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par François Brooks
Commentaire sur le livre de Ray Bradbury ©1953
Ray Bradbury avait 25 ans quand les bombes atomiques sont tombées sur le Japon. Cet événement, comme pour plusieurs écrivains de son époque, allait meubler sa dramatique de vie. En 1952, il écrit un roman, « Fahrenheit 451 » qui utilise ce thème comme toile de fond.
En 1945, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'Apocalypse de la Bible chrétienne était devenue une possibilité pratique. L'être humain avait désormais, par la bombe atomique, créé un moyen concret d'accomplir la Fin du monde.
Bradbury en fut bouleversé. Il tente d'expliquer, au moyen de son roman, ce qu'on pourrait appeler le mécanisme psychique collectif qui installe les conditions sociales propices au déclenchement de l'anéantissement du genre humain.
Il oppose Épicurisme à intellectualisme, plaisirs faciles à connaissance de soi. D'un côté, il y a ceux qui ne vivent que pour un bonheur facile où, par le moyen d'émissions de télévision divertissantes projetées sur les écrans que sont devenus les murs des pièces des maisons, on abruti les gens en endormant leur esprit. Et de l'autre, il y a ceux qui pensent que la lecture est le véritable moyen d'aboutir à une connaissance substantielle des choses. Fahrenheit 451 oppose la télévision aux livres. Dans ce roman, la police est remplacée par des pompiers qui, paradoxalement, sont employés à mettre le feu aux maisons et aux livres qu'elles contiennent. A-t-on appris d'une quelconque façon que vous aviez des livres chez-vous? Quels qu'ils soient, si quelqu'un le sait et appelle les pompiers, ceux-ci viendront mettre le feu chez-vous pour détruire les livres, votre maison et vous éliminer vous-même. Le livre est l'élément incendiaire qu'il faut éliminer.
Bradbury critique ainsi la télévision. Il explique par l'absurde d'une société pro-TV et anti-livres que l'endormissement provoqué par l'arrivée massive de ce média va détruire la connaissance et instaurer un état de guerre effectif, latent et cyclique. Oui, parce que c'est ainsi que Bradbury explique les effets néfastes du « boob tube » : Si la connaissance livresque est abandonnée au profit d'une société de divertissement facile, une guerre terrible, d'abord larvée, et ensuite effective sévira sur la race humaine.
Je trouve étonnant et très intéressant cette équation sur laquelle Bradbury attire notre attention : Instruisez-vous par les livres, et ce sera la paix sur terre! Détruisez les livres et le savoir, et vous vivrez la guerre et la destruction!
Cette thèse est d'autant plus étonnante que, paradoxalement, Bradbury met dans la bouche du chef pompier, le capitaine Beatty, les meilleurs arguments qui soient pour justifier qu'on interdise aux gens la lecture. De la page 80 à 91, et 142 à 146, (Édition Folio SF-Denoël 1995), son plaidoyer anti-livre est très convaincant. L'apparition successive de la photographie, de la radio et de la télévision est un phénomène de masse qui amène une concurrence à la lecture [du Livre (The Good Book)]. La profusion de paroles et d'images endort l'esprit et empêche la réflexion que permet la lecture d'un livre. La réflexion est une arme dangereuse. « Un livre est un fusil chargé dans la maison d'à côté. Brûlons-le. Déchargeons l'arme. Battons en brèche l'esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l'homme cultivé? Moi? Je ne le supporterai pas une minute. » (p.87) de dire le capitaine pompier Beatty à Montag, son subalterne, traversant une période de questionnement.
C'est dans la bouche du sage Granger que Bradbury met sa conclusion : « Et gardez toujours cette idée en tête : vous n'avez aucune importance. Vous n'êtes rien du tout. Un jour, il se peut que ce que nous transportons rende service à quelqu'un. Mais même quand nous avions accès aux livres, nous n'avons pas su en profiter. Nous avons continué à insulter les morts. Nous avons continué à cracher sur les tombes de tous les malheureux morts avant nous. (p. 211 et suivantes...) Nous nous souvenons. [...] Allez, pour commencer, nous allons construire une miroiterie et ne produire que des miroirs pendant un an pour nous regarder longuement dedans ». Le miroir étant un outil qui sert à se voir soi-même... comme le recommandait Socrate : « Connais-toi toi-même! » Bradbury faisant ainsi par son roman Fahrenheit 451 un plaidoyer en faveur des livres, ultime outil de connaissance de soi, tout en nous mettant en garde contre ses excès possibles dans le but de nous délivrer de la guerre destructrice qui se larve dans ceux qui ne cherchent que les plaisirs faciles.
Chaque
lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage de
l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument optique qu'il offre au lecteur afin
de lui permettre de discerner ce que sans ce livre, il n'eut peut être pas vu
en soi-même.
Marcel Proust, « À la recherche du temps perdu »