Passages choisis 030615
par Jean-Louis Servan-Schreiber
Éditions Fayard © 1983
* * *
p. 69
Au début des années 70, un chercheur, Alec MacKenzie, a fait ainsi dresser à des groupes très variés de responsables leur liste de « voleurs de temps ». La bande de voleurs au complet comprend les effectifs suivants :
Voleurs externes :
Appels téléphoniques imprévus ou inutilement longs
Collègues ou collaborateurs entrant exposer leurs problèmes ou faire la conversation
Politique de la porte ouverte, « devoir » de disponibilité
Visiteurs, clients, fournisseurs débarquant à l'improviste
Personnel insuffisamment formé ou compétent (en particulier, secrétariat déficient)
Le patron, ou pire, plusieurs patrons
Les repas d'affaires, cocktails de promotion et autres soirées pour visiteurs étrangers
Réunions trop fréquentes, trop longues, mal préparées
Démarches administratives personnelles ou familiales
Entretien, réparation de machines en panne (voiture, lave-linge, télévision)
Rendez-vous (médecins, leçons de musique, sports) pour les enfants avec nécessité de les y conduire
Ménage, courses, cuisine
Interruptions par ses enfants (ou ses parents)
[Publicités omniprésentes sous mille formes captant notre attention.]
p. 70
Voleurs internes
Priorités et objectifs confus et changeants
Absence de plan de travail quotidien
Travaux non terminés, encore « en cours »
Pas de dates limites auto-imposées
Tendance à en faire trop, perfectionnisme
Manque d'ordre, bureau mal rangé
Confusion et doublons dans les responsabilités
Délégation insuffisante
Attention excessive aux détails
Retard à traiter les conflits
Résistance au changement
Intérêts dispersés et trop nombreux
Inaptitude à dire « non »
Manque d'informations, communications insuffisantes (ou excessives)
Indécision ou décisions trop rapides (ou prises en comité)
Fatigue, baisse de forme
p. 71
Si on est honnête vis-à-vis de soi-même, en relisant la liste des voleurs « externes », on se rendra compte qu'une grande partie d'entre eux ne sont que des « internes » déguisés.
p. 108
Chacun d'entre nous peut ainsi souhaiter disposer dans sa vie de temps spécifique dans les domaines suivants (énumération à dessein sans hiérarchie) :
Temps du corps
Le nourrir, l'habiller, le soigner, le toiletter, l'entraîner
Temps des loisirs
Cinéma, télévision, concerts, théâtre, faire la fête, dîners au resto,
réceptions, manifestations de groupe, jeux de société, sports (à voir et à
faire), s'amuser.
Temps du plaisir
Au sens de sensualité, animalité, réalisation de fantasmes
Temps de la consommation
Magasinage et ensuite, bricoler, ranger, bref, profiter des objets que nous
avons fait entrer dans notre vie.
Temps des voyages
La découverte, l'aventure, le dépaysement, les vacances.
Temps du repos
Dormir suffisamment sans hypothéquer notre forme et notre santé sur nos
heures de sommeil.
Temps de l'amour
Prendre le temps d'aimer, de caresser, de cajoler et de faire plaisir à
celle ou celui qu'on aime
Temps des autres
Être un ami, réserver de la disponibilité pour rencontrer, projet
communautaire.
Temps de la famille
Cérémonies, expéditions ou câlins collectifs
Temps de la lecture
Journaux, revues, livres, érudition personnelle.
Temps de développement
Étudier, participer à des ateliers de croissance personnelle
Temps de la création
Musique, peinture, bricolage, écriture
Temps de la méditation
La beauté, la voie lactée, les interrogations existentielles, le zen, la
nature.
Temps de la régression
Se rouler par terre avec nos enfants, nos animaux, chanter à tue-tête, faire
le pitre, faire la bête.
Temps de la solitude
Peu d'entre nous ont envie de vivre en solitaires, mais qui n'aimerait enfin
être un peu seul?
[1] Jean-Louis Servan-Schreiber, L'Art du temps, Éditions Librairie Arthème Fayard © 1983.
Aujourd'hui, la plupart d'entre nous ont mal à leur temps et ne savent pas que ça se soigne. Serait-ce le mal du siècle?
Beaucoup plus que de l'argent, le temps c'est la vie. On ne peut se résigner à un malaise qui mine à la fois notre efficacité et notre sérénité. L'homme moderne a maîtrisé depuis un siècle et demi la santé, le bien-être matériel, la vitesse, la communication, l'espace et maintenant son corps. Sa prochaine conquête évidente, c'est celle de son temps.
Jean-Louis Servan-Schreiber, journaliste, patron de presse, auteur et père de famille, essaie de tout mener de front. Plutôt que de se battre avec le temps qui lui manquait, il a essayé de l'apprivoiser. Il en a tiré une expérience, une réflexion, et même une méthode. Il a écrit L'Art du temps, best-seller dès sa parution, pour dire à tous ceux qui vivent les mêmes tiraillements que lui : « Vous n'êtes pas seuls, on peut s'en sortir... et aussi en rire. »