010514
par François Brooks
Quelle belle question que celle que m'adresse monsieur Gilbert Natan. « Qu'est-ce que la philosophie et quand est-on philosophe?... Êtes-vous philosophe? », me demande-t-il judicieusement. À chaque fois que je visite mon propre site, www.philo5.com, je me demande si ce n'est pas un peu prétentieux de ma part d'associer tant de grands penseurs à mes textes en les publiant à côté des miens. Moi, modeste électricien, qui suis-je pour oser parler de philosophie?
Léo Ferré disait qu'il faut être prétentieux : « Il faut se dire :"Je suis le meilleur", sinon, on ne fait jamais rien. Comment voulez-vous créer de la musique après Beethoven, Ravel, Mozart? ». Ces hommes ont écrit des musiques si sublimes que rien ne peut les égaler. Alors, nous n'avons pas d'autre choix que de se dire « je suis le meilleur, je veux être le meilleur ». Sinon, il n'y a qu'à se taire et écouter la musique insurpassable des grands maîtres.
Mon ami Michael Sinelnikoff, dont j'avais noté une citation pour l'ajouter à ma collection m'avait dit combien il se sentait flatté d'être en si bonne compagnie avec tous les grands penseurs que j'y cite. J'avais ensuite réalisé combien ça faisait prétentieux de ma part d'y ajouter souvent les miennes. Mais ces philosophes ont besoin de moi pour les mettre à vie. J'ai une qualité qu'ils ont perdue, je suis vivant. Sans moi pour les citer, ils ne sont que des taches d'encre stylisées noircissant des feuilles de papier reliées. Alors je fais un "deal" avec eux : j'essaie de m'en inspirer. J'ai l'audace d'écrire mes pensées à côté des leurs pour provoquer ceux qui s'en indignent. Qu'ils me remettent à ma place (de vermisseau) si je me trompe! Je sais que je risque gros mais tous les grands philosophes et penseurs ont eu des maîtres et ont dû un jour risquer d'être prétentieux à leur tour pour que soit livré jusqu'à nous la sagesse dont ils étaient porteurs. Je prends ce risque et c'est à vous de juger si je suis philosophe ou imposteur. C'est surtout à l'épreuve du temps (cent ans ou plus) que mes idées auront à faire face. Mais alors pour moi-même, le risque est bien mince puisque je serai redevenu poussière depuis longtemps. Jamais de mon vivant je n'aurai su si je suis philosophe ou non mais j'aurai nourri mes pensées à des sources enrichissantes et je me serai bercé à l'idée qu'il est possible que parfois, je marche dans des souliers de philosophes sans le savoir.
Tout comme lorsqu'on se présente, nous ne disons jamais notre titre. Je ne me présente pas en disant : « Bonjour, je suis ‘monsieur' François Brooks ». C'est à vous de reconnaître ou non si je mérite ce titre. Pour moi-même, je suis et je ne serai jamais autre que François Brooks. Si vous m'accordez quelque titre que ce soit, c'est d'abord à vous-même qu'appartient ce titre. Un gentleman voit des gentlemen partout de même qu'un fou voit des détraqués partout. Ça en prend un pour en reconnaître un autre, comme on dit. S'il vous plaît de me reconnaître comme philosophe, c'est que vous l'êtes vous-même.
Mais encore, qui reconnaissez-vous comme philosophe, et quels sont vos critères?
Pour ma part, d'un point de vue plus pragmatique, je m'en remettrai au dictionnaire et au sens usuel. Le dictionnaire Larousse donne cette définition à laquelle je me tiendrai :
philosophe[1] nom
(gr. philosophos , ami de la sagesse)
1. Spécialiste de philosophie.
2. Penseur qui élabore une doctrine, un système philosophique.
3. [HIST. ] Partisan des idées nouvelles, des « Lumières », au XVIIIe s.
4. adjectif et nom
Se dit de quelqu'un qui supporte les épreuves avec constance et résignation, qui prend la vie du bon côté.
Pour mon livre Les Philosophes, je ne m'inquiète pas tellement de savoir si tel ou tel personne a été philosophe ou non sinon que j'ai besoin de savoir quel est son système de pensée lorsque je l'entends citer assez souvent pour que j'aie besoin d'avoir en tête au moins un pense-bête qui me rappelle de quoi on veut parler lorsqu'on le cite en tant que philosophe. Voilà pourquoi on peut trouver une ou deux personnes dans 'mes philosophes' qui ne sont généralement pas reconnus en tant que tel. Quant aux vrais penseurs de Guy Sorman, (ceux encore vivants) sauf erreur, je ne pense pas les avoir cités comme philosophes, ni lui non plus.
Maintenant, à savoir si je suis moi-même philosophe, 1. Je n'en suis pas spécialiste, 2. Même si j'ai élaboré une théorie de l'existence[2] (un peu comme tout le monde) elle n'est pas encore une doctrine (à ce que je sache) mais on peut sans doute la considérer comme un système philosophique, un système étant un ensemble d'éléments complexes qui, en interaction les uns avec les autres, créent un équilibre fonctionnel, 3. Je n'appartiens pas au XVIIIe s., et 4. je ne supporte pas les épreuves avec constance et résignation, ni ne prend systématiquement la vie du bon côté. Alors, je ne me considère pas plus philosophe que qui que ce soit sinon que je m'y efforce mais dans tous les cas, ce ne serait pas à moi de le reconnaître et surtout pas de mon vivant puisqu'on ne peut véritablement parler de quelqu'un qu'après sa mort. L'être humain étant une chose en perpétuel devenir, seul la mort le détermine. Mort, un humain ne peut plus rien changer à ce qu'il a été.
Le titre de philosophe est souvent considéré comme un titre honorifique. Je me méfie des honneurs. Quand on érige une personne sur un piédestal, c'est souvent pour avoir le plaisir de la voir tomber de plus haut. Mais je me méfie tout autant de la modestie. Comme Nietzsche le disait, l'humilité c'est un ver qui se recroqueville pour offrir moins de prise au pied qui l'écrase. Je suis ce que je suis et j'ai parfois plaisir à l'être. Si vous m'appréciez, j'en suis heureux. Si vous ne m'aimez pas, vous m'intéressez. Et si je vous laisse indifférent, vous me foutez la paix et c'est très bien encore. Mais suis-je mes écrits? Qui suis-je? (bonjour Socrate).
[1] Le Petit Larousse illustré 1999. © Larousse, 1998.
[2] Voir mon texte 980806 Pourquoi moi ... moi?, dans Je pense toujours, tant
pis pour les arbres.