LES VRAIS PENSEURS 

Guy Sorman

Fayard © 1989

Ernst Nolte

1923 — 2016

Historien allemand
 

6. Guerre — Révisionnisme

Il fait ses études à l'Université de Berlin, puis de Fribourg. Il est agrégé de philosophie en 1952. Sa thèse traite de « L'aliénation et la dialectique dans l'idéalisme allemand ». Révisionniste du nazisme, il s'intéresse à l'histoire du fascisme.

Le fascisme est un anti-marxisme qui, par des méthodes presque identiques, essaie d'annihiler l'ennemi. Les puissances fascistes Nazies n'ont fait que réagir à l'agression originelle du communisme.

« L'assassinat pour raison de classe perpétré par les bolcheviks n'est-il pas le précédent logique et factuel de l'assassinat pour raison de race perpétré par les Nazis ? » Nolte invoque ici l'antériorité de l'« Archipel du Goulag » à propos du caractère « unique » des crimes nazis. Le « révisionnisme historique » devient un débat public. Jürgen Habermas répondra en dénonçant les « tendances apologétiques de l'historiographie ».

Nolte définit le fascisme comme un anti-marxisme « qui, par des méthodes presque identiques, essaie d'annihiler l'ennemi ».

« Pouvons-nous considérer les Allemands comme collectivement responsables ? Le plus grand nombre avait des soupçons, un groupe très limité savait, et un troisième groupe, également restreint, participait directement à l'Holocauste. » Pourquoi aussi peu de gens savaient-ils réellement ? « Parce que le système nazi était une organisation rationnelle où régnait la division du travail typique de l'ère industrielle ». De plus, « sans la collaboration de gendarmes Français, Italiens, Belges, ou Roumains, l'Holocauste n'aurait pas été possible : les Juifs ont été les victimes de l'antisémitisme européen en général ». Croire en la notion de responsabilité « collective », c'est, ajoute-t-il, tomber dans le même travers que Hitler vis-à-vis des Juifs. « Dans les années vingt, Hitler constate que de nombreux dirigeants bolcheviques en Russie sont Juifs. Ce qui est un fait exact. De même, il est vrai que les révolutions communistes avortées en Hongrie et à Munich sont conduites par des Juifs. Hitler en conclut que les Juifs sont « collectivement responsables » de ces révolutions. Il invente la notion de « judéo-bolchevisme », qui va devenir le fondement idéologique du nazisme. Lorsqu'en 1939, Chaïm Weizmann, président du Congrès sioniste, déclare que les Juifs, dans le monde entier, livreront la guerre au nazisme, Hitler y voit une preuve supplémentaire du complot judéo-bolchevique. »

Selon Nolte, le nazisme serait la forme allemande d'un phénomène plus général, l'idéologie fasciste de son temps. Il n'a été que l'expression la plus « radicale » du mouvement de fond que constituèrent les fascismes. La forme « originelle » en a été l'Action française de Charles Maurras, et sa forme « normale », le fascisme mussolinien. Une petite phrase de Maurras résume toute l'idéologie fasciste : « Je suis catholique, mais je suis athée. » Tout y est : le goût de l'ordre, la nostalgie d'un passé mythique, la négation de l'esprit critique, le refus de la transcendance, la métaphysique de substitution.

En 1940, tout le continent européen, sauf la Grande-Bretagne, est gouverné par des fascismes nationaux, tandis que l'U.R.S.S. expérimente avec Staline une autre variante du totalitarisme. Fascisme et communisme ont été, à l'époque, les deux réponses parallèles au chaos et à l'angoisse suscités par la révolution industrielle née au XIXe siècle. Ils ont été deux tentatives pour reconstruire l'ordre ancien contre le désordre moderne. Ces fascismes croyaient conserver les acquis de la modernité industrielle tout en supprimant la culture libérale ; ils n'avaient pas compris que l'esprit critique est la condition même de l'innovation.

« Je ne cherche pas à justifier le raisonnement de Hitler, j'essaie de montrer comment fonctionnait son cerveau délirant et d'expliquer la structure psychologique d'une idéologie. » Habermas et ses partisans refusent d'appliquer à « ce passé qui ne veut pas passer » les méthodes de l'investigation scientifique. Dans ce refus de Habermas, d'examiner le nazisme comme phénomène historique, n'y aurait-il pas, demande Nolte, « la crainte de découvrir combien son horreur est reproductible et combien le Mal appartient à la nature Humaine ? » Le nazisme, demande en somme Nolte, était-il inhumain ou, au contraire, n'était-il pas trop humain ? L'histoire de l'humanité n'est-elle pas faite à toutes les époques de crimes de masse ? L'Holocauste est-il beaucoup plus systématique et inhumain que le Goulag soviétique ? Et si les Turcs avaient disposé en 1915 des mêmes moyens techniques que les Nazis en 1940, les Arméniens n'auraient-ils pas été exterminés de manière tout aussi « rationnelle » et « finale » ? Et, plus récemment, qu'auraient fait les Khmers rouges au Cambodge ?

Le fascisme est d'abord une réaction d'angoisse et de combat face au bolchevisme. Sans le bolchevisme, il n'y aurait pas eu de fascisme. L'un et l'autre sont deux protagonistes d'une véritable « guerre civile européenne ». Si l'on ne considère pas, dit Nolte, cette guerre civile — annoncée, rappelle-t-il, par Nietzsche et Marx il y a un siècle — comme une réalité globale, il est tout simplement impossible de comprendre les événements qui la composent.

Si nous sous-estimons les crimes du Goulag, dit Nolte, c'est parce que nous les connaissons mal. Nous ne disposons pratiquement d'aucune photo, et nous n'en côtoyons directement aucune victime, aucun témoin. Or, le Goulag fut bel et bien un processus d'extermination systématique d'individus, du seul fait de leur appartenance à une catégorie sociale. À Auschwitz, il s'agissait de l'appartenance à une catégorie raciale. Nolte cite Lénine : « Le sol Russe doit être nettoyé des chiens et des cochons de la bourgeoisie agonisante ». Zinoviev envisageait d'exterminer dix millions de personnes. Les matelots d'Odessa fusillèrent tous ceux qui avaient les ongles propres. L'extermination « sociologique » du Goulag a bien historiquement précédé l'extermination « biologique » de Auschwitz.

Cependant, pense l'auteur Guy Sorman, il me semble que Nolte minimise une dimension particulière de l'Holocauste : ce crime contre l'humanité ne fut peut-être pas le seul de son espèce, mais ce fut un crime métaphysique, un attentat délibéré contre l'idée de Dieu. Que Dieu existe ou non, cette singularité-là reste sans équivalent...

Philo5
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