XXe SIÈCLE 

Wittgenstein

18891951

Logicien autrichien naturalisé britannique

Philosophie analytique

Philosophie du langage

* LANGAGE *

Chaque langage a ses limites. La philosophie doit montrer l'issue de la « bouteille à mouches » qu'est le langage.

Parler est une partie (un jeu) au sein d'une activité ou d'une forme de vie.

PREMIÈRE PHILOSOPHIE (1911-1918)

Le Tractatus logico-philosophicus (1921) [1] de Wittgenstein compte six thèses centrales.

Les thèses parlent du monde :

« 1. Le monde est tout ce qui arrive. »

« 2. Ce qui arrive, le fait, est l'existence des états de choses. »

... de la duplication du monde :

« 3. L'image logique des faits est la pensée. »

« 4. La pensée est la proposition sensée. »

... certaines sont des axiomes mathématiques :

« 5. La proposition est une fonction de vérité des énoncés élémentaires. »

« 6. La forme générale de la fonction de vérité est [p, x, N(x)]
ceci est la forme générale de la proposition. »

... et une conclusion étonnante :

« 7. Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »

Les choses sont liées par des relations. Ces relations constituent l'armature logique du monde qui définit le point de jonction entre le langage et le monde. « a est en relation avec b » ou « aRb », est la forme générale d'un état de choses. Pour avoir du sens, un énoncé doit représenter l'existence ou la non-existence d'états de choses. Si l'état de choses « placé dans l'énoncé à titre d'essai » existe, on dit que la proposition est vraie.

Lorsqu'une proposition est vraie, c'est une tautologie ; lorsqu'elle est fausse, une contradiction. Ainsi, les propositions logiques vraies ne disent rien sur le monde, rien d'autre que « a = a ».

La réalité est formée de différents états de choses qui, chacun, devrait pouvoir être décrit par un énoncé élémentaire. Tous les problèmes philosophiques — notamment les problèmes fondamentaux de la logique, des mathématiques et de la mécanique — peuvent être résolus. Mais cela ne résout aucunement les problèmes de la vie, bien au contraire :

« 6.52 Nous savons que même si nous avons une réponse à toutes les questions scientifiques possibles, nos problèmes de la vie n'ont même pas encore été abordés. »

Chaque langage a, en réalité, ses « limites », c'est-à-dire des propriétés qui ne peuvent pas être exprimées dans ce même langage, mais qui peuvent seulement être montrées :

« 6.522 Par exemple, bien qu'on ne puisse pas dire quel est le sens de la vie, il y a quand même quelque chose, mais qu'on ne peut exprimer ; ceci se montre, il s'agit de l'élément mystique. »

Il y a des limites à ce dont on peut parler ; Dieu, le moi, le sens du monde et le mystique sont hors du champ de la parole : indicibles.

Les objets forment la substance du monde ; or un sujet humain n'appartient pas au monde, il est une limite du monde (5.632), ou plutôt du monde de ce sujet et on ne peut donc jamais en parler dans une proposition. Si on le fait néanmoins, on entre dans une impasse. On ne peut parler de la personne ; mais on peut parler des faits qui l'entourent. L'éthique et la religion se tiennent également en dehors du monde, en dehors du discours pourvu de sens et de l'investigation scientifique. D'où la dernière thèse du Tractatus, qui dit simplement :

« 7. Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »

La philosophie ne peut découvrir aucune vérité. Son unique tâche consiste à clarifier nos pensées en analysant notre usage de la langue. Le philosophe est une sorte de vigile de la pensée dont la mission consiste à montrer les limites du discours sensé. Elle n'est pas une doctrine ; une fois la tâche accomplie, on n'en a plus besoin — une fois arrivé en haut, on doit jeter l'échelle.

DEUXIÈME PHILOSOPHIE (1929-1951) — Jeux de langage

Les Recherches philosophiques (1953) proposent une autre théorie plus flexible, qui présente le langage comme des jeux où s'applique un ensemble de règles contextuelles. Connaître la signification d'un mot ou d'une phrase consiste à les comprendre ; et les comprendre, c'est être capable de les utiliser : « la signification d'un mot est son usage dans le langage » ; elle ne réside pas uniquement dans sa référence concrète (la chose désignée), mais dans son emploi qui varie considérablement selon le contexte.

Comme les pièces du jeu d'échecs doivent respecter les règles qui leur sont attribuées, les mots sont réglés par le langage. Parler est une joute dans les activités de la vie. Description d'un objet d'après son apparence, ou d'après ses mesures ; construction d'un objet d'après un dessin ou une description ; compte rendu d'un processus ; traduction d'une langue à une autre ; demande ; remerciements ; salutations, prière, serment ; voilà autant de jeux de langage. Les règles de la grammaire (du jeu) ne peuvent pas être privées. Il est impossible qu'une règle ne soit suivie qu'une seule fois. La signification des mots est réglée par l'usage commun. Puisqu'une sensation privée ne peut pas faire partie du jeu de langage, on ne peut lui désigner une signification.

Ce que nous entendons par « vérité » et « réalité » est constitué par notre manière d'utiliser ces mots dans la vie courante. Nous avons tendance à concevoir une vision absolue du monde, comme si la vérité et la réalité dépendaient de nous. La « vérité » et la « réalité » sont constituées par nos jeux de langage.

« Quand bien même un lion saurait parler, nous ne pourrions le comprendre. » Car la manière de parler du lion ferait partie d'une forme de vie si différente de la nôtre que nous ne pourrions en déchiffrer le sens. Le lion est doté de sa propre conception de la réalité, étrangère à la nôtre. Nous avons chacun notre idée sur ce qui est sensé, en fonction de notre propre forme de vie. Se représenter un langage veut dire se représenter une forme de vie.

La philosophie est un combat contre l'ensorcellement de notre entendement par les ressources de notre langage. Son but est de montrer à la mouche l'issue par où s'échapper de la bouteille à mouches. Elle conduit à la découverte de quelque pur non-sens où l'entendement se fait des bosses en courant à l'assaut des frontières du langage. Le monde est mesuré par le langage, dont les limites sont logiquement énonçables ; on ne peut que montrer l'indicible et le secret. La philosophie n'est pas à une doctrine, c'est une activité. Elle n'est pas une fin en soi, mais un instrument qui aide à comprendre les limites du langage, qui sont comme une bouteille à mouches. Elle montre l'issue ; une fois sortie de la bouteille à mouches, la philosophie ne sert plus à rien.

Comme toute signification est produite en suivant les règles de jeux de langage, les deux traditions philosophiques du rationalisme et de l'empirisme s'effondrent puisque celles-ci s'appuient sur la description du contenu privé de l'esprit.

Sources

[1] Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Gallimard © 2001. pp. 33, 41, 50, 70, 95 et 112.

Philo5
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