POUR |
CONTRE |
La peine de mort est une sanction dissuasive. Tout être humain a peur de mourir. Cette menace intimidera celui qui s'apprête à tuer. Aux États-Unis, on a constaté que les criminels sont attirés par les États où elle a été supprimée. Un seul hésitant évitera une victime. J'argumente ainsi l'utilité de la peine de mort, son efficacité pour la paix sociale. Ce type d'argument est technique, car cherchant à résoudre un problème pratique — comment éviter les assassinats révoltants ? — il nous apparaît comme le meilleur moyen. L'utile, c'est « ce qui a sa valeur non pas en soi-même, mais comme moyen d'une autre fin jugée bonne » (Lalande [1]). L'efficacité, c'est la pertinence du moyen utilisé par rapport à l'objectif poursuivi, celui qui produit l'effet visé. |
Pourtant certains diront que ces arguments ne sont pas convaincants puisque d'autres études [2] ont montré que le taux de meurtres n'était pas nécessairement moindre dans un pays où la peine de mort est en vigueur. Ce moyen n'apporterait pas la garantie d'efficacité recherchée. |
POUR |
CONTRE |
Je peux soutenir maintenant que la peine de mort coûte moins cher au contribuable que d'entretenir des délinquants en prison : moins de bouches à nourrir, de cellules à construire, de gardiens à payer, donc moins d'impôts. J'argumente ici sa rentabilité, je me situe au niveau financier, celui du meilleur coût d'une solution à un problème. Il s'agit d'un argument de type économique. La rentabilité, c'est ce qui permet d'abaisser le prix et de dégager des bénéfices. |
Je peux aussi soutenir que le nombre de meurtriers gardés en vie n'est pas si élevé qu'il puisse représenter une charge significative à comparer avec le PNB. La charge qu'ils occasionnent contribue à faire rouler l'économie. De plus, un prisonnier peut faire un travail lucratif et subvenir à ses propres besoins. On pourrait même rentabiliser le travail des prisonniers de telle sorte qu'ils produisent davantage qu'ils ne coûtent à la société. Tuer le meurtrier serait alors nous priver d'une ressource économique appréciable. |
POUR |
CONTRE |
Par contre je peux affirmer que la société, et l'État qui organise sa vie en commun, a le devoir de protéger ses membres : c'est de la légitime défense que de prévoir dans la loi la suppression des assassins. Je change ici de registre, je me place d'un point de vue juridique, politique, plus largement éthique, parce que je pose un problème de légitimité, ici d'une sanction pénale, au nom d'un certain nombre de valeurs ; par exemple le respect de l'intégrité physique des individus, la cohésion sociale, l'ordre public, etc. |
La protection de la population est essentielle. Comme nous construisons des pénitenciers à sécurité maximum, la sûreté des citoyens est assurée dès que le meurtrier est en prison. Du point de vue éthique, on peut dire que le meurtrier est un produit de la société et que celle-ci est globalement aussi coupable que lui. Tuer l'assassin serait donc passer à côté de l'objectif ; si on ne change rien aux conditions d'apparition de la criminalité, la société en fabriquera d'autres encore. De plus l'erreur judiciaire, toujours possible, peut envoyer un innocent à l'échafaud [3]. Une réelle protection de la population passe donc par l'étude et l'élimination des conditions d'apparition de la criminalité. La peine de mort nous priverait d'une source d'information importante. [4] |
POUR |
CONTRE |
Il est logique de tuer quelqu'un qui a supprimé la vie d'un autre, puisqu'il ne l'a pas respectée : la loi du talion [5] rétablit l'équilibre rompu, en proportionnant la sanction à la faute. |
Sur la loi du talion, Victor Hugo écrit ceci : « Que dit la loi ? Tu ne tueras pas ! Comment le dit-elle ? En tuant ! » Le Mahatma Gandhi montra l'absurdité qui s'en suit « Oeil pour oeil est une loi qui finira par rendre le monde aveugle ». Logiquement cette loi fait de nous, collectivement, des meurtriers : d'abord le bourreau, ensuite le juge, le policier, la victime qui s'est plainte, les ministres qui ont voté la loi et, pour finir, le peuple entier qui a élu les ministres. En démocratie, si on poursuit la logique de « qui a tué doit être tué », on devrait donc envoyer tout le monde à la peine capitale [5]. Si nous sommes contre le meurtre, nous devrions donc, logiquement refuser de tuer un être humain. |
POUR |
CONTRE |
Maintenant, si je prétends que la peine de mort, par son caractère exemplaire, donne à réfléchir aux éventuels candidats au crime, j'en appelle à l'efficacité. Mais si j'ajoute qu'il faut rétablir les exécutions publiques, pour que cette dissuasion s'enracine dans la vue horrible de la tête qui tombe, je suis dans le registre de la sensibilité, et par exemple de l'esthétique (au sens large). |
La tête sanguinolente du condamné peut aussi, pour d'autres, assouvir leur bas instinct esthétique. Une foule assoiffée de sang peut y prendre plaisir. À l'encontre du but recherché, ce spectacle va plaire et attirer une clientèle qui va en redemander. Qui sait si les erreurs judiciaires seraient alors facilitées pour obtenir les exécutions convoitées. Peut-être aussi le désir du meurtrier d'être montré en public le motiverait à tuer. N'est-ce pas la raison pour laquelle la plupart des exécutions ne sont pas montrées en public ? |
Le débat sur la peine de mort est de nature publique. L'individu concerné personnellement ne peut raisonner lucidement. Allez donc dire au père dont la jeune fille vient d'être assassinée dans des conditions ignobles qu'il doit réfléchir philosophiquement sur la question de la peine de mort ! Léo Ferré, malgré les poésies où il exprime sa compassion pour deux condamnés à mort — La mort des loups —, disait que si jamais on s'attaquait à ses enfants, il se ferait justice lui-même. Mon vieil ami Jean Paquin avait coutume de dire : « Je suis contre l'avortement jusqu'à ce que je sois personnellement concerné ». Il ajoutait qu'il avait eu la chance de ne jamais avoir été personnellement concerné. Qui peut dire ce qu'il faut véritablement en penser ? La peine de mort fut d'abord remise en question à la suite d'erreurs judiciaires. Avant la Révolution française, c'est de droit divin que l'on condamnait un assassin à mort. Par la suite, le peuple est devenu pleinement responsable des lois qu'il édictait à travers ses élus. Les électeurs sont alors devenus la voix de Dieu ( vox populi, vox dei ). Peut-on penser que c'est à ce moment que le peuple a commencé à s'humaniser puisqu'il ne pouvait plus se cacher derrière Dieu et le roi ? Devant assumer la pleine responsabilité de ses lois, la peine de mort est devenue pour le citoyen un enjeu moral inévitable alors qu'avant, cette question était l'affaire de Dieu. Nous devons donc analyser le pour et le contre de cinq types d'arguments philosophiques si nous voulons ancrer solidement notre prise de position ; sinon elle risque d'être considérée comme une opinion sans valeur. |
Argument |
Je suis POUR |
Je suis CONTRE |
1. Technique |
Ça sert, ça marche, ça fonctionne, c'est utile, efficace, performant, réalisable. |
C'est inutile, inefficace, inadapté, nuisible, dépassé, impossible. |
2. Économique |
C'est gratuit, économique, rentable, du meilleur coût, bon rapport qualité-prix, temps-argent. |
Trop cher, coûteux, d'un mauvais rapport effort-résultat. |
3. Éthique |
C'est bien, vrai, moral, correct, légitime, légal, raisonnable, un droit, un devoir, une vertu, une sagesse. |
Mal, faux, illégitime, illégal, irrespectueux, injuste, inégalitaire, dominateur, exploiteur, aliénant, égoïste, péché, infraction, agression. |
4. Logique |
C'est logique, cohérent, rationnel, prouvé, démontré, vérifié, compatible. |
Illogique, incohérent, contradictoire, indémontrable, invérifiable, hypothétique, imaginaire, illusoire. |
5. Esthétique |
C'est beau, agréable, plaisant, alléchant, délicieux, confortable, harmonieux, élégant, propre, doux. |
Laid, désagréable, déplaisant, dégoûtant, répugnant, inconfortable, cacophonique, disgracieux, sale. |
Arguments historiques, sociologiques, psychologiques, scientifiques, factuels, relatifs Nombre d'arguments s'appuient sur des explications, des analyses, des appels à des connaissances pour détruire des préjugés. Ils vont plus loin qu'une simple logique, et s'appuient sur des faits, des hypothèses, des lois. Ils en appellent à des vérités établies : révélées dans une perspective religieuse, ou vérifiées d'un point de vue scientifique. Ces arguments sont appuyés par une connaissance qui sort du cadre strictement philosophique.
Exemple : Celle-ci vous apparaît-elle illégitime parce que minoritaire ? L'hétérosexualité, majoritaire, ne serait donc qu'une norme sociale, c'est-à-dire un conformisme. (Argument de type sociologique.) Sachez qu'elle fut par exemple chez les soldats spartiates — réputés pour leur endurance et leur vaillance — une initiation valorisée et obligatoire. L'amour grec — et la Grèce n'est-elle pas le berceau de notre culture ? — était homosexuel, reléguant les relations conjugales à une fonction secondaire, domestique et reproductrice. Ce qui montre la relativité de la notion de virilité. (Argument de type historique, débouchant sur un relativisme culturel, de type sociologique.) De plus on peut penser que l'agressivité contre les homosexuels est d'autant plus forte chez un homme qu'il supporte mal en lui sa part de féminité. (Argument introduisant le soupçon par une explication psychologique), etc.
Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. Pascal
Tous les arguments ci-dessus proposent l'exercice de la rationalité, c'est pourquoi nous les qualifions de « philosophiques ».
Mais il existe deux types d'arguments puissants sur lesquels nous comptons pour justifier une grande part de nos opinions. À partir de ces critères, libre à vous maintenant d'éclairer vos prises de position avec les arguments qui vous aideront à échapper aux forces aveugles de l'habitude et des pulsions. Ne vous en laissez plus imposer. Vous avez maintenant les outils qu'il faut pour étayer solidement une pensée personnelle bien articulée. Cependant, n'oubliez jamais que l'opinion de celui qui a du pouvoir a toujours plus de poids que celle du quidam, aussi étayée soit-elle. C'est mon opinion ; libre à vous de la contester. |
[1] André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie (1927), PUF © 2010. [2] Étude du DPIC : 88 % des criminologues ne croient pas que la peine de mort produise un effet dissuasif efficace. (anglais) [3] « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. » (Voltaire, Zadig, 1747) [4] Michel Onfray, L'injustice de la justice, 2008. [5] « Si quelqu'un blesse une autre personne, on le blessera de la même façon : fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent. On lui rendra le mal qu’il a fait à l’autre. Si quelqu’un tue un animal, il doit le remplacer. Si quelqu’un tue un être humain, il faut le faire mourir. », La Bible, Lévitique 24:19-21.
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