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Quand on est mort, |
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Je n'ai pas peur de la mort parce que je n'y crois pas. Ce n'est que sortir d'une voiture pour entrer dans une autre. John Lennon, Interview : Studios Apple, Londres, 8 mai 1969. Donnez-moi quelques minutes pour montrer que vous ne connaîtrez jamais la mort et que toute l'angoisse véhiculée par notre culture autour de celle-ci n'est que balivernes. Seulement cinq minutes pour expliquer comment nous sommes véritablement immortels. Aucune mystification, rien de religieux, juste le gros bon sens ; une simple réflexion et vous verrez pourquoi il est impossible de mourir, impossible d'être mort ; et lorsque l'on dit : « Quand je serai mort... » on parle d'un temps qui ne se présentera jamais. Commençons doucement. Vous êtes à l'hôpital. On doit vous opérer. Pour ce faire, on vous prépare et vous emmène en civière à la salle d'opération. Comme on vous a déjà administré un médicament, vous êtes légèrement somnolent. Le médecin qui va vous opérer prend une seringue et, au moment de l'injection, vous demande de compter jusqu'à trois. Un, deux... et vous dormez déjà. L'opération dure trois heures, mais vous n'en avez pas conscience. En fait, vous avez été endormi si profondément qu'on a pratiqué sur votre corps toutes sortes d'incisions autrement douloureuses, mais vous n'avez rien senti du tout, même pas le temps qui passe. Un instant après être endormi, vous vous retrouvez immédiatement dans une salle de réveil avec l'infirmière qui vous demande comment vous vous sentez. Les trois heures vous ont semblé une seconde. Même pas. Accélérons. Nos sommes en 2055. Vous faites partie d'une équipe de cinq astronautes choisis pour un voyage sur Mars. Comme la planète est très éloignée, le voyage durera trois ans. On a développé une technique de cryogénisation qui vous mettra sans danger en hibernation le temps du voyage. Chaque membre de l'équipage est mis en capsule après avoir absorbé un somnifère. Bientôt vous êtes endormi d'un sommeil aussi profond que celui du patient dans la salle d'opération. Trois années passent. Le vaisseau approche de l'objectif. On rétablit la température de votre corps et vous redevenez conscient. Il vous semble n'avoir dormi qu'un instant. C'était il y a trois ans ; vous voyez maintenant Mars par le hublot ; vous allez bientôt atterrir, ou plutôt amarsir. Attachez vos ceintures : on se propulse maintenant infiniment plus vite que la vitesse de la lumière. Vous agonisez. Vous êtes installé aux soins palliatifs de l'hôpital qui héberge vos derniers moments. Votre famille vous entoure. Ils vous voient mourir. Vous vous sentez très fatigué. Les doses de morphine ont fait taire la douleur. Votre corps cesse de respirer, mais allez-vous mourir ? Je veux dire : éprouverez-vous la sensation d'être mort ? Impossible ! Parménide a montré que c'est impossible. Écoutons-le :
On ne peut connaître le non-être, puisqu'il est impossible ; Car la pensée est la même chose que l'être.
Il faut que la pensée et la parole soient l'être ; Mais comment est-ce possible ? nous aurait-on menti ? Et voilà le vertige philosophique ! Quel vertige ! Essayons de comprendre... Lorsque je mourrai, le temps s'arrêtera. Si je devais renaître, que ce soit dans cent ans, dix millions d'années, cent milliards de milliards d'années ou une infinité de temps, mon sentiment subjectif [2], au moment de ma renaissance, sera que ma vie n'aura arrêté qu'un instant, que dis-je, elle ne se sera pas arrêtée du tout. Pourquoi ? L'instant d'après, je serai en vie à nouveau. La mort, Parménide l'a montré, c'est le néant, le non-être. C'est aussi le moment où le temps s'arrête, et où, paradoxalement, l'éternité ne dure même pas une seconde puisque, pour avoir accès au temps, il faut être en vie. La première horloge, c'est nous, notre constitution biologique cellulaire qui naît, vit, vieillit et meurt. Quand nous mourrons, l'horloge s'arrête, notre huitième sens, le temps, disparaît en se dissociant de la conscience. Le temps n'est pas qu'une donnée astrophysique objective, c'est d'abord un sentiment subjectif. Pour l'être que nous sommes subjectivement, une fois mort, le temps passe donc à une vitesse incalculable, infinie. Et comme nous sommes venus à la vie une fois, et que l'Univers dispose d'une durée infinie, ce qui s'est produit une fois a toutes les chances de se reproduire. Avec une infinité de temps, l'Univers finit par tout reproduire [3]. Mais puisque hors du temps il n'y a pas d'être — je veux dire pas de sujet — cette réflexion n'est-elle pas un peu inutile puisque celui que je serai en renaissant n'aura rien à voir avec celui que j'ai été auparavant ? Évidemment, l'être que je suis dépend du corps et de l'environnement qui produisent ma conscience. Si je devais renaître qui sait quel corps et quel environnement me redonneraient conscience ? Cependant, cette réflexion me fait mesurer l'ampleur de l'absurdité de l'angoisse face à la mort, cette inconnue inconnaissable, puisqu'il faut être vivant pour connaître. Je conçois néanmoins l'angoisse devant l'agonie, moment de vie qui peut être pénible. Mais la mort fait voyager dans le temps à une vitesse vertigineuse. Comme le beau pari de Pascal sur Dieu, il peut être réconfortant de faire le même pari sur la vie — ou la renaissance — après la mort. Y croire, ou parier sur cette éventualité calme l'angoisse. Si c'est vrai, il est fabuleux de penser que la mort ne dure qu'un instant ; si c'est faux, rien à craindre puisque pour craindre, il faut être en vie. Du coup, on s'aperçoit ici que notre problème existentiel s'inverse. En effet, nous serions donc condamnés à vivre éternellement. Notre vrai problème n'est plus la mort, mais la vie, l'être, l'existence ; nous ne connaîtrons jamais d'autre état ; il nous est impossible d'échapper à l'être. Surgit alors une nouvelle question : Qu'est-ce que l'être du « Je » ? Le mien est-il le même que le vôtre ? Est-ce Dieu ? Mais maintenant que nous savons que nous ne serons jamais morts, nous avons tout le temps pour penser. |
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[1] Parménide, Permanence de l'être, Philo5. [2] Augustin avait montré que le temps n'a pas d'autre réalité que la réalité subjective que lui confère notre conscience ainsi que le résume Yannick Rub par cette courte note : Dans Les Confessions, Saint Augustin développe une intéressante conception du temps. S'opposant à la conception classique, qui faisait du temps une dimension des choses, Saint Augustin montre que le temps n'a pas d'être puisque le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore et le présent est cet instant infinitésimal immédiatement retourné au néant. Ainsi le temps n'a pas d'autre réalité que la réalité subjective que lui confère ma conscience, par ma mémoire (passé), mon attente (avenir) ou mon attention (présent). Il n'est nulle part ailleurs que dans l'esprit des hommes. Ce qui distingue le temps de l'éternité divine est que cette dernière échappe à la succession. (Page consultée le 5 avril 2002 : http://membres.lycos.fr/yrub/augustincitedieutemps.htm (lien rompu)) [3] « Avec une infinité de temps, l'Univers finit par tout reproduire. » : Thèse avancée par Nietzsche dans sa doctrine de L'éternel retour (La volonté de puissance, Livre 1, § 329, Gallimard Tel, p. 339). Cette thèse palingénésique tient sur cette seule affirmation. C'est la seule garantie du retour de la conscience subjective. Si on trouve le moyen de l'infirmer elle sera fausse et notre mort sera donc éternelle. Parménide aura cependant toujours raison ; nous n'en saurons pourtant rien puisque être mort est impossible ; être, c'est vivre, c'est avoir une forme de conscience quelconque. Nietzsche nous a ainsi donné le moyen de penser la vie éternelle à l'extérieur du dogme religieux.
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