MES LECTURES - Passages choisis 

Pascal Bruckner

2003-05-08

Grasset & Frasquelle © 1995

La Tentation de l'innocence [1]

SOMMAIRE

Infantilisme et victimisation

Victoire à la Pyrrhus [Fardeau de l'individualité]

Syndrome du clone [Rien de plus banal que d'être unique]

Fatigue d'être soi

Dictature femelle

Femmes-fleurs et pornocrates

Éros ligoté

Guérir le coeur contre lui-même

Infantilisme et victimisation

p. 14

J'appelle innocence cette maladie de l'individualisme qui consiste à vouloir échapper aux conséquences de ses actes, cette tentative de jouir des bénéfices de la liberté sans souffrir aucun de ses inconvénients. Elle s'épanouit dans deux directions l'infantilisme et la victimisation, deux manières de fuir la difficulté d'être, deux stratégies de l'irresponsabilité bienheureuse. Dans la première, innocence doit se comprendre comme parodie de l'insouciance et de l'ignorance des jeunes années ; elle culmine dans la figure de l'immature perpétuel. Dans la seconde, elle est synonyme d'angélisme, signifie l'absence de culpabilité, l'incapacité à commettre le mal et s'incarne dans la figure du martyr autoproclamé.

Qu'est-ce que l'infantilisme ? Non pas seulement le besoin de protection, en soi légitime, mais le transfert au sein de l'âge adulte des attributs et des privilèges de l'enfant. Puisque ce dernier en Occident est depuis un siècle notre nouvelle idole, notre petit dieu domestique, celui à qui tout est permis sans contrepartie, il forme — du moins dans notre fantasme — ce modèle d'humanité que nous voudrions reproduire à toutes les étapes de la vie. L'infantilisme combine donc une demande de sécurité avec une avidité sans bornes, manifeste le souhait d'être pris en charge sans se voir soumis à la moindre obligation. S'il est aussi prégnant, s'il imprime sur l'ensemble de nos vies sa tonalité particulière, c'est qu'il dispose dans nos sociétés de deux alliés objectifs qui l'alimentent et le sécrètent continuellement, le consumérisme et le divertissement, fondés l'un et l'autre sur le principe de la surprise permanente et de la satisfaction illimitée. Le mot d'ordre de cette « infantophilie » (qu'on ne doit pas confondre avec un souci réel de l'enfance) pourrait se résumer à cette formule : tu ne renonceras à rien !

Quant à la victimisation, elle est ce penchant du citoyen choyé du « paradis » capitaliste à se penser sur le modèle des peuples persécutés, surtout à une époque où la crise sape notre confiance dans les bienfaits du système. Dans un livre consacré à la mauvaise conscience occidentale, j'avais autrefois défini le tiers-mondisme comme l'attribution de tous les maux des jeunes nations du Sud aux anciennes métropoles coloniales. Pour que le tiers-monde soit innocent, il fallait que l'Occident fût absolument fautif, transformé en ennemi du genre humain (Pascal Bruckner, Le sanglot de l'homme blanc, Seuil 1983). Et certains Occidentaux, surtout à gauche, aimaient à se flageller, éprouvant une jouissance particulière à se décrire comme les pires. Depuis lors le tiers-mondisme en tant que mouvement politique a décliné : comment prévoir qu'il ressusciterait chez nous à titre de mentalité et se propagerait avec une telle vitesse dans les classes moyennes ? Personne ne veut plus être tenu pour responsable, chacun aspire à passer pour un malheureux, même s'il ne traverse aucune épreuve particulière.

[...]

L'infantilisme et la victimisation, s'ils se recoupent parfois, ne se confondent pas. Ils se distinguent l'un de l'autre comme le léger se distingue du grave, l'insignifiant du sérieux. Ils consacrent néanmoins ce paradoxe de l'individu contemporain soucieux jusqu'à l'excès de son indépendance mais qui réclame en même temps soin et assistance [...].

Pourquoi est-il scandaleux de simuler l'infortune quand rien ne vous affecte ? C'est qu'on usurpe alors la place des vrais déshérités. Or ceux-ci ne demandent ni dérogations ni prérogatives, simplement le droit d'être des hommes et des femmes comme les autres. Là réside toute la différence. Les pseudo-désespérés veulent se distinguer, réclament des passe-droits pour ne pas être confondus avec l'humanité ordinaire ; les autres réclament justice pour devenir simplement humains. Ce pourquoi tant de criminels endossent la défroque du supplicié afin de perpétrer leurs forfaits en toute bonne conscience, d'être des salauds innocents.

Victoire à la Pyrrhus
[Fardeau de l'individualité]

p. 32

Comment ne pas voir en effet que la victoire de l'individu sur la société est une victoire ambiguë et que les libertés accordées au premier — libertés d'opinion, de conscience, de choix, d'action — sont un cadeau empoisonné et la contrepartie d'un terrible commandement : c'est à chacun désormais qu'est dévolue la tâche de se construire et de trouver un sens à son existence. Hier croyances, préjugés, coutumes n'étaient pas que d'odieuses tutelles ; ils protégeaient contre le hasard et les aléas, garantissaient, en échange de l'obéissance aux lois du groupe ou de la communauté, une certaine tranquillité. L'homme d'autrefois pouvait bien se soumettre à toutes sortes de mortifications, sacrifices qui nous paraissent aujourd'hui odieux, ils lui assuraient une place, l'inséraient dans un ordre immémorial où il était lié aux autres par toutes sortes de devoirs. Il était donc reconnu et investi d'une responsabilité limitée. Alors que le moderne, dégagé en principe de toute obligation qu'il ne s'est pas lui-même assignée, ploie sous la charge d'une responsabilité virtuellement sans limites. C'est cela l'individualisme : le déplacement du centre de gravité de la société au particulier sur qui reposent désormais toutes les servitudes de la liberté. En balayant vérités révélées et dogmes, la personne privée s'est peut-être agrandie ; elle s'est d'abord affaiblie, coupée de tout point d'appui. Éjectée de la coquille protectrice de la tradition, des usages, des observances, elle se retrouve plus vulnérable que jamais.

[...]

Son existence [...] n'aura d'autre signification que celle qu'il veut bien lui donner. [...]

Désormais mon sort ne dépend que de moi : impossible de me décharger sur une instance extérieure de mes manquements ou de mes bévues. Envers de ma souveraineté : si je suis mon propre maître, je suis aussi mon propre obstacle, seul comptable des revers ou des bonheurs qui me touchent. [...] alors que la religion pose à l'avance les valeurs à honorer, nous édictons nous-mêmes nos critères d'échec ou de succès au risque de ne pas les voir reconnus par les autres [...]. Après Freud, si l'homme n'est plus souverain sur lui-même, il est toujours responsable de soi [...].

[...] Dans les temps modernes, nous dit Tocqueville, les hommes sont volontiers agités, inquiets : « Ils ont détruit les privilèges de quelques-uns et rencontrent la concurrence de tous. [...] »

[...]

Car avant de vendre sa force de travail sur le marché, avant toute difficulté sociale ou politique, chacun doit d'abord se vendre en tant que personne pour être acceptée, conquérir une place que nul ne lui reconnaît dans un monde qui ne lui appartient pas. Notre souffrance, à nous autres Occidentaux, c'est de tout rapporter à cette infinie unité, ce minuscule atome social, l'individu, armé d'un seul flambeau, sa liberté, riche d'une seule ambition, lui-même. Le manque de confiance en soi n'est pas seulement le trait d'une personnalité faible ou névrosée, il est le symptôme d'un état où les personnes ne cessent de fluctuer, telles les cotations des matières premières à la Bourse, au gré des valeurs plus ou moins grandes que leur attribue l'opinion, c'est-à-dire le tribunal le plus versatile qui soit. Un jour en hausse, un jour en baisse, nous ne sommes sûrs que de l'instabilité de notre situation. Et c'est le malheur du has been, de celui qui a eu sa chance et qui l'a perdue, que de voir son destin scellé une fois pour toutes. (De là ce culte très particulier que nous rendons aux stars, ces divinités révocables des sociétés égalitaires que nous adorons et que nous brûlons sans vergogne et qui nous offrent l'illusion de se suffire à elles-mêmes, d'incarner une promesse de rédemption mondaine.)

[...]

« Ça ne peut plus durer ! » Combien de fois dit-on cela afin que tout précisément continue comme avant ? Pour certaines personnes la plainte est un mode de vie et la véritable vieillesse, celle de l'esprit, commence quand, à 20 ans ou à 60, on n'est plus capable d'échanger avec les autres que doléances et gémissements, quand déplorer sa vie, la diffamer reste le meilleur moyen de ne rien faire pour la changer. [...] Si l'on s'en veut de céder parfois à la plainte, c'est qu'elle se dégrade vite en complaisance à ses petites misères. Cette façon de ne pas s'incliner devant l'ordre des choses devient alors la forme bavarde du renoncement.

Syndrome du clone
[Rien de plus banal que d'être unique]

p. 38

Une autre déconvenue attend l'homme moderne : se croire unique et se découvrir quelconque. Dans un monde d'ordres et de hiérarchies, l'individualisme était une expérience pionnière portée par des personnalités d'exception qui osaient s'émanciper des dogmes et des habitudes pour avancer seules dans l'inconnu. Vinci, Érasme, Galilée, Descartes, Newton balisaient des sentiers dans la nuit, écartaient les idées reçues, opposaient aux préjugés de leur temps l'audace fondatrice d'une rupture. Et c'est ainsi qu'est né l'individualisme comme tradition du refus de la tradition. Ces grands réformateurs esquissaient un type d'humanité différente, suggéraient un autre rapport à la loi, au passé, à la transcendance. Mais en devenant la norme, l'individualisme s'est banalisé, s'est confondu avec l'ordinaire ambiant. La personne privée triomphe sans doute, mais perdue dans la multitude, elle rapetisse aussi et, comme l'avait noté Benjamin Constant, elle voit son influence décroître à mesure qu'elle jouit paisiblement de son indépendance. Elle n'est qu'un fragment qui se prend pour un tout à côté d'autres touts qui ne sont eux aussi que des fragments. Chacun se croit irremplaçable et voit les autres comme une foule indistincte, mais cette croyance est immédiatement balayée par l'égale prétention de tous. Et moi et moi : nous sommes tous des ego dont l'amour-propre est à vif.

Le dénouement de cette aventure, c'est que les hommes se ressemblent désormais dans leur manière de vouloir se distinguer. Cette envie de se démarquer est précisément ce qui les rapproche, c'est dans cette distance que s'affirme leur conformité. La fascination romantique pour l'être d'exception — le fou, le criminel, le génie, l'artiste, le débauché — naît de cette peur de l'enlisement dans la grégarité, dans le prototype du petit-bourgeois. « Je ne suis pas comme les autres », telle est la formule de l'homme du troupeau. Car le châtiment qu'encourt l'individu contemporain est moins l'emprisonnement ou la répression que l'indifférence : ne compter pour rien, n'exister que pour soi, demeurer éternellement un « pré-quelqu'un » (Evelyne Kestenberg) que les autres enregistrent comme une présence, non comme un interlocuteur. (En écrivant L'Homme invisible en 1952, Ralph Ellison insistait sur la transparence de ses compatriotes noirs aux États-Unis, leur couleur de peau les rendant interchangeables et sans identité. Cet état de mort sociale, toutes proportions gardées, est le cauchemar qui hante virtuellement chacun de nous.) D'où ce « narcissisme des petites différences » (Freud) cultivées avec un soin d'autant plus maniaque que nous menons à peu près tous la même existence, d'où cette bataille pour attirer l'attention de nos semblables, la rage de faire parler de soi, fût-ce par les moyens les plus extravagants. C'est cela l'expérience de la massification dans une société où les particuliers ne sont rien parce que l'individualisme est tout.

[...] Se créer c'est d'abord copier : à chacune de mes pensées, chacun de mes gestes, j'expérimente l'empreinte d'autrui en moi. Je suis fait de tous ces autres comme ils sont faits de moi. Chacun se rêve fondateur et se découvre suiveur, imitateur. Sans compter ces zones marginales où le moi disparaît dans la rumeur anonyme, l'indifférenciation de Monsieur Tout-le-Monde, du « Herr Omnes » de Luther. Nos sociétés sont obsédées par le conformisme parce qu'elles sont composées d'individus qui se piquent de singularité, mais alignent leur comportement sur celui de tous.

[...] De là encore ces comportements aberrants, ce mélange de pathétique et de ridicule qui forme l'ordinaire de nos existences : le mépris apparent des autres et la quête panique de leur approbation, le rejet de la norme et l'angoisse d'être différent, l'aspiration à se distinguer liée au bonheur de faire foule, l'affirmation qu'on n'a besoin de personne et le constat amer que personne n'a besoin de nous, la misanthropie s'accompagnant de la mendicité honteuse des suffrages d'autrui, etc. Sans oublier ces stratégies de la dissimulation ostentatoire qui consistent à se cacher pour être visible, à se taire pour faire un bruit assourdissant, à s'imposer par son absence. Pour finir, chacun se découvre étranger dans sa propre demeure, emplie d'intrus qui parlent à sa place, dessaisi de soi au moment où il croyait s'exprimer en son propre nom. « " Je ne sais de quel côté me tourner, je suis tout ce qui ne peut trouver d'issue ", gémit l'homme moderne » (Nietzsche, L'Antéchrist).

Fatigue d'être soi

p. 42

Une double tâche attendait autrefois ceux qui prétendaient au beau titre d'hommes et de femmes libres : ils devaient s'isoler de la masse moutonnière et travailler à devenir ce qu'ils voulaient être. Désertant les territoires arpentés, ils heurtaient de plein fouet les pouvoirs établis et s'exposaient à leurs représailles, se façonnaient en luttant contre la prépondérance d'un mode de vie, d'une foi, d'une valeur. Rien de tel aujourd'hui : l'état d'individu en Occident est non seulement un phénomène collectif, mais il est octroyé à chacun avant même qu'il ait commencé à vivre. Je suis fait tel en quelque sorte avant d'avoir fait quoi que ce soit et ce privilège, je le partage à égalité avec des millions d'autres. Cette liberté concédée et non conquise tombe sur nous comme une douche glacée : nous voilà condamnés à être des individus, au sens où Sartre disait que nous sommes condamnés à la liberté. Et puisque ce statut est un droit autant qu'un devoir, l'individu aura tendance à oublier ses devoirs et à brandir ses droits, il n'aura de cesse de piétiner cette liberté qui le ravit autant qu'elle l'encombre. Vain, vague et vulnérable : ainsi se découvre-t-il au moment où tous l'assurent qu'il est le nouveau monarque de cette fin de siècle. Et son mal d'être demeure constitutif de l'idéal qui est le sien.

Ultime retournement : le sujet triomphant, ayant balayé les obstacles qui se dressaient sur sa route, se voit désormais comme la victime de son propre succès. Ce vaillant condottiere qui s'était soulevé contre les puissances en place et revendiquait haut et fort de n'en faire qu'à sa tête se retrouve désespéré d'avoir gagné. Il dénonçait hier les empiétements intolérables du contrôle social ; il accuse désormais la société de l'abandonner à son sort. C'est qu'il est en porte à faux : son triomphe ressemble à une défaite. La rébellion de l'Unique contre la foule, les bourgeois, les philistins n'était pas sans ambiguïté : ces collectifs honnis lui conféraient aussi, à travers leur oppression, une certaine épaisseur. L'empêchement était un adjuvant, l'obstacle une source de force, une incitation a la résistance. Désormais l'Unique en veut au monde entier de l'autoriser à être soi, de ne plus interférer dans ses décisions et il soupire après un peu d'interdit, de tabous.

Une fois encore c'est Rousseau qui a génialement annoncé cette tendance lorsque, parvenu à un âge avancé, le regret de n'avoir pas goûté à tous les plaisirs dont son coeur était avide lui dicte les phrases suivantes : « Il me semblait que la destinée me devait quelque chose qu'elle ne m'avait pas donné. À quoi bon m'avoir fait naître avec des facultés exquises pour les laisser jusqu'à la fin sans emploi ? Le sentiment de mon prix interne, en me donnant celui de cette injustice, m'en dédommageait en quelque sorte et me faisait verser des larmes que j'aimais à laisser couler. [2] » Il y a dans l'aspiration à être soi un tel appétit de bonheur et de plénitude que l'existence génère inévitablement la déception. La vie a toujours la structure de la promesse : cette « promesse de l'aube » pour reprendre l'expression de Romain Gary ne peut être tenue, les mille merveilles qu'elle nous fait miroiter n'arrivent qu'au compte-gouttes. En définitive, nous sommes toujours « floués » et notre existence se retourne sur nous comme une suite de désastres, d'occasions manquées. « J'étais fait pour vivre et je meurs sans avoir vécu. [3] » Dès lors chacun de nous peut se formuler à voix basse ce grief : je mérite mieux, on me doit consolation. Ce qui fédère les hommes maintenant, c'est un même malaise devant leur identité, une même doléance devant les injustices du sort puisqu'ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes de leur infortune. Même triomphant, l'individu aime à se penser vaincu : dans sa victoire il soupçonne que quelque chose d'essentiel a été perdu, la chaleur matricielle de la tradition, la tutelle protectrice de la collectivité. Sa détresse est le résultat d'une avancée et non d'une défaite et il voudrait, vainqueur, continuer à être vu comme un persécuté.

On l'aura compris : l'individualisme est une fiction indépassable autant qu'impossible. Même si la transparence à soi est un leurre, le moi un pieux mensonge, il paraît difficile d'en revenir à une conception organique de l'état social, à une vision de la société comme une grande âme collective qui nous soulagerait du souci de nous construire. On a beau humilier le sujet, le rabaisser de toutes les façons, il demeure, avec ses ridicules et ses misères, notre seul instrument de mesure, notre valeur centrale et, pour suivre Habermas, nous ne confondrons pas l'inachèvement de la modernité avec sa faillite. Le désir d'être maître et responsable de soi, d'être « une personne et non personne » (Isaiah Berlin) reste fondamental. C'est à cet idéal qu'il faut opposer inlassablement les diverses contrefaçons qui circulent aujourd'hui sous le nom d'individualisme et qui signent l'évanouissement et non pas l'épanouissement du sujet. Il n'en reste pas moins que toute vie d'hommes et de femmes libres n'est qu'une suite de rechutes, d'échappées dans la lâcheté, la routine, la soumission. À la fameuse question de Stendhal : « Pourquoi les hommes ne sont-ils pas heureux dans le monde moderne ? », nous pouvons répondre : parce qu'ils se sont affranchis de tout et s'aperçoivent que la liberté est insupportable à vivre. Alors que la libération a une sorte de grandeur épique et poétique quand elle nous délivre de l'oppression, la liberté, parce qu'elle engage et oblige, nous tyrannise par ses exigences. Cette promotion est aussi une malédiction : ce pour quoi tant d'hommes et de femmes se consolent dans le néo-tribalisme, les drogues, l'extrémisme politique, les mysticismes de pacotille. [...]

[...] Les loisirs, le divertissement, l'abondance matérielle constituent à leur niveau une tentative pathétique de réenchantement du monde, l'une des réponses que la modernité apporte à la souffrance d'être libre, à l'immense fatigue d'être soi.

Dictature femelle

p. 54

Le soupçon nous vient alors que la rage de certaines féministes naît moins d'un recul que d'un progrès, de la certitude que les acquis du mouvement sont bien irréversibles. Si les femmes ont conquis « un nouveau droit, celui d'être malheureuses [4] », si elles sont déchirées entre leurs amours, leurs carrières et leurs enfants, c'est qu'elles sont devenues, après les hommes, des personnes privées, contraintes tout comme eux de s'inventer dans le trouble et le tâtonnement. Or cette victoire déçoit : non seulement l'autonomie n'a pas supprimé les anciens fardeaux liés à leur condition tout en les privant des égards qui leur étaient dus autrefois, mais de plus elle se traduit par le sentiment angoissant du chacun pour soi. Nous l'avons déjà vu, la liberté désenchante et isole alors que la libération rassemble et exalte, l'une s'oppose à l'autre comme la prose à la poésie, comme l'assomption de la loi face au joyeux renversement des entraves. Autrement dit le sentiment de vanité et de lassitude ressenti par beaucoup de femmes (et d'hommes) ne naît pas d'un revers, mais au contraire d'un accomplissement.

Reste que les philippiques haineuses entendues de part et d'autre n'augurent rien de bon : comme si les relations entre les sexes devaient s'envenimer nécessairement à mesure que leurs conditions se rapprochent. Il nous appartient de faire la preuve que la libération des moeurs ne conduit pas automatiquement à la guerre ou à la récrimination. L'ordre patriarcal comme le mariage étaient avant tout garants de la paix entre hommes et femmes. Il y a toujours eu dans le féminisme deux composantes, une composante libératrice et anti-autoritaire et une composante sectaire, confite dans le ressentiment et le chauvinisme utérin. S'il est possible d'adhérer à la première et de refuser avec nos compagnes tout ce qui relève de la discrimination, tout ce qui les empêche de maîtriser leur fécondité et freine leur libre choix — qu'est-ce que le féminisme sinon l'exigence du deuxième sexe d'accéder à la dignité de sujet ? —, il n'est pas difficile de déceler dans l'autre position une certaine incohérence. Outre que le mouvement des femmes n'a pas à s'inscrire dans l'ordre de la revanche, mais dans celui du droit, il est évident que certaines militantes réclament moins l'égalité qu'un « traitement préférentiel [5] » et se conduisent comme un lobby soucieux d'accroître par tous les moyens ses atouts dans la course au pouvoir. On comprend à les lire que rien ne pourra jamais satisfaire leurs aspirations, que le moindre recul sera immédiatement attribué aux porteurs de phallus, boucs émissaires évidents que l'on veut tuer et ressusciter toujours pour éviter de se remettre en question. Il faut stigmatiser le Méchant qui va permettre de ressouder le groupe : l'homme blanc hétérosexuel affligé de trois tares irrémédiables, son sexe, sa couleur de peau et sa désespérante normalité qui est en fait une effroyable pathologie (à l'inverse la victime idéale, intouchable serait par exemple la lesbienne noire trois fois protégée parce que femme, homosexuelle et afro-américaine). Ce monstre, il faut le montrer à la fois formidable et dérisoire, brutal, mais menacé par la moindre revendication, géant aux pieds d'argile dont il faut craindre la force autant que la faiblesse [6]. Il ne vient pas à l'idée de nos croisées qu'elles pourraient hiérarchiser leurs cibles, acquérir le sens des nuances et ne pas confondre dans une même rage les pays occidentaux, les seuls où les femmes disposent de droits, avec les cultures traditionnelles, surtout musulmanes où le sort de leurs consoeurs est souvent atroce (naître femme en terre d'islam c'est naître suspecte et il n'est pas de plus grand allié dans la lutte contre le fondamentalisme que le deuxième sexe). Mais l'essentiel c'est le narcissisme de l'effet rhétorique, c'est de se draper à peu de frais dans la toge de l'insurgé, de décrire l'indépendance sous les traits de l'oppression absolue pour s'octroyer un habit factice de résistant. Comme si les oppositions rencontrées, si violentes soient-elles, devaient gommer les acquis et comme si l'on pouvait mettre sur un même plan une Algérienne condamnée à mort par les intégristes pour refus de porter le voile et n'importe quelle Française ou Américaine en butte à des problèmes conjugaux ou professionnels. Ce faisant on retarde au maximum l'entrée dans l'âge de la responsabilité afin de jouir de la double position du vainqueur et du vaincu et l'on continue à militer en toute étourderie pour l'égalité, la liberté et l'immaturité. Maniée sans précaution, la rhétorique de l'opprimé évoque le subterfuge du bien-portant qui veut se faire passer pour un malade et nuit aux vraies victimes, à celles qui ont besoin d'un langage approprié et de mots justes pour se défendre.

Femmes-fleurs et pornocrates

p. 165

[...] Alors qu'en France le législateur a eu la sagesse de limiter le délit de harcèlement sexuel aux seules activités professionnelles pour sanctionner avant tout l'abus de pouvoir [7], aux États-Unis la même sanction s'étend aux plus petits actes du quotidien. Compagnon du viol qu'il anticipe, le harcèlement prendrait naissance dans l'« environnement hostile », cette zone grise ainsi dénommée par la juriste Catherine McKinnon, pasionaria de la lutte contre la pornographie. Dans le vaste catalogue des attitudes humaines, tout comportement équivoque, geste déplacé, plaisanterie grivoise, regard trop appuyé mérite d'être incriminé. Plus question d'admirer les Vénus callipyges, les passantes aux formes élancées, les créatures aux lèvres ourlées, il s'agit là d'un odieux racisme, le « lookism », attachement pathologique aux apparences [8]. Les sifflements dans la rue des ouvriers au passage d'une jolie fille devraient eux aussi être bannis ou punis. Sans oublier les petites classes : taquiner les filles, les pincer, leur tirer les cheveux deviendra du viol en culottes courtes, mais du viol quand même. La moindre vibration, ou élan, vers une personne du sexe opposé est déjà grosse d'une arrière-pensée maligne qu'il faut stériliser à sa source. Même certaines oeuvres d'art offusquent les yeux, constituent des actes d'agression et mériteraient d'être dissimulées à la vue de tous. Bref, l'ennemi en ce cas c'est le désir, violent et bestial, dès lors qu'il est masculin. Naturellement le harcèlement sexuel est à sens unique, imaginer que les femmes pourraient l'exercer envers les hommes ne peut être que l'oeuvre d'un cerveau malade ou plus exactement d'un nazi potentiel. [...]

Inutile d'insister sur les possibilités d'extorsion et de chantage qu'ouvre cette notion de harcèlement. Mais le plus grave dans cette chasse aux violeurs tous azimuts — pratiquement le sexe dit « fort » dans son entier —, c'est qu'elle commence par exonérer les violeurs authentiques. Criminaliser le plus petit attouchement, la plus petite avance, c'est minimiser et même annuler le viol réel, le noyer dans une indignation si générale qu'on ne peut plus le repérer quand il arrive. Peu importe d'ailleurs pour nos zélotes puisque l'essentiel pour elles n'est pas de punir tel ou tel délit, mais de dénoncer une attitude anthropologique fondamentale : le rapport sexuel courant. [...]

[...] « Physiquement, renchérit Andrea Dworkin, la femme dans le rapport sexuel est un espace envahi, un territoire littéralement occupé, occupé même s'il n'y a pas eu de résistance, même si la femme occupée a dit : " Oui, s'il te plaît, dépêche-toi, oui encore ! [9] » Et comment appelle-t-on une femme qui a consenti à de telles choses ? Une collabo, bien entendu, puisqu'elle a introduit l'ennemi dans la place ! Conclusion : l'hétérosexualité est une mauvaise habitude à déraciner. C'est ainsi qu'on peut soutenir sans rougir que la plupart des femmes sont violées sans s'en rendre compte et considérer comme violeur tout homme qui aurait fait l'amour avec une femme « qui n'en avait pas vraiment envie même si celle-ci ne l'a pas signifié a son partenaire ? ». L'accouplement est donc toujours un viol même lorsque la femme acquiesce : pour s'abaisser à un acte d'une telle ignominie, il faut avoir été endoctrinée, décervelée et pour ainsi dire violée mentalement. Celle qui dit oui au despote couillu est bien une esclave puisque l'esclave est incitée par son maître à désirer sa servitude.

La finalité d'une telle réflexion est de demander aux femmes de suspendre à terme leurs liaisons hétérosexuelles, d'en finir avec un mode de relations érotiques qui ne correspond pas à leur sensibilité profonde, bref d'entrer progressivement en dissidence totale avec les hommes [10]. [...] En traquant de façon maniaque les plus petites velléités libidinales, en obsédant le deuxième sexe sur la peur du viol, ces féministes retrouvent le paradoxe de l'ascète souligné par Hegel : pour se délivrer de la chair et de ses tentations diaboliques, l'ascète chrétien se fixe sur elle, la surveille jour et nuit et croyant s'en libérer tombe sous la coupe d'une vigilance folle à son propre corps. Bref, il ne triomphe qu'en succombant, il reste désespérément captif de ce dont il voudrait s'échapper. [...]

[...] le paradoxe de cette pudibonderie lubrique, c'est que la chasse démente à l'équivoque, à l'ambiguïté a pour effet inverse de tout sexualiser, de tout affecter d'un coefficient de perversité et d'indécence. Le puritanisme, on le sait depuis Michel Foucault, n'est pas tant la peur ou le dégoût du sexe que sa constitution en objet de discours licite pour la société, l'amour du détail scabreux, des situations pornographiques. S'il s'agissait au moins de pudeur ! Mais non on fouaille, on débusque, on se pourlèche d'expressions crues, de vulgarités, on brasse à pleines mains l'obscénité avec une gourmandise d'inquisiteurs, on exhibe petites culottes et dessous féminins en plein prétoire, on se vautre dans la cochonnerie pour mieux la pourfendre. Ainsi Paula Jones, cette femme qui poursuivait Bill Clinton pour agression sexuelle du temps où il était gouverneur de l'Arkansas, prétendait pouvoir identifier « des signes distinctifs dans la région génitale de Clinton ». À quoi ont servi en Amérique l'affaire Anita Hill ou le procès Lorena Bobbitt ? À parler de sexe jour et nuit sur les médias en toute ingénuité.

Éros ligoté

p. 168

À défaut toutefois de pouvoir imposer tout de suite une rupture totale entre les sexes, les plus extrémistes des militantes essayent dans l'immédiat de contractualiser au maximum les relations. Premier commandement : aucun accouplement ne devrait avoir lieu sans se conformer à un code préalablement défini. C'est ainsi que l'Antioch Collège dans l'Ohio a promulgué une charte réglementant l'acte sexuel, lequel désormais doit faire l'objet d'un accord si possible écrit. L'avertissement délivré aux coureurs, cavaleurs et autres Casanova en herbe est clair : « Vous devez obtenir le consentement à chaque étape du processus. Si vous voulez lui enlever son corsage, vous devez le lui demander, si vous voulez lui toucher les seins, vous devez le lui demander [11]. » Aucune place donc pour l'improvisation, le libre déploiement des gestes et des envies : tout doit être détaillé avec minutie. À quand les étreintes amoureuses signées devant notaire [12] précisant les fantaisies autorisées, le nombre d'orgasmes exigés (avec pénalité en cas de déficience) ? Pourquoi cet état de « belligérance contractuelle [13] » (François Furet) entre les sexes analogue à celui qui régit les différents groupes sociaux face au pouvoir ? C'est qu'il est une arme contre l'oppression et doit corriger les effets pervers pesant sur les minorités et tout particulièrement sur les femmes. Le rêve ici est celui d'une société entièrement recréée et refaçonnée par le droit jusque dans ses plus petits aspects et qui bannit l'usage, c'est-à-dire l'héritage involontaire, qui bouscule la tradition et ses rapports de force sanctionnés par des siècles d'assujettissement. [...]

[...] Notre époque, c'est son charme, autorise toutes les figures amoureuses, y compris la plus énigmatique de toutes : l'abstinence. Nous n'avons pas à militer pour telle ou telle forme d'érotisme, pas plus le libertinage que la conjugalité, mais pour un monde où toutes les inclinations trouvent à se satisfaire, un monde qui fasse le délice des âmes tendres comme le bonheur des pervers. (La décision de rester chaste ou vierge est parfaitement juste si elle est prise en toute liberté, si elle est un choix individuel et non une contrainte collective.) Le plaisir doit rester seul arbitre de ses excès et de ses limites : faute de quoi nous n'aurions arraché Éros à l'emprise des prêtres et des médecins que pour mieux le soumettre à la coupe des avocats, que pour ouvrir un champ nouveau à l'expertise juridique.

Qu'on puisse dans l'étreinte amoureuse s'avilir avec délectation, conjoindre le plus bas et le plus élevé, voilà ce qui rebute les cagots, les pisse-froid et les nouvelles cheftaines du mouvement féministe. Il est normal de vouloir renforcer la législation contre le viol et de le punir pour ce qu'il est, à savoir un crime. Mais c'est aux fins de prévenir la lubricité et le dévergondage que les nouvelles bégueules et les anciens calotins montent la garde à la porte de l'alcôve et lancent leur croisade entre les draps. Les uns et les autres, en dépit de leurs divergences, n'ont comme seul but que de maintenir les femmes en état d'infériorité, quitte à reprendre les arguments les plus éculés du sexisme [14]. Victime de sa faiblesse, de ses appâts, des séducteurs perfides, la femme ne saurait survivre sans protecteur. C'est un même paternalisme qui de part et d'autre la décrète passive, impressionnable, inapte au gouvernement d'elle-même, oie blanche en butte aux grossiers fornicateurs, petite chose sans cervelle que l'on doit mettre en garde (contre l'abus d'alcool dans les fêtes par exemple) pour compenser sa fragilité, son manque de maturité. Ce type de conseils se résume à un présupposé : nous savons ce qui est bon pour vous mieux que vous ne le saurez jamais. Ce qu'a d'insupportable un certain féminisme (comme le chauvinisme mâle dont il n'est souvent que le miroir inversé), c'est qu'il dicte la femme et donne à cette dictée la valeur d'une émancipation, définit pour elle une vérité révélée aussi coercitive dans la libération qu'elle l'était hier dans l'oppression. À qui dès lors décerner la palme du meilleur censeur ? Aux divers père-la-Pudeur qui entendent contenir le deuxième sexe ou aux prétendues libératrices qui ne chérissent la femme que misérable, écrasée pour mieux la contrôler ? Il y a quelque chose d'infiniment douteux dans leur sollicitude qui consiste d'abord à terroriser leurs protégées comme pour les maintenir dans un état de peur infantile, leur interdire de s'arracher à leur condition. [...]

Guérir le coeur contre lui-même

p. 175

[...] quel que soit l'état d'égalité d'une nation, la justesse de ses lois, on ne pourra faire qu'à vouloir supprimer la douleur il ne faille faire bientôt le deuil du bonheur lui-même. En premier lieu, l'amour ajoute au plaisir d'exister le privilège d'une élection indue. Qu'un être m'aime, que je le chérisse en retour ne relève en rien des vertus de l'un ou de l'autre. Aucune qualité particulière ou noblesse d'âme n'entre dans le choix amoureux, lequel peut se fixer avec la même frénésie sur une crapule, un lâche ou un héros. De même, la plus démocratique des sociétés ne pourra corriger cette iniquité fondamentale qui consiste, dans la passion, à être préféré à tout autre et ce pour des motifs purement arbitraires. En quoi l'amour oppose un démenti flagrant à toutes les utopies de la justice. Il peut connaître des sommets de splendeur ou des abîmes d'infamie, il ne répond nullement à la notion de progrès ou de mérite. Je ne mérite jamais d'être aimé, cette affection qu'on me porte m'est donnée de surcroît, comme une grâce ineffable. Vouloir guérir le sentiment de lui-même, de sa face d'ombre, c'est le stériliser. Par sa capacité à transformer un être quelconque en « être de fuite » (Proust), le coeur concède à la personne aimée, fût-elle la plus humble, une plénitude, une majesté qui tranche sur le commun des mortels. L'être chéri, par la flamme que nous lui vouons, devient une force libre et redoutable que nous tentons en vain de domestiquer. Plus je m'attache à lui, plus il s'éloigne de moi, gagne en obscurité, en distance, acquiert une dimension formidable.

[...] L'atroce dans la souffrance amoureuse, c'est d'être puni pour avoir voulu faire à l'autre tout le bien possible en l'aimant ; c'est un châtiment non pour une faute mais pour une offrande refusée. Et le non que subissent les recalés de l'amour est sans appel ; ils ne peuvent en accuser personne d'autre, ils sont renvoyés à leur propre délaissement.

[1] Pascal Bruckner, La Tentation de l'innocence, Grasset & Frasquelle © 1995.

Rien n'est plus difficile que d'être libre, maître et créateur de son destin. Rien de plus écrasant que la responsabilité qui nous enchaîne aux conséquences de nos actes. Comment jouir de l'indépendance en esquivant nos devoirs ? Par deux échappatoires, l'infantilisme et la victimisation, ces maladies de l'individu contemporain. D'un côté, l'adulte, choyé par la société de consommation, voudrait garder les privilèges de l'enfance, ne renoncer à rien tout en étant diverti en permanence. De l'autre, il pose au martyr, même s'il ne souffre que du simple malheur d'exister.

Les bien-souffrants seraient-ils nos nouveaux bien-pensants ? N'est-il pas temps alors de ne plus confondre la liberté avec le caprice ? La peur et la faiblesse sont-elles le prix à payer pour notre refus de la maturité ?

Enfin, comment maintenir la démocratie si une majorité de citoyens aspire au statut de victime au risque d'étouffer la voix des vrais déshérités ?

Telles sont quelques-unes des questions que pose ce livre — prix Médicis/essai 1995 — en des pages à la fois intuitives et rigoureuses.

La Tentation de l'innocence est un livre féroce. Tout le monde peut se reconnaître dans ce miroir grossissant de nos travers et de nos tourments. (Robert Sole, Le Monde)

Un essai courageux, libre. Une indispensable réflexion sur notre société à irresponsabilité illimitée, gangrenée par la culture de la plainte. (Michel Schneider, Le Point)

* * *

[2] Jean-Jacques Rousseau Les Confessions, Livre neuvième, Oeuvres complètes, tome 2, Pléiade, Gallimard © 1959, p. 179.

[3] Jean-Jacques Rousseau, Rêveries, Seconde promenade, op. cit., p. 47.

[4] Newsweek, 7 mars 1960.

[5] Le juriste Owen Fiss explique que la lutte contre la discrimination est une formule rhétorique, une stratégie pour obtenir davantage de postes et d'emplois : What is Feminism?, 14 novembre 1992, p. 7.

[6] « Il semble en effet que la masculinité soit une fleur très fragile, une orchidée de serre qu'il faut constamment soigner et nourrir (...) rien n'abîme davantage les pétales masculins, semble-t-il, que la plus légère ondée féministe, car elle est immédiatement perçue comme un déluge. »
(Susan Faludi, Backlash, La guerre froide contre les femmes, Éditions des Femmes © 1993, p. 91.)

[7] Voir à ce propos l'article d'Alain Ehrenberg, Esprit, novembre 1993, p. 73 sqq. La France a introduit en 1990 la notion de viol conjugal lié à la pénétration vaginale, mais aussi à la fellation et à la sodomie.

[8] Voir à ce sujet le numéro spécial de Partisan Review, « The Politics of Political Correctness », 1993, n° 4.

[9] Cité par Robert Hughes, Culture of Complaint, op. cit., p. 10.

[10] Le séparatisme sexuel prôné par certaines féministes se heurte à de nombreuses oppositions à l'intérieur du mouvement des femmes. Beaucoup sont rebutées par la pudibonderie des extrémistes et leur alliance hautement suspecte avec les bigots de la majorité morale dans leur lutte commune contre la pornographie. Le féminisme américain n'a rien d'une idéologie monolithique. Voir à ce propos Michel Feher, « Érotisme et féminisme aux États-Unis : les exercices de la liberté », Esprit, novembre 1993.

[11] Le Sunday Times du 31 octobre 1993 cité par Le Canard enchaîné. Le NOW (National Organisation of Women), principale organisation féministe américaine, aurait voulu faire du code d'Antioch la norme des relations sexuelles dans tout le pays. L'immense majorité des Américains a réagi négativement à ce code.

[12] François Furet mentionne cette possibilité dans une analyse très critique de la « political correctness ». Le Débat, mars-avril 1992, n° 69, p. 83.

[13] François Furet, La République du centre (coécrit avec Pierre Rosanvallon et Jacques Julliard), Calmann-Lévy, 1988, p. 21, à propos des communistes et des gaullistes.

[14] Selon Katie Roiphe (The Moming After, op. cit., p. 66, 149 et 151), les pamphlets féministes sur le viol ressemblent aux manuels de bonne conduite de l'époque victorienne décrivant les jeunes filles comme des êtres passifs dépourvus de toute sexualité et dont il faut préserver la vertu par tous les moyens.

Philo5
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