Passages choisis 061009

Soumission à l'autorité [1]

par Stanley Milgram

Éditions Calmann-Lévy © 1974

Stanley Milgram (présentation)

Préface

Petite annonce dans le journal local

Distribution des rôles

Nature du test

Résultats

Conclusion

Controverse sur l'expérience

Dernier mot du Dr Milgram

* * *

 Stanley Milgram

Stanley Milgram (New-York 1933 – id. 1984)

Ph. D. de l'université Harvard,

Professeur à l'université Yale et Harvard,

Professeur de Psychologie au City University de New York,

Décédé à l'âge de 51 ans d'une crise cardiaque.

[En 1946, au procès de Nuremberg, les accusés plaidaient tous l'innocence pour cause de soumission à l'autorité. Quinze ans après l'horrible découverte d'exterminations humaines massives par les nazis, Stanley Milgram a mis au point une méthode pour étudier le phénomène. Il a mené, de 1960 à 1963 (à l'université Yale, New Haven, NY), une expérience ayant pour but de déterminer les limites de la soumission à l'autorité et la responsabilité de l'individu. Il cherchait à comprendre les mécanismes psychologiques qui font taire le libre arbitre lorsqu'un individu est soumis à un ordre hiérarchique. Il allait découvrir sous quelles formes et comment ceux-ci se présentent au quotidien.]

Préface

p. 12

[...] tout ouvrage scientifique est sélectivement déformé au cours du processus de vulgarisation. [...]

Cette optique particulière, jointe au parti-pris de minimiser la façon dont l'obéissance dépend étroitement des conditions de l'expérience, révèle d'abord le désir d'aboutir à des conclusions simples, alors même que la réalité est complexe. [...]

Dans la réalité quotidienne, l'individu ne peut jamais agir in vacuo, il doit toujours le faire dans une situation spécifique. En outre, quoi qu'il arrive à l'individu, ou d'ailleurs à toute organisation humaine, cet événement ne peut se produire que par l'intermédiaire du contexte immédiat, physique et social, dans lequel la personne se trouve à un moment donné. [...]

[...]Au premier niveau, cette analyse est extrêmement banale. Mais il est surprenant de constater combien il est difficile de garder présentes à l'esprit les contraintes exercées par la situation ; la plupart des gens sont à la recherche d'une explication totalement personnalisée de l'obéissance, sans tenir aucun compte des pressions exercées sur l'individu par les conditions spécifiques de la situation, lesquelles, d'après mes expériences, sont d'une importance capitale dans la détermination de la soumission ou de la rébellion.

[...] Je souhaite en outre qu'il suscite chez ses lecteurs une compréhension plus approfondie de la force de l'autorité dans notre vie et que, par voie de conséquence, il abolisse la notion de l'obéissance aveugle : ainsi, dans un conflit entre la conscience et l'autorité, chacun d'entre nous pourra tenter d'agir davantage en conformité avec les obligations que la moralité nous impose.

Petite annonce dans le journal local

p. 34

Communiqué

VOULEZ-VOUS GAGNER 4 DOLLARS

EN ÉCHANGE D'UNE HEURE

DE VOTRE TEMPS?

Nous demandons des volontaires

pour une étude sur la mémoire

* Nous sommes prêts à rétribuer cinq cents habitants de New Haven pour nous permettre d'achever une étude scientifique sur la mémoire et l'apprentissage qui se déroulera à l'université de Yale.

* Tout participant recevra 4 dollars (et 50 cents d'indemnité de transport) en échange d'une heure environ de son temps, sans autre obligation. Il est libre de choisir le moment à sa convenance (soirées, jours de semaine, week-ends).

* Ni qualification spéciale, ni diplôme, ni expérience quelconque ne sont exigés. Nous recherchons :

Ouvriers d'usine - - - - - - - Hommes d'affaires - - - - - Ouvriers du bâtiment

Employés municipaux - - - Employés de bureau - - - - Vendeurs

Manœuvres - - - - - - - - - - - Cadres moyens - - - - - - - - Employés de bureau

Coiffeurs - - - - - - - - - - - - - Employés de la Compagnie du Téléphone

Divers

Âge requis entre 20 et 50 ans. Lycéens et étudiants, s'abstenir.

* Si vous réunissez ces conditions, remplissez le formulaire ci-dessous et adressez-le immédiatement au professeur Stanley Milgram, département de psychologie, université de Yale, New Haven. Nous vous ferons savoir l'heure et le lieu précis de l'expérience. Nous nous réservons le droit de décliner toute proposition de candidature.

* Vous recevrez le montant de votre rétribution dès votre arrivée au laboratoire.

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À ADRESSER AU :
PROFESSEUR STANLEY MILGRAM, DÉPARTEMENT
DE PSYCHOLOGIE, UNIVERSITÉ DE YALE, NEW HAVEN, CONNECTICUT.

Je désire participer à votre étude sur la mémoire et l'apprentissage. J'ai entre 20 et 50 ans. Je recevrai 4 dollars (et 50 cents d'indemnité de transport) si ma candidature est acceptée.

NOM (en capitales).....................................................................................

ADRESSE ......................................................................................................

N° de TÉLÉPHONE....................................................................................

Heure à laquelle on peut vous toucher.................................................

ÂGE ............ PROFESSION....................................... SEXE......................

QUAND POUVEZ-VOUS VENIR?

JOURS DE SEMAINE................SOIRÉES..................WEEK-ENDS.

Distribution des rôles

p. 20

Le moniteur est un sujet absolument « naïf », venu au laboratoire pour participer à une expérience. Par contre, l'élève, ou victime, est un acteur qui ne reçoit en réalité aucune décharge électrique. L'expérience a pour objet de découvrir jusqu'à quel point un individu peut pousser la docilité dans une situation concrète et mesurable où il reçoit l'ordre d'infliger un châtiment de plus en plus sévère à une victime qui proteste énergiquement. À quel instant précis le sujet refusera-t-il d'obéir à l'expérimentateur?

Le conflit surgit quand l'élève commence à donner des signes de malaise. À soixante-quinze volts, il gémit. À cent vingt volts, il formule ses plaintes en phrases distinctes. À cent cinquante volts, il supplie qu'on le libère. À mesure que croît l'intensité des décharges électriques, ses protestations deviennent plus véhémentes et pathétiques. À deux cent quatre-vingt-cinq volts, sa seule réaction est un véritable cri d'agonie.

Tous les témoins s'accordent à dire qu'il est impossible de restituer par l'écriture le caractère poignant de l'expérience. Pour le sujet, la situation n'est pas un jeu, mais un conflit intense et bien réel. D'un côté, la souffrance manifeste de l'élève l'incite à s'arrêter ; de l'autre, l'expérimentateur, autorité légitime vis-à-vis de laquelle il se sent engagé, lui enjoint de continuer. Chaque fois qu'il hésite à administrer une décharge, il reçoit l'ordre de poursuivre. Pour se tirer d'une situation insoutenable, il doit donc rompre avec l'autorité. Le but de notre investigation était de découvrir quand et comment se produirait cette rupture en dépit d'un impératif moral clairement défini.

Nature du test

p. 37

Exercice d'apprentissage

Le test que devait diriger le moniteur consistait en un exercice d'association de mots. Il lisait à l'élève une série de couples de mots, puis il reprenait le premier des deux termes et l'accolait à quatre autres. Par exemple, il lisait des couples de mots tels que :

Ciel bleu.

Jour frais.

Canard sauvage.

etc.

Il passait ensuite à la séquence de mots constituant le test lui-même :

Bleu : compteur, ruban, ciel, yeux.

L'élève devait alors indiquer lequel des quatre termes avait été associé initialement au premier. Il communiquait sa réponse en pressant l'un des quatre boutons disposés devant lui qui éclairait la partie correspondante de l'écran divisé en quatre cases d'une boîte installée sur l'appareil.

Stimulateur de chocs

Le tableau de commande comportait trente manettes disposées en ligne horizontale et surmontées de leurs indications numériques de voltage qui s'échelonnaient de gauche à droite de 15 à 450 volts, par tranche d'augmentation de 15 volts. En outre, toujours de gauche à droite et par ordre croissant, chaque groupe de quatre manettes était distinctement assorti de l'une de ces mentions : Choc léger, Choc modéré, Choc fort, Choc très fort, Choc intense, Choc extrêmement intense, Attention : Choc dangereux. Les deux manettes placées après cette dernière mention étaient simplement suivies de XXX.

Dès que l'on abaissait une manette, un voyant rouge s'allumait, accompagné d'un bourdonnement électrique ; un éclair bleu jaillissait, illuminant la mention « voltage », l'aiguille du voltmètre tournait vers la droite et divers déclics émanant de contacteurs-disjoncteurs résonnaient les uns après les autres.

Choc témoin

 Avant sa prestation, chaque sujet recevait au poignet un choc témoin de 45 volts obtenu en abaissant la troisième manette du stimulateur. La secousse ressentie renforçait le sujet dans sa conviction que l'appareil déclenchait réellement des décharges électriques.

Instructions concernant l'administration des chocs

L'expérimentateur demandait au sujet d'administrer une décharge électrique à l'élève chaque fois que celui-ci fournirait une mauvaise réponse. De plus – et c'était là ce qui constituait l'élément clé des instructions à suivre – le sujet devait « augmenter d'un niveau à chaque erreur commise ». En même temps, il était prié d'annoncer à haute voix le voltage correspondant avant d'abaisser la manette – cela afin de garder bien présent à l'esprit l'accroissement d'intensité des chocs qu'il administrait. S'il arrivait à la trentième manette (450 volts), il continuerait à ce voltage maximum. Après deux nouveaux essais, l'expérimentateur mettrait un terme à la séance. (Aucun des sujets ayant administré le 30e niveau de choc n'a refusé de continuer à l'utiliser.)

Feedback de l'expérimentateur

A divers moments, le sujet se tournait vers l'expérimentateur pour lui demander s'il devait continuer à administrer des chocs. Ou bien, il lui faisait comprendre qu'il ne souhaitait pas poursuivre.

L'expérimentateur avait alors à sa disposition une série d' « incitations verbales » destinées à maintenir le sujet à son poste.

Incitation 1 : « Continuez, s'il vous plaît, ou je vous prie de continuer. »

Incitation 2 : « L'expérience exige que vous continuiez. »

Incitation 3 : « Il est absolument indispensable que vous continuiez. »

Incitation 4 : « Vous n'avez pas le choix, vous devez continuer. »

Ces incitations étaient utilisées dans l'ordre : ce n'est que lorsque la première avait échoué que l'expérimentateur passait à la deuxième. Si le sujet refusait d'obéir à la quatrième incitation, l'expérience prenait fin. Le ton de voix de l'expérimentateur était constamment ferme, mais courtois. La séquence d'incitations était reprise chaque fois que le sujet hésitait ou montrait de la répugnance à exécuter les ordres.

Incitations particulières

Lorsque le sujet demandait si l'élève encourait un dommage physique permanent, l'expérimentateur lui répondait : « Même si les chocs sont douloureux, ils ne peuvent provoquer aucune lésion permanente ; en conséquence, poursuivez. » (Réponse suivie par les incitations 2, 3 et 4 en cas de nécessité.)

Si le sujet disait que l'élève ne voulait pas continuer, l'expérimentateur répliquait :

« Que cela lui plaise ou non, vous devez poursuivre jusqu'à ce qu'il ait appris tous les couples de mots. Je vous prie donc de continuer. » (Réponse suivie par les incitations 2, 3 et 4 en cas de nécessité.)

Feedback de la victime [comédien]

Chaque manifestation vocale de l'élève correspondait à un niveau de voltage défini. Il est difficile de restituer par l'écriture la teneur intégrale des protestations de la victime car nous ne possédons pas de notations suffisamment nuancées pour en indiquer avec précision l'intensité, la cadence, les caractéristiques générales d'expression. En gros, cependant, l'élève ne manifestait aucun désagrément jusqu'à 75 volts. À ce niveau, il poussait un léger gémissement. Réaction similaire à 90 et à 105 volts. À 120 volts, il criait à l'expérimentateur que les chocs devenaient douloureux. À 135 volts, il hurlait, et à 150, il implorait : « Monsieur, laissez-moi partir! Je ne veux plus participer à l'expérience! Je refuse de continuer! » Les supplications redoublaient à chaque augmentation de niveau de choc. À 180 volts, l'élève s'exclamait : « Je ne peux plus le supporter! » À 270 volts, sa réaction était un véritable cri d'agonie. En même temps, à partir de 150, il demandait avec insistance qu'on le libère. Quand le choc atteignait 300, il disait d'une voix désespérée qu'il ne fournirait plus aucune réponse à l'exercice d'apprentissage.

À ce moment critique, les sujets se tournaient généralement vers l'expérimentateur pour lui demander ce qu'ils devaient faire. Ce dernier leur répondait alors de considérer l'absence de réponse comme une erreur et d'administrer à la victime la décharge électrique correspondante. Il leur conseillait d'attendre cinq à dix secondes avant d'actionner la manette, puis d'augmenter d'un niveau à chaque réponse fausse. À 315 volts, après avoir poussé un rugissement de douleur, l'élève réaffirmait avec insistance sa volonté de ne plus participer à l'expérience. Il ne fournissait aucune réponse, mais hurlait chaque fois qu'il recevait une décharge. Après 330 volts, on ne l'entendait plus et aucune réponse n'apparaissait sur l'écran de signalisation.

Récapitulation

Dans la situation à laquelle il est affronté, le sujet doit résoudre le conflit issu de la concomitance de deux exigences incompatibles émanant de son environnement social. Il peut soit continuer à suivre les instructions de l'expérimentateur et infliger à l'élève un traitement de plus en plus cruel, soit refuser d'obéir aux ordres du premier et céder aux objurgations du second. Quant à l'expérimentateur, son autorité n'a pas toute liberté pour s'exercer, bien au contraire, elle va se heurter aux pressions opposées et croissantes représentées par les protestations de la victime.

La situation de laboratoire nous fournit un cadre de travail propre à l'observation des réactions du participant au conflit fondamental de l'expérience. Le sujet se trouve pris entre l'expérimentateur qui lui enjoint de continuer à administrer les chocs et l'élève qui le supplie avec une intensité croissante de s'arrêter. L'intérêt majeur de cette étude réside dans la possibilité de varier systématiquement les facteurs susceptibles de modifier le degré d'obéissance aux ordres de l'expérimentateur afin de nous permettre de découvrir les conditions qui favorisent la soumission à l'autorité et celles qui incitent à la rébellion. [...]

Résultats

[Le Dr Milgram présente les résultats de 18 variantes de cette expérience auxquelles participent en tout 636 sujets. (En moyenne, 35 personnes par expérience.). Dans la majorité des cas, plus de 50% des sujets sont totalement obéissants et acceptent d'infliger à l'élève jusqu'à 450 volts de punition. Des tableaux en explicitent le détail.

Cependant, dans la variante No. 11 de l'expérience, le sujet pouvait choisir librement le niveau de choc à administrer. Ici, seulement un sujet est allé jusqu'au bout et un autre jusqu'à 375 volts. Tous les autres sont restés en dessous de 165 volts. D'où le commentaire suivant du Dr Milgram :]

p. 95

Si l'on admet que ces expériences nous dévoilent certains aspects de la nature humaine, c'est ici [à la variante No. 11] que nous est révélée la façon dont l'homme se conduit avec son semblable quand il a sa liberté d'action. Quelle que soit la raison qui pousse le sujet à administrer à la victime le choc le plus élevé, il faut la chercher ailleurs que dans la libération de ses pulsions agressives : seule peut l'expliquer la transformation de comportement qui intervient chez lui à la suite de l'obéissance aux ordres.

Conclusion

p. 152

[...] Dans la société actuelle, des intermédiaires surgissent souvent entre nous et l'acte ultime de destruction auquel nous participons.

C'est là en effet un des traits typiques de la bureaucratie moderne, même dans les cas où elle a été spécifiquement conçue pour assurer la réalisation d'un processus funeste : la plupart de ceux qui la composent n'exécutent pas directement les actions néfastes. Ils manipulent des papiers ou acheminent des munitions ou se livrent à d'autres activités mineures qui, bien qu'elles contribuent à l'effet final, demeurent loin des yeux et de l'esprit de ces fonctionnaires.

[...]

p. 153

Tout directeur compétent d'un système bureaucratique chargé de l'application d'un programme destructeur doit organiser les divers éléments qui le composent de façon que seuls les individus les plus cruels et les plus obtus soient directement impliqués dans la violence finale. La majeure partie du personnel peut consister en hommes et femmes qui, étant donné la distance qui les sépare de l'aboutissement inéluctable du processus, n'éprouvent pratiquement pas de difficultés à accomplir leurs tâches secondaires. Ils se sentent doublement dégagés de toute responsabilité. D'une part, l'autorité les couvre complètement ; d'autre part, ils ne commettent personnellement aucun acte de brutalité physique.

Controverse sur l'expérience

p. 238

En 1964, le docteur Diana Baumrind l'a attaquée dans un article de la revue American Psychologist où j'ai par la suite fait paraître cette réponse :

et 243 [...] Le docteur Diana Baumrind estime que l'expérimentateur a contraint les sujets à pénaliser la victime. C'est là une conception totalement étrangère à la mienne. L'expérimentateur demande au sujet de faire telle ou telle chose. Mais entre l'ordre et son exécution s'interpose un élément d'une importance primordiale : l'auteur de l'action lui-même. Quand j'ai conçu cette expérience, mon postulat a priori était que tout participant avait la liberté d'accepter ou de rejeter les diktats de l'autorité. C'est là un point de vue qui tient compte de la dignité humaine dans la mesure où il reconnaît à chacun la capacité de décider lui-même de son comportement. Et comme nous avons pu le constater, beaucoup de sujets ont délibérément choisi de ne pas se conformer aux ordres de l'expérimentateur, preuve éclatante de l'existence de certains idéaux chez l'homme.

On reproche également à l'expérience « de risquer d'altérer gravement... la confiance que le sujet accordera désormais à une autorité adulte ». Mais précisément, l'expérimentateur ne représente pas n'importe quel type d'autorité : c'est une autorité qui demande à un individu de se comporter de façon cruelle et inhumaine vis-à-vis d'un tiers. J'estimerais que la participation de nos sujets à cette expérience a été hautement bénéfique si elle est parvenue à leur inculquer une attitude de scepticisme à l'égard d'un tel type d'autorité. Cette appréciation fait apparaître une différence fondamentale entre deux philosophies. Le docteur Diana Baumrind voit dans le sujet un être passif, totalement conditionné par l'expérimentateur. Je suis parti d'un point de vue radicalement opposé. Toute personne qui vient au laboratoire est un adulte responsable, libre d'agir à sa guise, capable de suivre ou de ne pas suivre les instructions qui lui sont données. Pour le docteur Diana Baumrind, le seul résultat de l'expérience est de saper la confiance des sujets dans l'autorité. Pour moi, son principal mérite est de leur avoir fait prendre conscience du problème de la soumission aveugle.

[...]

et 245

La justification morale du type de méthode que j'ai utilisé réside dans le fait que tous les participants l'ont jugé acceptable. C'est d'ailleurs cette approbation massive constatée au cours des expériences successives qui a légitimé la continuation de celles-ci. [2]

Dernier mot du Dr Milgram

p. 252

Dans l'ensemble, ce qui m'a le plus surpris, c'est de constater le peu de corrélation entre les comportements observés en laboratoire et les individus eux-mêmes. Je suis certain que l'obéissance et la désobéissance ont pour origine un aspect complexe de la personnalité. Mais je sais que nous ne l'avons pas encore trouvé.

De toute façon, ce serait une erreur de croire que la désobéissance tient à une simple question de tempérament ou de se contenter de dire que les bons obéissent et les méchants désobéissent. Les multiples composantes de la personnalité peuvent jouer un rôle trop compliqué aux divers stades des processus engagés pour autoriser des généralisations aussi simplistes. La psychologie sociale moderne nous apprend en effet une leçon d'une importance capitale : dans la plupart des cas, ce qui détermine l'action de l'être humain, c'est moins le type d'individu qu'il représente que le type de situation auquel il est affronté.


[1] Stanley Milgram, Soumission à l'autorité, Éditions Calmann-Lévy © 1974.

Serions-nous tous des fonctionnaires de l'horreur en puissance? C'est là l'angoissante question que ne pourra s'empêcher de se poser chaque lecteur de Soumission à l'autorité. Le récit qu'y donne le psychosociologue américain Stanley Milgram de ses expériences effectuées en laboratoire entre 1950 et 1963 bouleverse en effet bien des idées reçues.

D'une enquête apparemment banale sur l'apprentissage et la mémoire, Milgram a fait une fantastique série d'expériences, où des hommes et des femmes recevaient l'ordre d'infliger à une innocente victime des chocs électriques de plus en plus violents. Combien d'entre eux allaient faire taire leur conscience? Combien d'entre eux allaient, en un mot, obéir? Et jusqu'où? Les résultats jetèrent à bas le rassurant édifice des prévisions de toutes origines, notamment celles des psychiatres, et firent naître une controverse passionnée.

Car c'est l'un des dilemmes les plus importants de notre époque qui se trouve à la base de ces travaux : où finit la soumission à l'autorité, et où commence la responsabilité de l'individu? À la lumière d'un modèle emprunté à la cybernétique, Stanley Milgram nous propose une analyse originale des processus d'obéissance et de désobéissance.

Un formidable document sur le comportement humain. Un ouvrage polémique qui a enflammé l'Amérique.

Stanley Milgram est né à New York en 1933. Docteur en psychologie sociale de l'université de Harvard, il est professeur à l'université de New York. Ses travaux lui ont acquis une grande notoriété.

Voir aussi « L'expérience de Milgram » sur Wikipédia

[L'individu passe d'un état autonome à un état « agentique » selon qu'il agit d'après sa propre conscience ou en obéissant à une autorité qu'il reconnaît comme légitime. (Voir p. 167)]

[2] [Mais le fait que la majorité dise approuver l'expérience peut-il la justifier puisque cette expérience démontre que cette même majorité est cruelle, soumise et sans jugement moral valable devant une autorité qu'elle reconnaît comme légitime? (Note de F. B.)]


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