal qu'il faut combattre puisque la femme est l'égale de l'homme. Schopenhauer aurait soutenu au contraire que le salaire de la femme est moindre puisque sa capacité est inférieure. Posée ainsi, cette question dévoile le sens philosophique du féminisme qui conteste l'inégalité, et non pas seulement l'écart salarial. (F) Entendue comme « Quel est l'écart statistique ? », la question est factuelle, mais ce fait mène à une interprétation qui suggère la question suivante : Comment doit-on interpréter l'écart ? Et l'interprétation, encore une fois, sera philosophique ou factuelle. 3. Peut-on apprendre à mourir ? (P) Entendue comme « Quel est le sens de la mort ? », la question est de type philosophique. Socrate disait que le véritable philosophe s'exerce à mourir (citation #90). Épicure propose le tétrapharmacon dans lequel il expose une approche qui guérit de la crainte de la mort. Montaigne, à la suite de Cicéron affirmait que philosopher, c'est apprendre à mourir (citation #457). Le sens de la vie et de la mort est une question essentielle en philosophie. (F) Entendue comme « Comment mourir ? », la question est factuelle. Dans le livre Suicide, mode d'emploi, Claude Guillon et Yves Le Bonniec, expliquent les aspects historiques et techniques de la mort vue comme un exercice à réussir. D'autre part, techniquement, pour l'être, est-il possible de mourir ? (Voir les textes Quand on est mort, le temps passe vite et La fin du monde.) 4. Le rap et le tag peuvent-ils être de l'art ? (P) Entendue comme « Le rap et le tag ont-ils un sens artistiques ? », la question est de type philosophique. Kant définit l'art en général comme l'activité humaine volontaire et délibérée se distinguant de l'action de la nature, suite de causes dont chacune découle naturellement de la précédente. Chez les Grecs de l'Antiquité l'art a deux composantes distinctes : ars et tecknê. La première est l'habileté artistique, l'inspiration divine — la seconde est la connaissance technique, la maîtrise des moyens d'exécution. À ce titre, le rap et le tag sont évidemment de l'art.
(F) Mais quand l'art devient reconnaissable par la technique employée la question devient
« Est-ce que le rap et le tag sont des techniques ? », la question est factuelle. 5. Lors de la formation de l'Univers, quel a été le mécanisme du Big Bang ? (P) Entendue comme « Le Big Bang est-il une explication acceptable de la genèse de l'Univers ? », la question est philosophique. C'est parce que l'homme cherche à donner un sens à son existence qu'il se questionne sur ses origines et celles de l'Univers. La Bible présente un récit définitif de la création du monde, mais la question de la genèse de l'Univers n'a pas pris une ride. Elle est toujours débattue vivement et les réponses apportées par la science amènent sans cesse de nouvelles questions. (F-S) Entendue comme « Le Big Bang est-il un fait que l'on peut expliquer scientifiquement ? », la question est factuelle. Carl Sagan a expliqué la théorie du Big Bang par l'observation de faits astronomiques vérifiables. Mais Karl Popper rappelle que ce qui est scientifique doit être réfutable sinon, nous entrons dans le domaine de la foi. 6. Comment stocker, sans danger pour l'environnement présent et à venir, les déchets nucléaires ? (F-T) Entendue comme « Quelle technique utiliser ? », la question est factuelle. Nous avons observé de nombreux faits qui montrent que les déchets nucléaires sont dangereux pour l'homme et l'environnement. (P) Entendue comme « Ne pourrions-nous pas éliminer le problème à la source en bannissant l'utilisation du nucléaire ? », cette question semble technique, mais elle comporte des considérations philosophiques comme : « Ne pourrions-nous pas vivre aussi confortablement en réduisant la consommation énergétique ? » ou encore « Notre bien-être exige-t-il une aussi grande utilisation d'énergie ? » Les bouddhistes trouvent leur bonheur en restant assis à méditer sans consommer d'énergie. La communauté Amish a su se perpétuer sans adhérer au mode de vie énergivore du monde moderne. Ne pourrions-nous pas nous inspirer de ces idéologies pour envisager une solution durable à la question purement technique ? 7. Pourquoi la femme devrait-elle être l'égale de l'homme ? (P) Entendue comme « La femme devrait-elle être l'égale de l'homme ? », la question est philosophique. Quel sens la femme moderne veut-elle donner à son existence ? Si elle se mesure toujours à l'auge de l'homme, devra-t-elle renier sa propre nature ? Simone de Beauvoir disait qu'on ne naît pas femme, mais qu'on le devient. Certaines femmes ont compris que cette forme de pensée les privait des prérogatives traditionnelles et se sont distancées de la vision beauvoirienne tout en revendiquant l'égalité (Bosio-Valici). Ainsi, sont-elles égales à l'homme tout en conservant leur spécificité féminine et les privilèges inhérents. Mais si la femme est l'égale de l'homme, ne se prive-t-elle pas de quelque chose d'essentiel lorsqu'elle choisit de vivre en fonction des critères masculins ? (F-S+J) Entendue comme « La femme est-elle égale à l'homme ? », la question est factuelle. D'un point de vue scientifique, toutes les études anatomiques montrent des différences évidentes. Sur le plan juridique, les lois reconnaissent aujourd'hui à la femme des droits égaux. 8. Quel philosophe a dit : « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant » ? (F-H) Aucune interprétation possible ; c'est une question de fait historique ; Pascal a écrit « L'homme est un roseau... ». (P) Mais « cette pensée provient-elle véritablement de lui ? » Voilà une question de type philosophique puisque l'origine pourrait en modifier le sens. Notre société moderne accorde tant d'importance à la propriété personnelle qu'elle a créé une instance juridique appelée « propriété intellectuelle ». En regard d'une société marchande qui transforme tout ce qu'elle produit en biens de consommation, ceci a une importance capitale puisque cette notion va permettre à ceux qui ont des idées « originales » d'en tirer le bénéfice de la vente. Mais qui peut véritablement prétendre être à l'origine de ses propres idées alors que celles-ci fusent de partout, se forment et se déforment au fil des associations qui nous sont suggérées par notre environnement intellectuel, social et culturel ? Si Pascal a effectivement écrit « L'homme est un roseau... est-il cependant possible que l'idée lui ait été inspirée sans qu'il cite la source ? (P) Entendue comme « Quel sens donner à ma vie pour être heureux ? », la question est philosophique. La quête du bonheur est en tête de liste des préoccupations philosophiques et — bonne nouvelle ! — elle ne semble pas être vaine puisque nombreux sont les philosophes qui paraissent l'avoir trouvé — ne serait-ce que par la simple recherche — en suivant eux-mêmes la voie qu'ils proposent pour y parvenir. Antisthène, Pyrrhon d'Élis, Épicure, Aristippe, Cicéron, Sénèque, Marc Aurèle, Thomas d'Aquin, Karl Marx, John Stuart Mill et bien d'autres ont chacun conçu les valeurs à adopter pour chercher le type de bonheur qu'ils proposent. Cependant, les avis sont si contradictoires et les directions si nombreuses que la question se renouvelle sans cesse avec autant d'acuité. C'est pourquoi Socrate recommandait de se connaître soi-même ; première étape essentielle pour reconnaître la voie de son propre bonheur. (F) Entendue comme « Que dois-je faire pour être heureux ? », la question est factuelle, organisationnelle. Il faut s'enrichir. L'argent fait le bonheur puisqu'il peut tout acheter. La publicité ne cesse de présenter les objets que nous devons posséder pour être heureux. Le bonheur clefs en main consiste à se rendre maître d'un univers composé d'objets et de gens soumis à notre volonté. Tant que je m'enrichis, je ne suis peut-être pas encore heureux, mais je sais que le jour où j'aurai trouvé l'objet du bonheur, je serai en mesure de me l'offrir si j'ai la somme nécessaire. 10. Qui doit être le père de l'enfant qu'une femme a eu avec son amant ? (P) Entendue comme « À qui devrait-on attribuer la paternité de l'enfant né de l'amour libre ? », la question est philosophique. La paternité se reconnaît par les influences morales. En ce sens, dans une société libre et libertine, c'est l'enfant qui choisit son père à partir des valeurs qui lui plaisent. Le résultat peut être discutable puisque ça revient à dire que l'enfant peut être son propre père. Est-ce souhaitable ? Comment peut-on s'autogénérer ? Comment naître de soi-même ? (F+T) Entendue comme « Qui à fécondé la femme ? », la question interroge le fait technique. Le père biologique est évidemment celui qui a produit le sperme qui l'a fécondée.
(F+J) Entendue comme
« Qui devrait être le père de l'enfant illégitime ? », la question est juridique.
La loi prévoit ce cas et l'État s'en porte garant. La notion d'enfant bâtard est aujourd'hui disparue du Code civil. Tout enfant se voit reconnaître le droit à la vie, la protection et
l'éducation. Ainsi, une femme peut avoir recours à l'aide sociale pour élever seule son enfant et l'école publique lui enseignera les valeurs de la culture du pays où il est né. 11. Comment un homme pourrait-il être enceint ? (P) Entendue comme « Un homme peut-il enfanter ? » prend un sens philosophique si nous pensons à la création. La religion donne à Dieu le Père les attributs masculins et la fonction d'engendrer le monde. Dans la mythologie grecque, Dionysos est né de la cuisse de Zeus. Dans la Bible, Ève est née d'une côte d'Adam. D'autre part, un homme n'accouche-t-il pas de ses idées lorsqu'il dresse les plans de sa maison pour ensuite la construire ? L'enfantement pour l'homme revêt un sens spirituel. (F+T) Entendue comme « Comment un homme pourrait-il être enceint ? », la question est factuelle. Il se peut que les techniques chirurgicales et biologiques le lui permettent un jour, tout comme les transplantations d'organes sont aujourd'hui courantes. Mais ainsi transformé, pourrait-on encore considérer le géniteur comme un homme s'il était doté de tous les attributs de la gestation ? Lorsque par opération chirurgicale et traitement hormonal le mâle change de sexe, les modifications corporelles et psychologiques nous permettent-elles de le considérer encore comme un homme ? Est-ce son désir véritable ? D'ailleurs, quelle part factuelle sociale y a-t-il dans l'attribution des rôles psychologiques des hommes et des femmes? Simone de Beauvoir pensait que le genre est une création culturelle. 12. Les fichiers informatiques sont-ils une menace pour les libertés ? (P) Entendue comme « Les registres informatiques menacent-ils les libertés fondamentales ? », la question est philosophique. Dans l'éventualité d'une divulgation libre d'informations confidentielles, le citoyen peut-il craindre de voir ses libertés fondamentales diminuées ? Qu'est-ce que la liberté ? Quelle valeur lui attacher ? La confidentialité d'une information donne un sens à celle-ci. Elle la pose comme sacrée. C'est-à-dire qu'il est interdit d'y toucher sans se soumettre à un protocole d'utilisation qui respecte la liberté du citoyen. Si le citoyen est contrôlé, s'il perd en quelque sorte son caractère mystérieux, il peut alors être l'objet de manipulations comme les masses qui se soumettent aux sondages. (F) Entendue comme « Les fichiers informatiques réduisent-ils la liberté ? », au sens pratique, la question est factuelle. La facilité d'accès à l'information et la multiplication des fichiers de données simplifient les tâches qui étaient autrefois colossales. En facilitant la libre circulation de l'information les fichiers informatiques nous libèrent des limitations traditionnelles du papier. 13. Peut-on vivre séparément sans être juridiquement divorcé ? (P) Entendue comme « Doit-on être juridiquement divorcé pour se permettre de ne plus vivre sous le même toit ? », la question est philosophique si nous sommes attachés à des valeurs religieuses qui obligent à vivre en compagnie du conjoint. Ces valeurs sont aujourd'hui désuètes, et l'on se demande quelle force pourrait retenir l'ex-partenaire à cohabiter contre sa volonté. La société actuelle considère l'amour romantique comme sacré. C'est ce qui nous dicte aujourd'hui de nous séparer lorsque Cupidon disparaît. (F) Entendue comme « Est-ce nécessaire d'être divorcé juridiquement pour vivre séparé ? », la question est factuelle. La séparation de corps est un fait, tout comme le jugement déclarant le divorce. Dans les faits, rien n'obstrue concrètement le départ du conjoint ; la vie matrimoniale n'est pas une prison avec des barreaux. 14. Le Christ a-t-il historiquement existé ? (P) Entendue comme « Le Christ, en tant que messie annoncé par les prophètes, a-t-il historiquement existé ? », la question est philosophique et théologique. Le messie est le sauveur annoncé par Dieu dans l'Ancien Testament. Notre vie a un sens différent si nous adhérons à cette croyance ou non. Les chrétiens y croient ; pas les Juifs. (F+S) Entendue comme « Ieschoua (nom de Jésus en araméen) a-t-il historiquement existé ? », la question est factuelle. Le fait historique n'a pas encore été démontré de manière probante. (P) Entendue comme « Est-il moral d'avorter ? », la question est philosophique éthique. Nos valeurs permettent-elles de le faire ? Quel sens a pour nous l'avortement et quel sens notre vie revêtira-t-elle après un tel événement ? Est-il moral d'avorter quand l'enfant à naître est le fruit d'un viol, d'une maternité ou une paternité non désirée ? Quand il y a des risques graves pour la santé de la mère ou une infirmité de l'enfant ? Chacun fait selon sa conscience, mais chacun doit aussi assumer. (F-T+J) Entendue comme « Avons-nous les moyens techniques de nous assurer un avortement sécuritaire pour la mère ? », « Peut-on avorter sans représailles judiciaires ? », « Avons-nous l'argent pour défrayer les coûts ? », ces questions sont factuelles, techniques et juridique. |
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