par
Tu m'as blessé
sans me toucher ni me parler. Rien qu'à te regarder, j'ai eu mal. J'ai senti la
nausée m'empoigner au ventre et comme mille petites aiguilles me pénétrer les
bras. Mon cœur s'est arrêté et ma respiration s'est bloquée. Ça m'est
insupportable de te voir.
D'autant plus
insupportable que tu t'es fait ça par jeu, par défi et soi-disant pour l'art.
Comment peut-on jouer à se blesser? Rien de ce que tu as fait à ton corps ne
ressemble à de l'amour ni à une caresse. Rien que déchirures, transperçage, lacérations, amputations, barbouillages,
déformations. Tu as adapté toutes les valeurs esthétiques d'autrefois mais
inversées. Pour que ça te plaise, il faut que ta peau saigne, soit tailladée,
brûlée, étirée. La souffrance, la laideur et l'idée du mal t'apportent
jouissance. Ta foi en ces valeurs tordues m'effraie.
Où est la vie
dans ton corps meurtri qui ne cesse de gémir, de combattre l'infection et
d'implorer la guérison? Parce qu'après chaque « modification
corporelle » que tu lui infliges, il tente bien de se guérir ce corps que
tu attaques et que tu ne cesses de soumettre à ta volonté morbide. J'imagine
tes cellules qui, elles, n'ont pas demandé à souffrir ni mourir, te faire un
procès. Elles auraient tôt fait de te faire condamner pour incapacité à gérer
leurs vies.
Bien sûr, ayant
été élevé par cette société de consommation, dans le « jeter après usage »,
tu penses que ton corps est ta propriété. Tu te crois en bon droit de le
« sculpter » comme bon te semble. Comme ta vision est étroite! Dire
qu'on s'est battu pendant si longtemps pour te donner une liberté que tu
n'emploies qu'à te boucher les horizons et t'invalider. Est-tu donc devenu
insensible? Et ma douleur, qu'en fais-tu? Quelle valeur accordes-tu à ma
sensibilité? Parce que toutes ces tortures, c'est bien pour les étaler à ma
face et à la face du monde que tu te les aies infligées. Quand tu vois que je
te regarde, qu'est-ce qui alimente tes pensées? Ma peur? Mon effroi? Ma
douleur? Ma compassion? Mon dégoût? Est-ce bien ce que tu cherches à provoquer?
Es-tu donc incapable de susciter chez l'autre l'attirance ou l'intérêt par quoi
que ce soit de noble?
Bien sûr,
certains t'adulent : tes pairs qui, comme toi admirent ta souffrance.
Vaincre une souffrance que l'on s'inflige à soi-même n'a rien d'éblouissant.
Vaincre celles que la vie nous impose l'est tout autrement. Bien bête celui qui
confond l'une avec l'autre. Tout aussi bête celui qui confond le courage avec
l'étalage de courage. L'un provient de l'intérieur et est le plus souvent
modeste et silencieux. L'autre provient du regard du spectateur ; il est
dérisoire et tire sa source de l'extérieur. Seul avec toi-même, tu n'es plus qu'hideuses
plaies et bosses.
Tu penses avoir
le contrôle de ton univers en te désensibilisant et en manipulant le regard des
autres? Ne sont-ce pas plutôt les autres qui te contrôlent puisque tu réponds
avant tout à leur désir de voir des plaies? N'es-tu rien d'autre que ce sur
quoi tu attires notre regard?
Comme la
publicité tapageuse qui cherche à attirer mon attention, tu me déranges.
Fais-toi donc discret. Si tu ne peux t'en empêcher, tâche de limiter tes
mutilations aux parties de ton corps sous tes vêtements. Après tout, moi,
j'aime bien la musique et je ne passe pas mon temps à casser les oreilles à
tout venant pour autant avec mes goûts personnels. Si tu n'as pas de respect
pour toi-même, tâche d'en avoir un peu pour les autres qui, eux non plus, n'ont
pas demandé à venir au monde mais souffrent en silence sans emmerder chaque
passant en lui vociférant ses problèmes en plein visage et à tout moment. Cesse
de m'agresser! Je suis, moi, une personne sensible que tu agaces sous fausse
représentation comme le faux mendiant m'agace alors qu'il gagne plus à mendier que
moi à travailler. Dans mon monde, les gens qui saignent ont besoin d'aide.