par François Brooks
En cherchant une image de Giordano Bruno sur l'Internet, je suis tombé par hasard sur le petit site personnel très gentil de M. Paul Laliberté[1] quelque part sur le territoire français. Je partage son indignation devant l'intolérance religieuse qui justifie tant de massacres et dont Bruno fut victime il y a 400 ans, mais je me suis arrêté sur une petite phrase très lourde de sens. Il nous dit : « La religion est une parenthèse dramatique dans l'histoire de l'humanité, qu'il faut refermer.[...] Continuons le combat. Le prochain siècle sera tout sauf religieux. » N'importe quel logicien pourrait se contenter de sourire devant cette affirmation décelant tout de suite la contradiction de celui qui prend une attitude militante pour combattre le militantisme. Cette phrase utilise la forme même du dogme pour le combattre : l'affirmation péremptoire. Mais celle-ci m'interpelle puisqu'elle traduit un sentiment que je partage.
Sept ans auparavant, j'avais totalement rejeté la religion de ma vie depuis longtemps. J'ai voulu nuancer mes positions par la question suivante : « Est-ce que la religion est complètement nuisible? ». C'est une question à laquelle je me suis acharné depuis lors.
En 1995, l'atmosphère religieuse au Québec était plutôt tranquille. L'heure était (et est toujours) à la multiplicité et la tolérance. Délivré de l'agression religieuse catholique dont je fus victime dans mon enfance et enrichi d'un cours de philosophie, j'ai commencé à chercher à travers mes lectures et mes voyages, pourquoi tant de gens s'adonnent-ils encore à une dévotion religieuse. Ayant été abusé religieusement, j'avais tout fait pour me prouver que Dieu n'existait pas. Je pensais que tous ceux qui y croyaient étaient des prosélytes imbéciles qui ne cherchaient qu'à assujettir les autres à leur propre forme de pensée.
Après avoir détrôné les curés de leur pouvoir moral sur le
peuple, les « psy » de tout acabit, sous le couvert de
« l'intention scientifique » ont pris la relève. Ce sont eux qui font
maintenant la norme. Cependant, tout comme les curés jadis n'étaient pas tous
des prosélytes bornés mais souvent d'honnêtes scientifiques, de nombreux
psychologues reconnaissent aujourd'hui la légitimité du sentiment religieux[2]
L'expérience d'une dévotion religieuse, tout comme celle de la sexualité peut être béatifique. On sait que certains groupes religieux qui y consacrent leur vie renoncent volontiers à leur vie sexuelle pour les béatifications qu'apportent les pratiques religieuses. Mais qu'en est-il des gens qui se voient forcés contre leur volonté et avec des intentions abusives de pratiquer une religion? Seraient-ils blessés dans leurs sentiments religieux tout comme ceux qui sont abusés sexuellement en viennent à considérer le sexe comme nuisible? Y aurait-il une équivalence possible entre le sexe et la religion? On sait que les deux n'ont pas toujours fait bon ménage. Au Québec, il y a quarante ans, on reconnaissait la pratique religieuse et les joies qu'elle apportait comme légitimes mais on niait ces qualités à la sexualité. Aujourd'hui, la sexualité semble avoir repris ses lettres de noblesse au détriment de la pratique religieuse. Les valeurs se sont inversées. Doit-il y avoir nécessairement une dichotomie entre ces deux pratiques? Ne pourrait-on pas les considérer tout aussi valables l'une que l'autre? Et si c'était le cas, ne devrions-nous pas considérer l'abus sexuel sur le même pied d'égalité que l'abus du sentiment religieux? L'un et l'autre conduisant à une dysfonction émotionnelle empêchant de se procurer des joies personnelles légitimes.
Avec l'approche du logicien, j'ai envoyé ce courriel à M. Laliberté :
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Bonjour
En
faisant une petite recherche sur Giordano Bruno, je suis tombé sur votre site
personnel. Il est très joli. Sa présentation est attrayante et la musique de
fond agréable. Il m'a permis de partager votre indignation sur le sort que
l'Inquisition a réservé à Bruno.
Votre
réflexion sur la religion « Le sentiment religieux est la pensée qui naît de
l'incapacité à comprendre le monde et du besoin de remplir ce vide laissé par
l'ignorance. » est intéressante. Serait-ce à dire que, puisque la science
cherche à comprendre le monde, elle est une religion? La simple curiosité
serait-elle de nature religieuse? Et votre réflexion de conclusion : « La
religion est une parenthèse dramatique dans l'histoire de l'humanité, qu'il
faut refermer... Le prochain siècle sera
tout sauf religieux.» donne à s'interroger. Faut-il mettre tout désir de
comprendre le monde de côté? Et si nous le faisions, ne serait-ce pas une autre
forme d'obscurantisme qui s'installerait? N'est-ce pas précisément parce que
l'Inquisition refusait de comprendre le monde qu'on a brûlé Bruno? Si je
poursuis dans ma réflexion et que j'y combine la vôtre, j'aurais plutôt tendance
à dire que c'est précisément par absence de sentiment religieux que
l'Inquisition a exécuté Bruno. Et j'arrive à une conclusion opposée à vous avec
votre propre raisonnement : Il nous faut dévelo
Je
pense que les deux notions qui s'opposent ici, sont l'obscurantisme et la libre
pensée. Et non la religion et l'absence de religion. Il est vrai qu'au nom de
la religion, les pires bêtises peuvent se produire, mais faut-il jeter le bébé
avec l'eau du bain? Une religion ouverte qui cherche à comprendre est-elle
nuisible? La religion n'apaise-t-elle pas certaines interrogations anxiogènes?
N'est-ce pas plutôt les certitudes qui nous menacent?
Si
je devais me tenir debout pour un combat à vos côtés, ce serait contre
l'obscurantisme et non contre la religion. Sinon, imaginez le nombre de nos
adversaires... Et si la nature de l'homme est religieuse, la curiosité faisant
parti des hommes, ne serions-nous pas nous-mêmes nos propres adversaires? Devons-nous
combattre notre propre nature ou bien essayer de nous la concilier? Les
Inquisiteurs pensaient qu'il faut combattre notre propre nature.
Je
vous remercie pour cette réflexion que vous avez induite en moi et je vous
invite, si le cœur vous en dit, à me partager la vôtre.
[...]
Amitiés
François
Brooks de Montréal
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Ce à quoi, en bon logicien, reprenant mes phrases une par une pour les démolir systématiquement, M. Laliberté me répond : (On croirait qu'il a lu et appliqué habilement les recommandations de Schopenhauer dans L'Art d'avoir toujours raison.)
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Bonjour
> Votre
réflexion sur la religion « Le sentiment religieux est la pensée qui naît de
l'incapacité à comprendre le monde et du besoin de remplir ce vide laissé par
l'ignorance. » est intéressante. Serait-ce à dire que, puisque la science
cherche à comprendre le monde, elle est une religion?
C'est tout le contraire. La Science cherche en
trouvant quelquefois et en n'émettant pas d'avis sur ce qu'elle n'a pas trouvé.
La religion trouve, sans chercher (principe de la vérité révélée), et émet un
avis (le dogme) sur ce qu'elle n'a pas trouvé. Science et religion sont opposées,
par nature. Votre question amène sa propre réponse; la science ne peut pas être
une religion, puisque si cela était, la religion serait une science, donc
procéderait par la méthode scientifique, qui est l'inverse de la révélation.
> La simple curiosité serait-elle de nature
religieuse?
La religion est la négation même de la curiosité,
être curieux c'est douter des évidences, celles des apparences et celles de
notre éducation, et le doute est certainement le sentiment le plus haï des
religieux, puisqu'ils n'ont que des certitudes.
> Et votre réflexion de conclusion : « La
religion est une parenthèse dramatique dans l'histoire de l'humanité, qu'il
faut refermer. Le prochain siècle sera
tout sauf religieux.» donne à s'interroger. Faut-il mettre tout désir de
comprendre le monde de côté?
C'est l'inverse, vous ne m'avez pas compris. La
religion est la renonciation à comprendre le monde, c'est cet abandon, cette
fuite en avant bien confortable puisqu'elle évite de se poser des questions
qu'il faut éviter.
> Et si
nous le faisions, ne serait-ce pas une autre forme d'obscurantisme qui
s'installerait? N'est-ce pas précisément parce que l'Inquisition refusait de
comprendre le monde qu'on a brûlé Bruno?
Bien sûr, donc ne renouvelons pas les erreurs... À
bas les inquisitions, produits de la religion!
> Si je poursuis dans ma réflexion et que
j'y combine la vôtre, j'aurais plutôt tendance à dire que c'est précisément par
absence de sentiment religieux que l'Inquisition a exécuté Bruno.
Non, c'est par déviationnisme. L'inquisition est une
invention papale, la hiérarchie catholique doit rendre des comptes.
> Et
j'arrive à une conclusion opposée à vous avec votre propre raisonnement :
Il nous faut dévelo
Vous ne vous trompez pas dans vos conclusions car
chacun est libre de dévelo
> Je pense
que les deux notions qui s'opposent ici, sont l'obscurantisme et la libre
pensée.
Tout à fait.
> Et non la
religion et l'absence de religion.
C'est la même chose.
> Il est
vrai qu'au nom de la religion, les pires bêtises peuvent se produire, mais
faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain?
Oui, cela évitera aux autres de se noyer dans ce
bain.
> Une
religion ouverte qui cherche à comprendre est-elle nuisible?
Une religion ouverte est une antinomie. Cela
n'existe pas, par nature.
> La
religion n'apaise-t-elle pas certaines interrogations anxiogènes?
L'héroïne aussi, est-elle pour autant souhaitable?
> N'est-ce
pas plutôt les certitudes qui nous menacent?
Oui, tout à fait, les certitudes sans preuves, comme
les religions les assènent.
> Si je
devais me tenir debout pour un combat à vos côtés, ce serait contre
l'obscurantisme et non contre la religion. Sinon, imaginez le nombre de nos
adversaires.
Cela ne m'a jamais fait peur. Je ne juge pas de la
justesse d'une cause par le nombre de ses adversaires... mais par le nombre de
ses arguments.
> Et si la
nature de l'homme est religieuse, la curiosité faisant parti des hommes, ne
serions-nous pas nous-mêmes nos propres adversaires? Devons-nous combattre
notre propre nature ou bien essayer de nous la concilier? Les Inquisiteurs
pensaient qu'il faut combattre notre propre nature.
Ce en quoi ils se trompaient.
> Je vous
remercie pour cette réflexion que vous avez induite en moi et je vous invite,
si le cour vous en dit, à me partager la vôtre.
[...]
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J'ai manqué mon but : je voulais engager un échange et je me suis buté à une personne si blessée dans son sentiment religieux que paradoxalement, elle les nie en adoptant la position péremptoire du dogmatisme religieux le plus intégriste qui soit : Toute religion doit disparaître! Sans s'en rendre compte, encore plus dogmatique que Ben Laden ou George Bush, c'est tout le monde qu'il faut éliminer (!!!) sauf les scientifiques qui sont par nature irréprochables. Sans même réaliser que son saint patron est Auguste Comte dont la religion était le scientisme.
Je pense que, tout comme une personne qui a été abusé sexuellement dans son enfance a toutes les chances de devenir un abuseur sexuel, la personne qui a été abusé religieusement dans son enfance a toutes les chances d'avoir des convictions abusives. Le drame dans tout ça, c'est que, non seulement la personne s'interdit de jouir librement d'un aspect important de son existence, mais elle veut interdire aux autres d'en jouir... et un nouvel intégrisme naît.
Quels mots trouver pour faire comprendre à l'oiseau blessé qu'il peut être à nouveau agréable de voler?
Comment faire comprendre que le contraire de la religion dogmatique n'est pas l'absence de religion (ce qui revient à un autre dogmatisme) mais la tolérance et la compréhension? Comment faire comprendre que l'ouverture à l'autre passe par l'acceptation de ses valeurs fondamentales quelle qu'elles soient? Comment guérir l'oiseau blessé qui pense que sa blessure est un état normal qui doit se généraliser chez les autres?
[1] Nom fictif
[2] Dans l'« Atlas de la psychologie » de Hellmuth Benesch paru dans la collection Encyclopédies d'aujourd'hui (LE LIVRE DE POCHE), page 235, on reconnaît le sentiment religieux comme une expérience psychologique légitime :
D. Sentiments religieux
GOETHE
fait dire à Faust : « A
Les sentiments religieux sont des expériences spirituelles (donc cognitives), qui changent de caractère selon l'objet central de la religion et la référence personnelle. Pour beaucoup de ceux qui croient en un Dieu personnel, la prière est un rapport émotionnel, le sentiment d'un lien, qui peut aller d'un abandon enfantin jusqu'au lien immatériel avec l'absolu. Les religions sans représentation de Dieu comme le bouddhisme Hĩnayãna [*] n'ont pu se maintenir sous cette forme ésotérique auprès de la masse des croyants, et ont été remplacées dans le bouddhisme Mahãyãna par d'innombrables attributs offerts à la vénération. Pour Spinoza, les sentiments d'amour et de joie sont au centre de la profession de foi :
« L'amour pour une chose éternelle et infinie nourrit l'âme de la seule joie réelle et est exempt de toute tristesse. »
Les nombreuses religions existantes, d'une extraordinaire diversité d'expression y compris en matière de vie morale, renforcent ces expériences de lien :
par des représentations de la joie céleste, la peur des tourments de l'enfer, des explications concernant la destination de l'homme, l'espoir d'un salut dans l'au-delà, la délivrance des maux terrestres, la suspension des horreurs de la mort et l'espoir d'une justice qui ne semble pas exister sur terre. Ces modèles ont servi à beaucoup d'autres conceptions du monde dénuées de références transcendantales.
[*] Ni non plus le Taoïsme,
je l'ai vérifié lors de mon voyage en Taïwan : Les temples Taoïstes
chinois recèlent de nombreuses divinités personnelles à qui on peut adresser
des prières. Dans le Christianisme, certains considèrent le catholicisme comme
une religion polythéiste à cause des nombreux saints à qui on peut adresser une
dévotion. C'est ce que Luther a combattu. Plus loin de nous, dans l'antiquité
judaïque, la bible rapporte que Moïse a dû combattre les tendances de son
peuple à adorer des « idoles » pour leur imposer un Dieu unique (mais
personnel). À notre époque, les idoles du show-business apportent aux gens les
figures personnelles à qui on adresse ses dévotions par des rituels qui sont a