MES LECTURES - Passages choisis 

Kohélet

XIe ou ~IIIe siècle av. J.-C.

Edmond J. Safra © 2011

L'Ecclésiaste [1]

SOMMAIRE

1    — 2    — 3    — 4    — 5    — 6

7    — 8    — 9    — 10    — 11    — 12

Ecclésiaste 1

1.1

Voici les paroles du sage Kohélet, fils de David et roi à Jérusalem.

1.2

Vanité des vanités, dit le sage Kohélet, vanité des vanités, tout est vanité !

1.3

Quel profit l'homme tire-t-il de toute la peine qu'il se donne sous le soleil ?

1.4

Une génération s'en va, une génération lui succède, mais la terre subsiste toujours.

1.5

Le soleil se lève ; le soleil se couche ; puis il se hâte de retourner où il se lèvera de nouveau.

1.6

Le vent tourne et tourbillonne ; il va vers le Sud et vire au Nord, puis il revient et reprend les mêmes circuits.

1.7

Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n'en est point remplie ; les fleuves retournent à leur point de départ, et vont de nouveau à la mer.

1.8

Les paroles sont vaines à exprimer le monde, mais l'oeil ne se rassasie pas de voir, et l'oreille ne se lasse pas d'entendre.

1.9

Ce qui a été, c'est ce qui sera encore ; et ce qui a été fait, c'est ce qui se fera encore ; il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

1.10

S'il est une chose dont on dise : « Regarde, ceci est nouveau ! » ; cette chose a déjà existé avant.

1.11

Nul souvenir ne subsiste des anciens ; et de même, il ne restera aucun souvenir de nos successeurs.

1.12

Moi, Kohélet, j'ai été roi du peuple d'Israël à Jérusalem.

1.13

Je me suis appliqué à connaître et à comprendre ce qui se passe dans le monde avec sagacité. C'est là une préoccupation pénible que Dieu impose aux humains !

1.14

J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil, et voilà : tout est vanité et tourment de l'esprit.

1.15

Ce qui est tordu ne peut pas être redressé, ce qui n'existe pas ne compte pas.

1.16

Je me suis dit : « J'ai accumulé plus de sagesse que tous ceux qui ont régné avant moi à Jérusalem. » Mon esprit a vu beaucoup de science et de bon sens.

1.17

Je me suis appliqué à discerner ce qui est sage de ce qui est insensé, ce qui est intelligent et ce qui est stupide. Je me suis aperçu que cela aussi était tourment de l'esprit ;

1.18

car beaucoup de sagesse, c'est beaucoup de tracas ; qui augmente son savoir augmente sa douleur.

Ecclésiaste 2

2.1

Je me suis dit : « Voyons ce que valent les délices de la vie ; découvrons la joie et goûtons au plaisir ! » Cela aussi s'est avéré vain.

2.2

J'ai dit : « Le rire est insensé ; et à quoi bon la joie ? »

2.3

J'ai décidé d'expérimenter le plaisir du vin, imitant ainsi la folie des gens médiocres, en veillant à garder vigilant l'esprit d'introspection. Je cherchais à discerner une ligne de conduite préférable pour les êtres humains sous les cieux pendant leur brève existence.

2.4

J'ai entrepris de grands travaux : je me suis construit des maisons, j'ai planté des vignes.

2.5

Je me suis fait des jardins et des vergers, et j'y ai planté toutes sortes d'arbres fruitiers.

2.6

Je me suis creusé des bassins d'eau pour irriguer une forêt de jeunes arbres.

2.7

J'ai engagé des ouvriers, des servantes et des contremaîtres. Je possédais également un cheptel de bovins et d'ovins, plus abondant que celui de tous mes prédécesseurs à Jérusalem.

2.8

J'ai également amassé pour moi-même or et argent, provenant du trésor des rois et de l'impôt des provinces. Musiciens, chanteurs et des chanteuses venaient me divertir ; j'ai eu des femmes en grand nombre, et tous mes désirs furent comblés.

2.9

J'ai grandi et surpassé en puissance tous mes prédécesseurs à Jérusalem sans pour autant perdre ma lucidité.

2.10

Je ne me suis rien refusé ; je me suis accordé tous les plaisirs possibles. Oui, mon coeur tirait satisfaction de toutes mes activités, et c'était la récompense pour tous mes efforts.

2.11

Puis j'ai réfléchi sur tous les actes accomplis de mes mains et sur les efforts pour les exécuter. Tout cela était vanité et tourment de l'esprit. Il n'y a pas de profit réel sous le soleil.

2.12

J'ai alors réfléchi attentivement à la sagesse, la folie et la sottise, car, que peut faire l'homme qui vient après le roi si tout a déjà été réalisé ?

2.13

Et j'ai vu que la sagesse est supérieure à la sottise autant que la lumière en regard des ténèbres.

2.14

Le sage est lucide, alors que le sot chemine dans les ténèbres ; mais j'ai aussi réalisé qu'un même destin les attend.

2.15

Alors, je me suis dit : « Le sort du sot m'échoira également ; qu'ai-je donc gagné à devenir sage ? » J'ai donc conclu que cela aussi était vain.

2.16

Comment la mort de l'homme sage pourrait-elle être semblable à celle du sot ? Lorsque des jours nouveaux se seront écoulés, tout sera oublié. Il n'y a donc aucune différence entre le souvenir du sage et celui du sot.

2.17

Aussi ai-je détesté la vie, car j'ai été attristé par tout ce qui se passe sous le soleil puisque tout est vanité et tourment de l'esprit.

2.18

Et j'ai détesté tout ce que j'ai produit par la peine que j'ai endurée sous le soleil puisque j'en laisserai le fruit à quelqu'un qui me succédera.

2.19

Qui sait s'il sera homme sage ou stupide ? Pourtant, il disposera de tous mes biens acquis sous le soleil péniblement avec ingéniosité et sagesse ; cela aussi est vanité.

2.20

Alors, tout mon travail m'a mené au désespoir.

2.21

Un homme s'est donné de la peine avec acharnement, sagesse, science et compétence, et il devra abandonner tout ce qu'il a acquis à un homme qui ne se sera donné aucun mal ; cela aussi est vanité et un grand mal.

2.22

Qu'obtient l'homme de toute sa peine et de ses préoccupations sous le soleil ?

2.23

Tous ses jours sont pénibles et son activité est source de contrariété ; même la nuit, son coeur ne trouve pas le repos ; cela aussi est vanité.

2.24

Rien de mieux pour l'homme, que manger, boire et donner à son âme la satisfaction de son labeur. J'ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu.

2.25

Car qui mangera et qui se hâtera en dehors de moi ?

2.26

En effet, c'est à celui qui Lui plaît qu'Il a donné la sagesse, le discernement et la joie ; et au pécheur, Il a donné le besoin d'assembler et d'entasser pour qu'il le donne à celui qui plaît à Dieu. Cela aussi est vanité et tourment de l'esprit. [2]

Ecclésiaste 3

3.1

Toute chose a son heure, et il y a un temps pour tout sous le ciel :

3.2

Un temps pour naître et un temps pour mourir ;
un temps pour planter et un temps pour déraciner ce qui a été planté.

3.3

Un temps pour tuer et un temps pour guérir ;
un temps pour démolir et un temps pour construire.

3.4

Un temps pour pleurer et un temps pour rire ;
un temps pour se lamenter et un temps pour danser.

3.5

Un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres ;
un temps pour embrasser et un temps pour fuir les embrassades.

3.6

Un temps pour chercher et un temps pour perdre ;
un temps pour garder et un temps pour jeter.

3.7

Un temps pour déchirer et un temps pour coudre ;
un temps pour se taire et un temps pour parler.

3.8

Un temps pour aimer et un temps pour haïr ;
un temps pour la guerre et un temps pour la paix.

3.9

Quel profit retire donc le travailleur de sa peine ?

3.10

J'ai observé la tâche que Dieu a donnée aux hommes pour s'en tracasser.

3.11

Il a fait toute chose excellente en son temps. Il a également placé une énigme dans leur coeur, de sorte que l'homme ne puisse saisir ce que Dieu a accompli du commencement jusqu'à la fin.

3.12

J'ai donc su qu'il n'y a rien de mieux pour eux que de se réjouir et de faire le bien dans sa vie. [2]

3.13

En vérité, toutes les fois que l'homme mange, boit et tire plaisir de tout son travail, c'est un don de Dieu. [2]

3.14

J'ai compris que tout ce que Dieu a accompli durera éternellement. On ne peut rien y ajouter, on ne peut rien en soustraire, et Dieu a fait en sorte qu'on Le craigne.

3.15

Ce qui a été existe déjà, et ce qui est destiné à être a déjà été ; et Dieu vengera la victime.

3.16

Et j'ai encore observé sous le soleil : dans l'enceinte de la justice se trouve l'iniquité et au siège du droit, c'est là qu'est l'injustice.

3.17

Je me suis dit en mon coeur : « Dieu jugera le juste et le méchant car il y a un temps pour toute chose et pour toute action, là-bas. »

3.18

Je me suis dit en mon coeur, à propos des hommes : « Dieu les a choisis, mais seulement pour constater qu'ils sont eux-mêmes comme les animaux. »

3.19

Car, la destinée des hommes et la destinée de la bête, cette destinée est la même pour eux : pareille à la mort de l'un est la mort de l'autre, et ils ont tous le même souffle. Et l'homme n'a aucune supériorité sur la bête, car tout est vanité.

3.20

Tout aboutit au même endroit ; tout vient de la poussière et tout retourne à la poussière.

3.21

Qui réalise que le souffle de l'homme c'est celui qui monte en haut et le souffle de la bête, celui qui descend en bas, dans la terre ?

3.22

J'ai donc vu qu'il n'y a rien de mieux pour l'homme que d'être heureux de ce qu'il fait, car c'est son lot ; car qui l'amènera pour voir ce qui sera après lui ? [3]

Ecclésiaste 4

4.1

Je suis revenu et j'ai observé tous les actes d'oppression qui sont perpétrés sous le soleil : et voici ! Les larmes des opprimés, sans personne pour les consoler ; et ils sont sous la férule de leurs tyrans et personne ne les réconforte.

4.2

Et j'estime que les morts qui ont déjà péri sont plus heureux que les vivants qui sont encore en vie.

4.3

Et plus heureux que les deux, c'est celui qui n'existe pas encore, qui n'a jamais été témoin du mal qui est commis sous le soleil. [4]

4.4

Et j'ai vu que tout travail, toute entreprise habile émane de la rivalité de l'homme avec son prochain ; cela aussi est vanité et tourment de l'esprit.

4.5

Bien sûr, le sot se croise les bras et crève de faim.

4.6

Mais mieux vaut une main pleine dans la sérénité que deux mains pleines dans le labeur et le tourment.

4.7

Je suis revenu et j'ai observé une autre vanité sous le soleil :

4.8

un homme seul et solitaire qui n'a ni fils ni frère, jamais rassasié de richesses, et qui travaille pourtant sans relâche sans s'interroger : « Et pour qui est-ce que je peine et me prive de plaisir ? » Cela aussi est vanité : vraiment, c'est une triste chose.

4.9

Deux valent mieux qu'un, car ils tirent un plus grand profit de leur travail.

4.10

Si l'un des deux tombe, l'autre relèvera son compagnon, mais si celui qui est seul tombe, il n'y a personne pour le relever.

4.11

De même, si deux dorment ensemble, ils se tiennent au chaud ; mais le solitaire, comment se réchauffera-t-il ?

4.12

Là où un homme isolé sera terrassé, deux pourront résister à l'attaque ; et une corde à trois fils ne se rompt pas rapidement.

4.13

Mieux vaut un jeune homme pauvre, mais sage qu'un roi vieux et stupide qui ne sait plus comment prendre soin de lui-même.

4.14

Car c'est de prison qu'il est sorti pour régner et, même s'il a accédé à la monarchie, il est né pauvre.

4.15

J'ai vu tous les vivants qui marchent sous le soleil entourer l'enfant qui devait succéder au roi et régner à sa place.

4.16

Il n'y a pas de limites pour la nation tout entière, pour tout ce qui les a précédés ; de même, ceux qui viendront plus tard n'en tireront pas de satisfaction, car cela aussi est vanité et tourment de l'esprit.

4.17

Ne te rends pas à la légère dans la maison de Dieu. Vas-y avec l'intention d'écouter. Cela vaut mieux que d'offrir des sacrifices à la manière des sots qui ne comprennent pas qu'ils agissent mal.

Ecclésiaste 5

5.1

Que ta bouche ne soit pas impétueuse et que ton coeur ne s'empresse pas de prononcer une parole devant Dieu, car Dieu est dans le ciel et toi, sur la terre ; c'est pourquoi tes propos seront peu nombreux.

5.2

Car le songe naît d'une préoccupation profonde ; et un sot discours, d'une abondance de paroles.

5.3

Lorsque tu as fait un voeu à Dieu, ne tarde pas à l'accomplir, car il n'aime pas les insensés : accomplis le voeu que tu as fait.

5.4

Mieux vaut ne pas faire de voeu du tout, que de ne pas tenir promesse.

5.5

Ne laisse pas ta bouche charger ta chair d'un péché, et ne dis pas au messager que c'était une erreur. Pourquoi Dieu devrait-Il s'irriter de ton discours et détruire l'oeuvre de tes mains ? [5]

5.6

En dépit de tous les rêves, la vanité et le flux de paroles futiles, c'est Dieu que tu dois craindre.

5.7

Si tu vois l'oppression du pauvre et le détournement de la justice et du droit dans l'État, ne sois pas surpris de ce fait, car Celui Qui est plus haut que tout ce qui est élevé veille et des [êtres] supérieurs sont au-dessus d'eux.

5.8

La terre a un avantage sur tout ; le roi lui-même est tributaire du sol.

5.9

Qui aime l'argent ne sera jamais rassasié par l'argent ; qui aime la richesse n'en profite pas ; cela aussi est vanité.

5.10

Lorsque les biens augmentent, augmentent en même temps ceux qui les consomment ; quel autre avantage en retire donc le propriétaire, si ce n'est d'en repaître ses yeux ?

5.11

Doux est le sommeil du travailleur, qu'il mange peu ou beaucoup, tandis que la satiété du riche ne le laisse pas dormir.

5.12

J'ai observé un terrible mal sous le soleil : la richesse accumulée par le propriétaire pour son propre malheur.

5.13

Et il perd sa fortune dans une mauvaise affaire, et il n'a plus rien lorsque lui naît un fils.

5.14

Sorti nu du ventre de sa mère, il retournera comme il était venu ; de tout son travail, il ne peut rien emporter avec lui.

5.15

Cela aussi est un mal cuisant ; tel qu'il est venu, il doit repartir ; qu'a-t-il alors gagné en peinant pour du vent ?

5.16

En vérité, toute sa vie est nourrie de ténèbres : grande est sa contrariété, son malaise et son irritation.

5.17

Voici ce que j'ai reconnu comme bon : il convient de manger, de boire et d'éprouver du plaisir pour toutes les peines que l'homme se donne sous le soleil pendant le nombre de jours que Dieu nous octroie ; ceci est notre lot.

5.18

En outre, tout homme à qui Dieu a donné des richesses et des biens, et qu'il a rendu maître d'en jouir, d'en prendre sa part et d'être heureux de sa peine, c'est un don de Dieu.

5.19

Car il se rappellera que les jours de sa vie ne sont pas nombreux, lors même que Dieu alimente la joie de son coeur.

Ecclésiaste 6

6.1

Il est un mal que j'ai observé sous le soleil, qui est répandu dans le genre humain :

6.2

un homme à qui Dieu a donné richesse, biens et honneur, et il ne manque de rien que son coeur puisse désirer, et pourtant, Dieu ne l'a pas rendu maître d'en jouir, mais c'est un étranger qui en jouira. Cela est vanité et souffrance amère.

6.3

Si un homme donne le jour à cent enfants et vit de longues années — aussi nombreux que soient les jours de sa vie —, mais que son âme ne soit pas rassasiée de bonheur, et qu'il soit même privé de sépulture, je dis que le mort-né a plus de chance que lui ! [6]

6.4

Bien que [mort-né,] sa venue soit vaine et qu'il parte dans l'obscurité, et bien que même son nom demeure enseveli dans les ténèbres,

6.5

bien qu'il n'ait jamais vu le soleil et qu'il ne l'ait même pas connu, il a plus de satisfaction que lui.

6.6

Même s'il [un homme] devait vivre deux fois mille ans sans avoir trouvé le bonheur, tout n'aboutit-il pas au même endroit ?

6.7

Tout le travail de l'homme est pour se nourrir, mais ses désirs ne sont jamais satisfaits.

6.8

Quel avantage le sage a-t-il donc sur le sot ? Quelle infériorité a le pauvre qui sait se comporter parmi les vivants ?

6.9

Ce que les yeux voient vaut mieux que ce qui est imaginé ; cela aussi est vanité et tourment de l'esprit.

6.10

Ce qui a été a déjà reçu un nom, et on sait qu'il n'est qu'un homme. Il ne peut se mesurer à plus fort que lui.

6.11

Car il existe de nombreuses choses qui augmentent la vanité ; comment cela serait-il bénéfique à l'homme ?

6.12

Qui peut savoir ce qui est bon pour l'homme dans la vie, durant le petit nombre de jours de sa vaine existence qu'il devrait considérer comme une ombre ; qui peut dire à l'homme ce qui se passera après lui sous le soleil ?

Ecclésiaste 7

7.1

Un bon renom vaut mieux qu'un parfum coûteux, et le jour de la mort que le jour de la naissance. [6]

7.2

Mieux vaut aller dans une maison de deuil que dans une maison où l'on festoie, car c'est là la fin de tout homme, et celui qui vit prend la chose à coeur.

7.3

Le chagrin est préférable à la gaieté, car un visage assombri rend le coeur meilleur.

7.4

Les pensées des sages sont tournées vers la maison de deuil et les pensées des sots, vers la maison de réjouissance.

7.5

Mieux vaut écouter la remontrance d'un homme sage que d'écouter le chant des sots.

7.6

Car, tel le crépitement des broussailles sous la marmite, tel est le rire du sot — et cela aussi est vanité.

7.7

En effet, l'oppression rend le sage fou et un présent pervertit le coeur.

7.8

La fin d'une entreprise est préférable à son début ; la patience est préférable à l'orgueil.

7.9

Ne sois pas prompt à t'emporter ; car la colère repose dans le giron des sots.

7.10

Ne dis pas : « Comment se fait-il que les jours d'antan étaient meilleurs que ceux-ci ? », car ce n'est pas la sagesse qui t'a fait poser cette question.

7.11

La sagesse est bonne lorsqu'elle est associée à un patrimoine, et elle est un bienfait pour ceux qui voient le soleil.

7.12

Car siéger à l'ombre de la sagesse, c'est s'asseoir à l'ombre de l'argent et l'avantage de connaître la sagesse est qu'elle fait vivre ceux qui la possèdent.

7.13

Observe l'oeuvre de Dieu ! Car qui peut redresser ce qu'il a tordu ?

7.14

Sois heureux quand les choses vont bien, mais, au jour du malheur, réfléchis : Dieu a fait correspondre l'un à l'autre, de sorte que l'homme ne trouve rien à redire contre lui. [7]

7.15

J'ai tout vu au cours de ma vaine existence : parfois un juste périt malgré sa droiture et parfois un méchant perdure malgré sa perversité. [8]

7.16

Ne sois pas juste à l'excès, ni trop sage. Pourquoi t'exposer à l'isolement ?

7.17

Ne sois pas méchant à l'excès, et ne sois pas non plus stupide. Pourquoi mourrais-tu avant ton heure ?

7.18

Mieux vaut saisir l'un et ne pas lâcher l'autre ; car celui qui craint Dieu les accomplit tous.

7.19

La sagesse renforce le sage plus que dix chefs qui sont établis dans la ville. [9]

7.20

Car il n'est pas d'homme tout à fait juste sur la terre qui fasse toujours le bien et ne pèche jamais.

7.21

Bien plus, ne prête pas attention à toutes les paroles qu'on débite, pour ne pas entendre ton propre serviteur te dénigrer.

7.22

Car, bien des fois, ton propre coeur le sait, tu as toi-même dénigré les autres.

7.23

Tout cela, je l'ai expérimenté grâce à la sagesse ; j'ai pensé pouvoir me rendre maître de la sagesse, mais elle est loin de moi. [10]

7.24

Ce qui a été fait est insaisissable et si profond, qui peut l'atteindre ?

7.25

Je me suis appliqué à savoir, à explorer et à rechercher la sagesse et le bon sens, à reconnaître également la malignité du sot et l'insanité de la folie.

7.26

Et j'ai trouvé plus amer que la mort, la femme dont le coeur n'est que piège et guet-apens ; ses bras sont des chaînes. Celui qui a la faveur de Dieu lui échappe, mais le pécheur s'y fait prendre.

7.27

Vois, c'est ce que j'ai trouvé, dit Kohélet, ajoutant un fait à un autre pour parvenir à la conclusion

7.28

que mon âme cherche encore et que je n'ai pas trouvée : un homme, parmi mille, j'en ai trouvé, mais une femme, parmi toutes, je n'en ai pas trouvé.

7.29

Seulement, voici ce que j'ai trouvé : Dieu a fait les hommes droits, mais ils ont pris beaucoup de détours.

Ecclésiaste 8

8.1

Qui est comme l'homme sage et qui connaît le sens des choses ? La sagesse d'un homme illumine sa face et l'effronterie de son visage est transformée.

8.2

Je te donne un conseil : obéis à l'ordre du roi, et ce, à la manière d'un serment devant Dieu.

8.3

Ne sois pas pressé de sortir de sa présence et ne persiste pas dans le mal, car Il peut faire ce qui Lui plaît.

8.4

Puisque la parole d'un roi est souveraine, qui oserait lui dire : « Que fais-tu ? »

8.5

Celui qui obéit au commandement ne connaîtra pas le mal, et l'esprit sage connaîtra le temps et la justice.

8.6

Le mal de l'homme le submerge, mais pour chaque chose il y a un temps et une justice.

8.7

En effet, il ne sait pas ce qui arrivera, car, quand cela arrivera, qui le lui annoncera ?

8.8

L'homme n'est pas maître de sa respiration ; il ne peut retenir son souffle, et il n'a aucun pouvoir sur le jour de sa mort. Il n'y a pas de délégation de pouvoir en temps de guerre, et le crime ne saurait sauver son homme.

8.9

Tout cela, je l'ai vu, et j'ai appliqué mon attention à toute l'oeuvre accomplie sous le soleil ; il est un temps où l'homme domine l'homme contre son propre gré.

8.10

Et ensuite, j'ai vu les méchants enterrés, venus une nouvelle fois, alors que ceux qui avaient fait le bien avaient déserté le lieu saint et avaient été oubliés dans la ville ; cela aussi est vanité.

8.11

C'est parce que la sanction punissant les actes d'iniquité n'est pas appliquée rapidement, que les gens sont encouragés à faire le mal.

8.12

Parce que tel pécheur fait cent fois le mal et [Dieu] est longanime à son égard ; néanmoins, je sais, moi, qu'ils trouveront le bien, ceux qui craignent Dieu, et qui font preuve de révérence à Son égard ;

8.13

mais il n'y aura aucun bonheur pour le méchant, et celui-ci, comme une ombre, ne prolongera pas ses jours parce qu'il ne craint pas Dieu.

8.14

Il est une vanité qui existe sur terre : parfois, il y a des justes qui sont traités comme s'ils agissaient à la manière des méchants, et des méchants qui sont traités comme s'ils agissaient à la manière des justes ; je disais que cela aussi est vanité.

8.15

J'ai donc loué la joie, car l'homme n'a pas d'autre but sous le soleil que de manger, boire et se réjouir — et elle l'accompagnera dans la peine qu'il se donne, les jours de sa vie que Dieu lui a accordée sous le soleil.

8.16

Lorsque j'ai appliqué mon esprit à connaître la sagesse et à observer les faits qui se déroulent sur la terre —, car aussi bien le jour que la nuit, les yeux de l'homme ne trouvent pas le sommeil, [11]

8.17

j'ai observé toute l'oeuvre de Dieu. L'homme ne peut pas pénétrer le sens des événements qui se produisent sous le soleil, car, même si l'homme s'évertuait à l'atteindre, il n'y parviendrait pas ; et même si l'homme sage prétend savoir, il ne peut le saisir.

Ecclésiaste 9

9.1

Car tout cela, je l'ai remarqué et j'ai cherché à le tirer au clair ; les justes, les sages et leurs actions sont dans la main de Dieu ; l'homme ne connaît ni l'amour ni la haine ; tout cela le dépasse.

9.2

Tout arrive pareillement à tous ; un seul destin attend le juste et le méchant, le bon, le pur et l'impur ; celui qui apporte un sacrifice et celui qui n'apporte pas de sacrifice ; l'homme de bien est comme le pécheur, celui qui prête serment est comme celui qui craint de prêter serment.

9.3

C'est un mal affectant tout ce qui s'accomplit sous le soleil : que le même destin soit réservé à tous. C'est pourquoi le coeur des hommes est plein de méchanceté, et la folie se trouve dans leur coeur leur vie durant ; et après cela, ils rejoignent les morts.

9.4

Mais, celui qui est rattaché à tous les vivants peut avoir quelque espoir, car un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.

9.5

Du moins, les vivants savent qu'ils mourront, mais les morts ne savent rien du tout ; pour eux, plus de récompense, car leur souvenir est oublié.

9.6

Aussi bien leur amour que leur haine et leur jalousie ont déjà disparu ; ils n'ont désormais plus aucune part à ce qui se passe sous le soleil.

9.7

Va, mange ton pain dans la joie et bois ton vin d'un coeur heureux, car Dieu a déjà agréé tes actions. [12]

9.8

Qu'à tout moment, tes habits soient blancs et que l'huile ne manque jamais sur ta tête.

9.9

Vis heureux avec la femme que tu aimes tous les jours éphémères de l'existence qu'Il t'a accordée sous le soleil, toute cette vaine existence qui est la tienne ; car c'est ta compensation dans la vie et dans la peine que tu te donnes sous le soleil.

9.10

Tout ce que tu es capable de réaliser par tes propres moyens, fais-le, car il n'y a ni activité, ni compte, ni connaissance, ni sagesse dans la tombe vers laquelle tu te diriges.

9.11

Encore une fois, j'ai vu sous le soleil que la course n'est pas gagnée par les plus rapides, ni la bataille par les plus forts et que le pain n'échoit pas aux sages, ni la richesse aux intelligents, ni encore la grâce aux érudits, car le temps et la mort arriveront pour tous.

9.12

Car l'homme ne connaît pas son heure : comme les poissons attrapés dans le filet fatal, et comme les oiseaux pris au piège, ainsi les hommes sont happés au moment du désastre, quand il s'abat sur eux soudainement.

9.13

Voici aussi ce que j'ai vu de la sagesse sous le soleil et cela m'a profondément affligé :

9.14

Il y avait une petite ville et les habitants y étaient peu nombreux ; un roi puissant vint contre elle, l'encercla et entreprit de grands travaux de siège tout autour.

9.15

Se trouvait dans la ville un homme pauvre, mais sage qui, par sa sagesse, sauva la ville ; mais personne ne se souvint de cet homme pauvre.

9.16

Sur cela, j'ai déclaré : « La sagesse est préférable à la puissance, même si la sagesse du pauvre est dédaignée et si ses paroles passent inaperçues. »

9.17

Les paroles des sages dites avec douceur sont plus écoutées que les clameurs du roi parmi les sots.

9.18

La sagesse vaut mieux que les armes, mais un seul pécheur gâte beaucoup de bien.

Ecclésiaste 10

10.1

Les mouches mortes font pourrir l'huile du parfumeur ; une petite sottise a plus de poids que sagesse et honneur.

10.2

Le coeur du sage [tend] vers sa droite, le coeur du sot, vers sa gauche.

10.3

Même sur la route, lorsque le sot marche, l'intelligence lui fait défaut et il révèle à tous qu'il est sot.

10.4

Si la colère du souverain s'enflamme contre toi, ne quitte pas ta place, car la déférence apaise de graves offenses.

10.5

Il est un mal que j'ai observé sous le soleil, qui semble être une erreur provenant du souverain :

10.6

la sottise est placée sur de hautes cimes, alors que des riches siègent à un rang inférieur.

10.7

J'ai vu des esclaves sur des chevaux, et des seigneurs marchant à pied, comme des esclaves.

10.8

Celui qui creuse une fosse y tombera ; celui qui fait une brèche dans un mur sera mordu par un serpent.

10.9

Celui qui déplace des pierres sera blessé par elles ; celui qui fend du bois s'exposera ainsi au danger.

10.10

Si la hache s'est émoussée et que personne n'en ait aiguisé le tranchant, elle renforce néanmoins les guerriers ; mais la sagesse est une valeur plus efficace.

10.11

Si le serpent mord faute d'incantations, il n'y a pas de profit pour le charmeur.

10.12

Les paroles d'un sage lui font trouver grâce, mais les lèvres d'un sot causent sa perte.

10.13

Le début de ses paroles c'est la sottise et la fin de son discours, une insanité malsaine.

10.14

Le sot multiplie les paroles, mais nul ne sait ce qui sera ; et ce qui arrivera après lui, qui peut [le] lui dire ?

10.15

La peine que se donnent les sots les exténue, comme celui qui ne connaît pas le chemin de la ville. [13]

10.16

Malheur à toi, pays dont le roi agit comme un enfant et dont les princes dînent le matin !

10.17

Heureux pays, dont le roi est un fils de nobles et dont les princes dînent à l'heure voulue — pour prendre des forces et non pour s'enivrer ! [14]

10.18

C'est à cause de l'indolence que la charpente s'effondre ; à cause de la nonchalance des mains, que la pluie pénètre dans la maison. [15]

10.19

Pour se réjouir, on fait un festin et le vin égaie la vie, mais l'argent répond à tout.

10.20

Même en pensée, ne maudis pas le roi et dans ta chambre à coucher, ne maudis pas le riche, car l'oiseau du ciel pourrait porter ta voix et la gent ailée, divulguer tes propos. [16]

Ecclésiaste 11

11.1

Répands ton pain à la surface des eaux, car après de longs jours, tu le retrouveras.

11.2

Donne une part à sept et aussi à huit, car tu ne peux savoir quelle calamité s'abattra sur la terre.

11.3

Si les nuages sont chargés, ils déverseront la pluie sur la terre ; si un arbre tombe au sud ou au nord, là où il sera tombé, il demeurera.

11.4

Qui attend le vent ne sèmera jamais, qui garde ses yeux fixés sur les nuages ne moissonnera jamais. [17]

11.5

De même que tu ne connais pas le chemin emprunté par le vent ni la nature de l'embryon dans le ventre qui le porte, de même ne peux-tu connaître l'oeuvre de Dieu Qui fait tout.

11.6

Le matin, sème ton grain, et le soir, ne laisse pas chômer ta main, car tu ne sais pas ce qui réussira, ceci ou cela, ou alors si les deux sont aussi bons [l'un que l'autre].

11.7

Douce est la lumière, et c'est un plaisir pour les yeux d'apercevoir le soleil. [18]

11.8

Même si un homme vit de longues années, qu'il se réjouisse de toutes, mais qu'il se rappelle que les jours des ténèbres seront nombreux. Tout ce qui arrive est vanité.

11.9

Réjouis-toi, jeune homme, dans ton jeune âge, que ton coeur soit en fête au temps de ton adolescence ; suis les inclinations de ton coeur et ce que voient tes yeux —, mais sache que pour toutes ces choses, Dieu t'appellera en jugement. [19]

11.10

Chasse plutôt la colère de ton coeur, éloigne le mal de ta personne, car l'enfance et l'adolescence sont vanité.

Ecclésiaste 12

12.1

Et souviens-toi de ton Créateur au temps de ta jeunesse, avant que n'arrivent les mauvais jours, et que ne surviennent ces années dont tu diras : « Je n'en retire pas de plaisir ».  [20]

12.2

Avant que le soleil, la lumière, la lune et les étoiles ne s'assombrissent et que les nuages ne reviennent après la pluie.

12.3

Le jour où les gardiens de la maison fléchissent, où les hommes vigoureux s'affaiblissent, où les broyeuses, devenues rares, restent oisives, et où celles qui regardent à travers les lucarnes s'obscurcissent ;

12.4

quand les portes de la rue se ferment, que s'estompe le bruit du moulin, qu'on se réveille au pépiement d'un oiseau, et que s'éteignent toutes les filles du chant ;

12.5

quand on s'effraie de toute montée, et que la route est pleine d'alarmes, et l'amandier fleurit, la sauterelle devient un pesant fardeau, le désir faiblit ; ainsi l'homme se dirige vers sa demeure éternelle et les pleureurs rôdent dans les rues.  [21]

12.6

Avant que ne craque la corde d'argent et que ne se fende la boule d'or, que la cruche ne se brise près de la fontaine et que la poulie ne se fracasse près du puits,

12.7

ainsi, la poussière retourne à la terre, redevenant ce qu'elle était, et l'esprit revient auprès de Dieu Qui l'a donné.

12.8

Vanité des vanités, dit Kohélet, tout est vanité.

12.9

Plus encore qu'il n'était sage, Kohélet a également enseigné la connaissance au peuple ; il a écouté, cherché et a composé de nombreux proverbes.

12.10

Kohélet s'est appliqué à trouver des paroles délectables et des mots de vérité écrits avec justesse.

12.11

Les paroles des Sages sont comme des aiguillons ; les anthologies [savamment] compilées, comme des clous bien enfoncés ; tout émane du même Pasteur.

12.12

Mais au-delà de cela, mon fils, prends garde : composer des livres en quantité, est une entreprise sans fin ; méditer au-dessus de ses capacités, c'est se fatiguer le corps.

12.13

La conclusion de cette étude, tout bien considéré : crains Dieu et garde Ses commandements, car c'est toute la tâche de l'homme.

12.14

En effet, tous les actes, Dieu les amènera en jugement — même ce qui est entièrement caché, que ce soit bon ou mauvais.

[1] Kohelet, La Torah (La Loi), Edmond J. Safra © 2011, pp. 1348-1357.

NOTE F. B.
Le texte intégral français de La Torah serait apparemment la traduction la plus littérale. En la transcrivant, certains passages me restaient obscurs. Aidé de deux autres sources — Louis Segond 1910 (Wikisource) et Bible en français courant (© Société biblique française, 1997) — je me suis permis quelques fusions pour en restituer le sens, mais seulement là où la traduction littérale laissait perplexe. J'ai aussi comparé le sens commun généralement entendu à partir de 6 autres traductions dans lueur.org pour vérifier que cette refonte reste fidèle à l'original.

Bien que le texte soit l'original, la transcription reflète ma propre lecture ; les couleurs et le surlignage sont de moi. Ils insèrent une trace de l'importance des sentiments que j'éprouve à la lecture des différents passages.

Certains versets (marron) restent cependant obscurs. Ceci révèle peut-être que la réflexion de l'auteur était parfois nébuleuse, mais plus probablement que certaines subtilités de l'hébreu ne sont pas traduisibles en français. Quoi qu'il en soit, ceci donne raison à Kohélet (l'Ecclésiaste) qui écrit : « Les paroles sont vaines à exprimer le monde (Ecc 1.8). » En écrivant cela, il déclarait que son propre texte est aussi une vaine tentative de se faire comprendre.

Mais après la mort, son existence aura-t-elle été vaine ? Malgré les ~2300 ans (ou 3000 ans) qui nous séparent, elle nous touche pourtant encore. Même si Kohélet-l'homme-individu s'est éteint, sa pensée continue maintenant à vivre en quelque sorte à travers nous en le lisant. L'oeuvre est le seul moyen de s'éterniser, mais cela aussi est vanité et tourment de l'esprit. Les jours de la vie sur terre sont comptés ; l'individu est éphémère. Ce qui survit c'est l'humanité à travers les vagues des générations qui se renouvellent (Schopenhauer). N'est-elle que vanité et tourment de l'esprit ? Pas que, mais aussi.

NOTE sur « Dieu » :
Kohélet nomme Dieu tout au long de sa prédication. Nous savons que le monde hébraïque interdit de nommer Dieu (voir Moïse). Est-ce que Kohélet blasphème ? En fait, il faut surtout comprendre que lorsque l'on nomme Dieu, on en fait un être personnel. Ceci introduit une foule de confusions. Mais dès que l'on considère Dieu comme une entité impersonnelle, tout s'éclaire. On pourrait donc remplacer le mot Dieu par le destin ou le ciel ou l'univers ou encore la divinité, pour supprimer toute confusion.

Si l'on parle de Dieu comme d'un individu doté d'une volonté personnelle — une sorte de Superman — on humanise le destin pour le comprendre, pour le mettre à notre portée, comme s'Il était un personnage défini. Mais D.eu — Hachem (le Nom) — est tout sauf un être défini ; c'est pourquoi il est préférable de ne jamais le nommer.

Kohélet le sait bien, mais il utilise le terme « Dieu » pour humaniser sa prédication. Si l'on fait l'exercice de remplacer le terme « Dieu » chaque fois qu'il l'emploie par « le destin », tout s'éclaire et la confusion disparaît. Et ceci rend au texte sa pleine valeur, même pour les athées qui ont quelque part raison de ne pas croire en Dieu. En fait, les positions des athées et des croyants qui ont pris la peine de creuser la question se rejoignent sur ce point : un Dieu personnel n'existe pas, mais une force générale diffuse gouverne l'Univers. C'est de cette force vitale (nommée « volonté » chez Schopenhauer) dont on parle quand on évoque Dieu.

[2] Inutile de travailler et d'accumuler plus que nécessaire. Jouis toi-même de ta propre vie et du produit de ton travail sinon un autre en jouira à ta place. La jouissance, c'est Dieu lui-même qui te la procure, et si tu t'en prives, tant pis pour toi, Il fera jouir quelqu'un d'autre du produit de ton labeur. Ce message est répété en substance à neuf reprises : (voir 3.12-3.13, 4.8, 5.17-5.18, 6.3, 8.15, 9.7, 9.9).

[3] On retrouve ici la première occurrence du concept d'amor fati (aime ton destin) chez Nietzsche et qui rejoint le déterminisme des stoïciens qui recommandent d'accepter notre destinée.

[4] Ce verset est le fil conducteur de toute la pensée d'Emil Cioran.

[5] On trouve ici un cas intéressant de divergence d'interprétation livrée par la traduction. Le verset peut être rendu avec la traduction suivante et semble cohérent :
[Ne t'accuse pas du péché de la chair, et ne dis pas au messager que c'était une erreur. Pourquoi Dieu devrait-Il s'irriter de ce que tu dis et détruire ton oeuvre ?]. On peut penser ici que Kohélet suggère d'être indulgent avec soi-même, puisque D.eu n'a pas de raison de s'irriter de nos paroles.
La traduction de Louis Second 1920 débouche sur une interprétation ambiguë :
« Ne permets pas à ta bouche de faire pécher ta chair, et ne dis pas en présence de l'envoyé que c'est une inadvertance. Pourquoi Dieu s'irriterait-il de tes paroles, et détruirait-il l'ouvrage de tes mains ? »

[6] Kohélet rejoint ici Sénèque qui affirmait que « Le premier bonheur serait de ne pas naître et le second, de mourir le plus rapidement possible. »

[7] Kohélet rejoint ici le principe chinois taoïste de la complémentarité universelle Yin/Yang exprimée par Lao-tseu.

[8] Kohélet voit ici la mort comme indésirable, alors qu'ailleurs, en 4.2, il dit que les morts [...] sont plus heureux que les vivants. Est-ce qu'il se contredit ? Face à une vision aussi pessimiste de l'existence, on pourrait penser que la mort serait une délivrance sublime recherchée. Si l'individu est destiné à disparaître ; s'il ne peut rien emporter dans la mort qui l'anéantira ; si l'enrichissement est vain ; s'il ne reste rien de tout le travail sous le soleil ; si la vie et tout ce qu'elle comporte n'est que vacuité ; peut-on penser que le sage devrait songer sérieusement au suicide ?

Il dit en 8.13, qu'il faut craindre Dieu sinon aucun bonheur pour le méchant [qui] ne prolongera pas ses jours. Kohélet pense donc qu'il est préférable de vivre plus longtemps dans le bonheur que mourir pécheur. Mais qu'en est-il pour une personne bonne qui n'éprouve plus de bonheur à vivre ? Devrait-elle mettre fin à ses jours ?

Il dit ailleurs : les justes, les sages et leurs actions sont dans la main de Dieu (9.1). C'est Dieu (le destin) qui décide, pourquoi mourrais-tu avant ton heure (7.17) ? L'homme n'est pas maître de sa respiration ; il ne peut retenir son souffle, et il n'a aucun pouvoir sur le jour de sa mort (8.8). Il dit aussi que les vivants ont un net avantage sur les morts. (9.4, 9.5). Aussi, il recommande de jouir de la vie au maximum (9.7 - 9.10). Mais si tout est vanité, la vie remplie d'injustices et de souffrances, et si d'autre part, la mort est préférable, pourquoi ne pas en finir tout de suite ?

En fait, le suicide n'est pas chose facile. On ne se suicide pas comme l'on souffle la chandelle. Ne pas advenir à la vie est préférable, mais en sortir constitue une souffrance supplémentaire que personne — pas même le sage — n'est enclin à accomplir. La vie est sans doute une sorte de prison d'où il serait préférable de s'évader à la première occasion, mais encore faut-il le faire en s'assurant le minimum de souffrance. Ainsi, faut-il attendre que, vieillesse aidant, elle survienne aussi naturellement qu'une pomme mûre se détache de la branche. Mais quel devrait être le choix du sage à qui l'occasion de mourir sans souffrir se présente soudainement ?

C'est probablement pour clore cette question d'éthique cuisante que la chrétienté a inventé un paradis à la fin de nos jours (ou un enfer) après le Jugement de l'individu. Mais quelle en est la nature ? Nous savons que ce qui subsiste de l'individu après sa mort, c'est une trace de sa mémoire ; trace directe dans l'esprit des gens qui l'ont connu, ou bien écrite, sonore ou vidéo dans les documents produits durant sa vie. On dit souvent « vox populi, vox Dei » (la voix du peuple est la voix de Dieu). Le jugement du peuple — de ceux qui vont venir après nous — serait en quelque sorte le paradis (ou l'enfer) qui nous attend. Ceci n'a rien de concret pour l'individu qui sera disparu sinon le sentiment immédiat de préserver l'honneur de sa mémoire dans l'esprit des générations à venir. Mais qu'en est-il de l'honneur de ceux qui mettent volontairement fin à leurs jours ?

La vox populi est plutôt variable selon les lieux les époques et la culture. Au Japon, autrefois, ceux qui se suicidaient gagnaient la faveur populaire. On considérait la chose comme un geste courageux qui effaçait toute faute du sujet. Les chrétiens condamnent Judas de s'être pendu après avoir livré son ami Jésus aux autorités ; non pas pour s'être pendu en tant que tel, mais pour avoir refusé de croire que le pardon divin lui était impossible. Au Moyen-Âge, les suicidés chrétiens étaient automatiquement damnés. Encore aujourd'hui certains chrétiens pensent de même. À l'époque industrielle, les lois l'interdisaient ; on emprisonnait les survivants. Aujourd'hui, on les considère comme des psychopathes qu'il faut soigner ; ils sont dépressifs. Mais qu'en est-il de celui qui, comme le sage Kohélet, arrivé rationnellement au bout de sa réflexion, conclut que la vie n'est que vaine souffrance et qu'il serait préférable de l'abréger ?

Cette réflexion est dangereuse. Non pas d'un point de vue individuel, mais d'une perspective collective. L'individu qui choisit pour lui-même de mettre fin à ses jours tranquillement sans nuire à personne ne craint rien. Encore faut-il qu'il en trouve le moyen — ce qui n'est pas à la portée du premier venu. Mais l'idée que la mort est préférable à la vie est si évidente et si puissante qu'elle serait dévastatrice pour peu qu'elle se répande. On entretient soigneusement aujourd'hui, plus que jamais, dans l'esprit des gens l'idée que la vie humaine a la plus haute valeur qui soit. Les statistiques sur le suicide sont disponibles, mais jamais on n'en parle dans les journaux. Chaque fois que la mort est mise en scène sur la place publique, c'est pour renforcer l'idée qu'il faut la craindre. Aucun autre sujet que la sécurité n'a davantage d'importance. Accidents, maladies et crimes contre la personne sont étalés généreusement chaque jour dans tous les médias et produits culturels pour répéter ad nauseam que la vie humaine est d'une valeur suprême.

Bref, comme je l'ai souvent répété ailleurs, tout conflit surgit à la frontière du Privé et du Public. La mort est une solution avantageuse pour tout individu. Elle permet de sortir de l'interminable cycle de joies et de misères vaines qui se termine toujours, quoi que l'on fasse, par la mort personnelle. Privée. Collectivement, la mort est une horreur indicible. On n'a qu'à penser à toutes les guerres et au suicide collectif de Jonestown (1978). Quand l'individu meurt, son entité entière s'évanouit ; subjectivement il glisse dans un sommeil profond ; ni plus ni moins. Mais pour la collectivité, l'horreur vient du fait que l'agonie est multiple, et s'échelonne dans le temps. Elle imprime dans l'esprit de ceux qui vont mourir l'affreux spectacle objectif de la dégradation. La vie veut la vie ; le vieux se réjouit à la vue de la jeunesse ; le dépérissement est une souffrance insupportable.

En soi, l'individu n'est que le lieu où lutte l'interminable recherche de vaines satisfactions. Mais il est aussi la conjonction culturelle des civilisations millénaires. Quand il s'éteint, les autres prennent la relève. Mais, de son vivant, il anticipe aussi la mémoire, et c'est cette faculté humaine qui le prolonge dans le passé aussi bien que dans l'avenir, qui le console de vivre une vie individuelle vaine et limitée. Il y a chez l'humain un tel désir de vivre qu'il s'est donné le moyen de se prolonger dans le temps au-delà des millénaires, bien que, personnellement, sa vie Privée soit d'une limitation dérisoire.

Quand on se suicide, c'est pour longtemps, c'est un geste définitif (Camus). Mais comme l'oeil ne se rassasie pas de voir, et l'oreille ne se lasse pas d'entendre (1.8) on peut penser que Kohélet constate que la vie est une source intarissable de voir et d'entendre, et que, même si la mort est préférable à la vie, la curiosité que le vivant éprouve pour ce qu'il est en train de voir et d'entendre le distrait amplement de l'idée que le sommeil éternel est préférable. Mais qu'en est-il lorsque la vie subsiste alors que les yeux et les oreilles ne fonctionnent plus ? À partir de quel moment, dans la longue glissade du dépérissement corporel, l'individu peut-il se permettre de décider pour lui-même que le sommeil éternel est préférable au peu de vie qu'il lui reste ?

Mais il subsiste une dernière question, et non la moindre. Lorsqu'il aura perdu la faculté de se faire comprendre, comment l'individu pourrait-il agir sa propre mort volontairement ? Comment convaincre le médecin et la famille de le suicider lorsque le dépérissement aura atteint le point où il aura cessé de pouvoir communiquer efficacement ? Nous savons l'imbroglio inextricable que constitue une telle décision dans un monde qui répète ad nauseam que la vie est sacrée, qu'il est interdit de tuer, que le meurtre est le péché absolu. Ne faudrait-il pas se procurer les moyens de se suicider par soi-même, et de passer à l'acte, aussitôt que possible pendant qu'il est encore temps ?

[9] Je peux donc dire pour moi-même : c'est donc par désir d'être plus fort que les plus forts — par orgueil peut-être — que j'ai essayé d'être sage. Je me sentais donc faible. La consolation du faible reste encore dans le désir de perfectionner sa sagesse.

[10] Paradoxe. Il faut être sage pour constater que la sagesse est inaccessible.

[11] L'oeil ne se rassasie pas de voir (1.8).

[12] N'y a-t-il pas ici le germe du pardon universel chrétien ?

[13] Ne pas travailler en cabochon.

[14] Manger pour vivre, et non vivre pour manger.

[15] Travailler avec professionnalisme.

[16] Les murs ont des oreilles.

[17] Agir !

[18] Peut-être le vieux Kohélet était-il affublé de cataractes. Il dit souvent : « ...sous le soleil ».]

[19] Oui, mais n'a-t-il pas dit en substance plus haut (9.7) que tout serait pardonné ?

[20] Tiens ! C'est ce que disait mon grand-père Beyries à l'âge de 93 ans : « Vous savez, à mon âge, la vie m'apporte plus ben ben d'agrément. » Il est mort à l'âge de 100 ans et 4 mois après une longue vieillesse en santé et sécuritaire, vécue dans l'ennui.

[21] Si la vie ne vaut que pour les plaisirs de boire, manger et se réjouir, vient sans doute un temps où il faut penser à mourir, à dénaître.

Philo5
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