PSYCHANALYSE 

Sigmund Freud

 

Texte fondateur

1904, 1914 et 1929

L'Inconscient

SOMMAIRE

L'inconscient

La justification de l'inconscient

Les trois instances de l'inconscient : ça, moi, surmoi

Leçons sur la psychanalyse

Règle psychanalytique fondamentale

Cure par la parole (talking cure), hystérie et traumatismes psychiques

Refoulement, résistance, symptôme et sublimation

Trois techniques de psychanalyse

1. Associations libres

2. L'interprétation des rêves

3. Actes manqués, lapsus, erreurs

La sexualité

Désirs sexuels de l'enfant

Développement de la vie sexuelle

Névrose, perversion et fixation

L'Oedipe

Névrose et création artistique

Transfert

Issues de la psychanalyse

L'inconscient[1]
[Le refoulement]

De la psychanalyse nous avons appris par expérience que l'essence du procès du refoulement ne consiste pas à supprimer, à anéantir une représentation représentant la pulsion, mais à la tenir à l'écart du devenir-conscient. Nous disons alors qu'elle se trouve à l'état d' « inconscient », et sommes en mesure d'avancer de bonnes preuves qu'elle peut, même inconsciente, manifester des effets, même certains qui atteignent finalement la conscience. Tout ce qui est refoulé doit nécessairement rester inconscient, mais nous voulons d'entrée de jeu poser comme tel que le refoulé ne recouvre pas tout ce qui est inconscient. L'inconscient a l'extension la plus large des deux ; le refoulé est une partie de l'inconscient.

Comment parvenir à la connaissance de l'inconscient ? Nous ne le connaissons naturellement que comme du conscient, après qu'il a subi une transposition ou traduction en du conscient. Le travail psychanalytique nous fait quotidiennement faire l'expérience qu'une telle traduction est possible. Pour ce faire, il est exigé que l'analysé surmonte certaines résistances, celles-là mêmes qui, de cela, ont fait jadis un refoulé, en l'écartant du conscient.

La justification de l'inconscient[2]
[Hypothèse de l'inconscient : outil de travail de la psychanalyse]

Notre bon droit à faire l'hypothèse d'un animique inconscient et à travailler scientifiquement avec cette hypothèse est contesté de nombreux côtés. Nous pouvons là-contre avancer que l'hypothèse de l'inconscient est nécessaire et légitime et que nous possédons de multiples preuves de l'existence de l'inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont, à un haut degré, lacunaires ; aussi bien chez les gens sains que chez les malades, se produisent fréquemment des actes psychiques qui, pour leur explication, présupposent d'autres actes que toutefois la conscience n'atteste pas. De tels actes ne sont pas seulement les actions manquées et les rêves chez les gens sains, tout ce qu'on appelle symptômes psychiques et phénomènes de contrainte chez les malades — notre expérience quotidienne la plus personnelle nous fait faire la connaissance d'idées incidentes dont nous ne connaissons pas la provenance, et de résultats de pensée dont l'élaboration nous est restée cachée. Tous ces actes conscients resteraient sans cohérence et incompréhensibles si nous voulons maintenir la prétention que nous devons aussi faire nécessairement l'expérience par la conscience de tout ce qui se passe en nous en fait d'actes animiques, et ils s'ordonnent dans une cohérence qu'on peut mettre en évidence si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or un gain de sens et de cohérence est un motif pleinement justifié à nous conduire au-delà de l'expérience immédiate. S'avère-t-il en outre que nous pouvons édifier sur l'hypothèse de l'inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, au service d'une fin, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve inattaquable de l'existence de ce dont nous avons fait l'hypothèse. On doit donc se ranger au point de vue qu'il n'y a rien d'autre que présomption insoutenable à exiger que tout ce qui se passe dans l'animique doive nécessairement être porté aussi à la connaissance de la conscience.

On peut aller plus loin et avancer, à l'appui d'un état psychique inconscient, que la conscience ne comprend à chaque moment qu'un contenu minime, si bien que la plus grande partie de ce que nous nommons connaissance consciente doit, de toute façon, se trouver nécessairement, durant les plus longues périodes, à l'état de latence, donc dans un état d'inconsciencialité psychique. L'opposition à l'existence de l'inconscient deviendrait, eu égard à tous nos souvenirs latents, totalement inconcevable. Nous nous heurtons alors à l'objection que ces souvenirs latents n'ont plus à être qualifiés de psychiques, mais correspondent aux restes de processus somatiques d'où le psychique peut de nouveau procéder. Il est facile de rétorquer que le souvenir latent est, au contraire, un indubitable reliquat d'un processus psychique. Mais il est plus important de se rendre compte que l'objection repose sur l'assimilation non-exprimée, mais d'emblée fixée, du conscient à l'animique. Cette assimilation est, ou bien une petitio principii qui n'autorise pas la question de savoir si tout ce qui est psychique doit nécessairement être également conscient, ou bien une affaire de convention, de nomenclature. Avec ce dernier caractère, elle est naturellement, comme toute convention, irréfutable. Seule reste ouverte la question de savoir si elle se révèle si appropriée qu'on ne puisse que s'y rallier. On est en droit de répondre que l'assimilation conventionnelle du psychique au conscient est absolument inappropriée. Elle dilacère les continuités psychiques, nous précipite dans les difficultés insolubles du parallélisme psycho-physique, tombe sous le coup du reproche de surestimer, sans fondement pénétrable, le rôle de la conscience, et nous oblige à abandonner prématurément le domaine de la recherche psychologique, sans pouvoir nous apporter de dédommagements venant d'autres domaines.

En tout état de cause, il est clair que la question de savoir si l'on doit concevoir les états latents de la vie d'âme, impossibles à écarter, comme des états animiques inconscients ou comme des états physiques, menace de déboucher sur une querelle de mots. Il est donc opportun de faire passer au premier plan ce qui nous est connu avec certitude de la nature de ces états qui font question. Or, ils nous sont parfaitement inaccessibles quant à leurs caractères physiques ; aucune représentation physiologique, aucun procès chimique ne peut nous procurer une idée de leur essence. D'autre part, il est établi qu'ils ont le plus large contact avec les processus animiques conscients ; ils se laissent, moyennant une certaine prestation de travail, transposer en eux, remplacer par eux, et ils peuvent être décrits avec toutes les catégories que nous appliquons aux actes d'âme conscients, comme représentations, tendances, décisions et autres. Bien plus, nous sommes obligés de dire de nombre de ces états latents qu'ils ne se différencient justement des conscients qu'en ce que la conscience fait défaut. Nous n'hésiterons donc pas à les traiter en objets de la recherche psychologique et en corrélation la plus étroite avec les actes animiques conscients.

La récusation obstinée du caractère psychique des actes animiques latents s'explique par le fait que la plupart des phénomènes à prendre en considération ne sont pas devenus objet d'étude en dehors de la psychanalyse. Qui ne connaît pas les faits pathologiques, accepte que les actions manquées des normaux aient valeur de hasards et se contente de la vieille sagesse pour qui songes sont mensonges, n'a plus besoin que de négliger encore quelques énigmes de la psychologie de la conscience pour s'épargner l'hypothèse d'une activité animique inconsciente. Du reste, les expériences hypnotiques, en particulier la suggestion post-hypnotique, ont démontré de façon tangible, avant même l'époque de la psychanalyse, l'existence et le mode d'action de l'inconscient dans l'âme.

Mais l'hypothèse de l'inconscient est aussi une hypothèse pleinement légitime, dans la mesure où, en la posant, nous ne dévions pas d'un pas de notre mode de pensée habituel, tenu pour correct. La conscience ne fournit à chacun de nous en particulier que la connaissance d'états animiques propres ; qu'un autre homme ait, lui aussi, une conscience, c'est là une inférence tirée, per analogiam, sur la base des manifestations et actions perceptibles de cet autre, pour nous rendre compréhensible ce comportement de l'autre. (Psychologiquement plus exacte est sans doute la description qui veut que, sans plus de réflexion, nous attribuions à tout autre en dehors de nous notre propre constitution et ainsi donc également notre conscience, et que cette identification soit le présupposé de notre compréhension.) Cette inférence — ou cette identification — fut autrefois étendue du moi à d'autres hommes, aux animaux, aux plantes, à l'inanimé et à l'ensemble du monde, et s'avéra utilisable aussi longtemps que l'analogie avec le moi-individu était d'une grandeur terrassante, mais devint moins fiable dans la mesure où l'autre-chose s'éloigna du moi. Aujourd'hui notre critique commence à être incertaine s'agissant de la conscience des animaux, oppose un refus à la conscience des plantes et réserve à la mystique l'hypothèse d'une conscience de l'inanimé. Mais également, là où le penchant originel à l'identification a soutenu l'examen de la critique, s'agissant de l'autre-chose humain, le plus proche de nous, l'hypothèse d'une conscience repose sur une inférence et ne peut partager la certitude immédiate que nous avons de notre propre conscience.

Or la psychanalyse n'exige rien, si ce n'est que ce procédé d'inférence soit également retourné sur la personne propre, ce pour quoi un penchant constitutionnel n'existe, à vrai dire, pas. Procède-t-on ainsi, il faut dire que tous les actes et manifestations que je remarque sur moi et que je ne sais pas connecter avec le reste de ma vie psychique doivent nécessairement être jugés comme s'ils appartenaient à une autre personne, et qu'ils doivent trouver à s'élucider s'il lui est attribué une vie d'âme. L'expérience montre aussi que ces mêmes actes, auxquels on refuse la reconnaissance psychique dans le cas de la personne propre, on s'entend très bien à les interpréter chez les autres, c'est-à-dire à les insérer dans le contexte animique. Notre recherche est ici manifestement détournée de la personne propre par un empêchement particulier et empêchée de connaître celle-ci exactement.

Ce procédé d'inférence retourné, malgré une opposition interne, sur la personne propre ne conduit pas, néanmoins, à la mise à découvert d'un inconscient, mais au contraire, pour parler correctement, à l'hypothèse d'une autre et seconde conscience, qui est réunie, dans ma personne, à celle connue de moi. Seulement, la critique trouve ici une occasion justifiée de faire quelques objections. 1. Premièrement, une conscience dont le propre porteur ne sait rien est quelque chose d'autre encore qu'une conscience étrangère, et l'on en vient à se demander si une telle conscience, à laquelle manque le caractère le plus important, mérite encore, en général, discussion. Qui s'est rebellé contre l'hypothèse d'un psychique inconscient ne pourra être satisfait de l'échanger contre une conscience inconsciente. 2. Deuxièmement, l'analyse indique que, un à un, les processus d'âme latents que nous inférons bénéficient d'un haut degré d'indépendance mutuelle, tout comme s'ils n'étaient pas en liaison les uns avec les autres et ne savaient rien les uns des autres. Ainsi donc, il nous faut être prêts à faire l'hypothèse, non seulement d'une deuxième conscience en nous, mais aussi d'une troisième, d'une quatrième, peut-être d'une série inachevable d'états de conscience, inconnus, tous autant qu'ils sont, de nous et les uns des autres. 3. Troisièmement, argument le plus lourd qui entre en considération, nous apprenons d'expérience, par l'investigation analytique, qu'une partie de ces processus latents possèdent des caractères et des particularités qui nous semblent étrangers, incroyables même, et vont directement à l'encontre des propriétés de la conscience connues de nous. Aussi serons-nous fondés à modifier l'inférence retournée sur la personne propre, dans le sens qu'elle nous prouve, non une seconde conscience en nous, mais l'existence d'actes psychiques qui sont privés de conscience. Nous serons également en droit de récuser l'appellation d'une « subconscience », comme incorrecte et induisant en erreur. Les cas connus de « double conscience » (clivage de conscience) ne prouvent rien contre notre conception. Le plus pertinent est de les décrire comme cas de clivage des activités animiques en deux groupes, la même conscience se tournant alors, alternativement, vers l'un ou l'autre camp.

Il ne nous reste, en psychanalyse, absolument rien d'autre à faire qu'à déclarer en-soi inconscients les processus animiques et à comparer leur perception par la conscience avec la perception du monde extérieur par les organes des sens. Nous espérons même tirer de cette comparaison un gain pour notre connaissance. L'hypothèse psychanalytique de l'activité d'âme inconsciente nous apparaît, d'un côté comme une prolongation lointaine de l'animisme primitif, qui nous faisait partout miroiter des portraits vivants de notre conscience, et d'un autre côté comme la continuation de la correction que Kant a apportée à notre conception de la perception externe. De même que Kant nous a avertis de ne pas négliger le conditionnement subjectif de notre perception et de ne pas tenir notre perception pour identique au perçu inconnaissable, de même la psychanalyse exhorte à ne pas mettre la perception de conscience à la place du processus psychique inconscient, lequel est son objet. Tout comme le physique, le psychique n'a pas besoin non plus d'être en réalité comme il nous apparaît. Nous nous préparerons toutefois, avec satisfaction, à apprendre que la correction de la perception interne n'offre pas une aussi grande difficulté que celle de l'externe, que l'objet interne est moins inconnaissable que le monde extérieur.

Les trois instances de l'inconscient : ça, moi, surmoi[3]

[...] cela peut bien ne pas être superflu [...] d'expliciter la signification de quelques mots tels que : Surmoi, conscience morale, sentiment de culpabilité, besoin de punition, remords. Tous se rapportent au même état de chose, mais en en dénommant des aspects différents.

Le Surmoi est une instance inférée par nous ; la conscience morale, une fonction que nous lui attribuons à côté d'autres ayant à surveiller et juger les actions et les visées du Moi, exerçant une activité de censure. Le sentiment de culpabilité — la dureté du Surmoi — est donc la même chose que la sévérité de la conscience morale ; il est la perception, impartie au Moi, de la surveillance à laquelle celui-ci est ainsi soumis. Il est l'évaluation de la tension entre les tendances du Moi et les exigences du Surmoi ; et l'angoisse devant cette instance critique qui est à la base de toute la relation — le besoin de punition — est une manifestation pulsionnelle du Moi qui est devenue masochiste sous l'influence du Surmoi sadique ; c'est-à-dire qu'il utilise aux fins d'une liaison érotique avec le Surmoi une part de la pulsion à la destruction interne qui est présente en lui. On ne devrait pas parler de conscience morale avant qu'un Surmoi ne soit susceptible d'être mis en évidence. Quant à la conscience de culpabilité, il faut concéder qu'elle existe antérieurement au Surmoi donc aussi à la conscience morale. Elle est alors l'expression immédiate de l'angoisse devant l'autorité externe, la reconnaissance de la tension existant entre le Moi et cette dernière, le rejeton direct du conflit entre le besoin d'être aimé par cette autorité et cette poussée vers la satisfaction pulsionnelle dont l'inhibition engendre le penchant à l'agression.

[...]

Les symptômes des névroses, comme nous l'avons appris, sont essentiellement des satisfactions substitutives de souhaits sexuels non accomplis. Au cours du travail analytique, l'expérience nous a appris, à notre grande surprise, que peut-être toute névrose dissimule un montant de sentiments de culpabilité inconscients qui, à son tour, consolide les symptômes en les utilisant comme punitions. On est porté maintenant à formuler cette thèse : si une tendance pulsionnelle succombe au refoulement, ses éléments libidinaux sont transposés en symptômes, ses composantes agressives en sentiments de culpabilité.

[...]

Le Surmoi de la culture a produit ses idéaux et élevé ses propres exigences. Parmi ces dernières, celles qui concernent les relations des hommes entre eux sont regroupées en tant qu' « éthique ». De tout temps, on a attaché la plus grande valeur à cette éthique, comme si on attendait précisément d'elle des performances particulièrement importantes. Et effectivement, l'éthique se tourne vers un point qui est facilement reconnaissable comme l'endroit le plus sensible de toute culture.

L'éthique est en effet à concevoir comme une tentative thérapeutique, comme un effort pour atteindre, par un commandement du Surmoi, ce qui jusqu'ici ne pouvait être atteint par tout autre travail culturel. Nous le savons déjà, il s'agit ici de se demander comment écarter le plus grand obstacle à la culture : le penchant constitutionnel des hommes à s'agresser mutuellement ; et c'est précisément pourquoi le plus récent probablement des commandements culturels du Surmoi devient pour nous particulièrement intéressant : le commandement « Aime ton prochain comme toi-même. » Dans la recherche sur les névroses et dans la thérapie des névroses, nous en venons à élever deux reproches contre le Surmoi de l'individu : il se soucie trop peu, dans la sévérité de ses commandements et interdits, du bonheur du Moi en ne prenant pas suffisamment en compte les résistances contre leur observance — la force pulsionnelle du Ça — et les difficultés du monde environnant réel. Aussi sommes-nous très souvent obligés, dans une visée thérapeutique, de combattre le Surmoi, et nous nous efforçons de rabaisser ses revendications. Nous pouvons élever des objections tout à fait semblables contre les exigences éthiques du Surmoi de la culture. Celui-ci non plus ne se soucie pas suffisamment des données de la constitution animique de l'homme : il édicte un commandement et ne demande pas s'il est possible à l'homme de l'observer. Au contraire il présume qu'au Moi de l'homme, tout ce dont on le charge est psychologiquement possible, qu'au Moi, il incombe de régner sans restriction sur son Ça. C'est une erreur, et même chez les hommes dits normaux, la domination sur le Ça ne peut s'accroître au-delà de limites déterminées. Exige-t-on davantage, alors on engendre chez l'individu la révolte ou la névrose, ou bien on le rend malheureux. Le commandement : « Aime ton prochain comme toi-même » est la défense la plus forte contre l'agression humaine et un excellent exemple de la démarche non-psychologique du Surmoi de la culture.

Leçons sur la psychanalyse[4]

Règle psychanalytique fondamentale

p. 130

[...] l'analyse ne se laisse pas employer comme une arme de polémique ; elle suppose le consentement de la personne dont on veut faire l'analyse et, entre l'analyste et l'analysé, des rapports de supérieur à subordonné. [...] Le premier objectif de la psychanalyse avait consisté à obtenir l'explication des névroses. Prenant pour point de départ les faits de la résistance et du transfert, nous avons réussi, en tenant compte du troisième fait constitué par l'amnésie, à établir la théorie du refoulement, à montrer le rôle que les pulsions sexuelles et l'inconscient jouent dans les névroses. [...]

Cure par la parole (talking cure), hystérie et traumatismes psychiques

p. 10

On avait remarqué que dans ses états d'absence, d'altération psychique avec confusion, la malade avait l'habitude de murmurer quelques mots qui semblaient se rapporter à des préoccupations intimes. Le médecin se fit répéter ses paroles et, ayant mis la malade dans une sorte d'hypnose, les lui répéta mot à mot, espérant ainsi déclencher les pensées qui la préoccupaient. La malade tomba dans le piège et se mit à raconter l'histoire dont les mots murmurés pendant ses états d'absence avaient trahi l'existence. C'étaient des fantaisies d'une profonde tristesse, souvent même d'une certaine beauté — nous dirons des rêveries — qui avaient pour thème une jeune fille au chevet de son père malade. Après avoir exprimé un certain nombre de ces fantaisies, elle se trouvait délivrée et ramenée à une vie psychique normale. L'amélioration, qui durait plusieurs heures, disparaissait le jour suivant, pour faire place à une nouvelle absence que supprimait, de la même manière, le récit des fantaisies nouvellement formées.

Nul doute que la modification psychique manifestée pendant les absences était une conséquence de l'excitation produite par ces formations fantaisistes d'une vive tonalité affective. La malade elle-même qui, à cette époque de sa maladie, ne parlait et ne comprenait que l'anglais, donna à ce traitement d'un nouveau genre le nom de talking cure ; elle le désignait aussi, en plaisantant, du nom de chimney sweeping.

On remarqua bientôt, comme par hasard, qu'un tel « nettoyage » de l'âme faisait beaucoup plus qu'éloigner momentanément la confusion mentale toujours renaissante. Les symptômes morbides disparurent aussi lorsque, sous l'hypnose, la malade se rappela avec extériorisation affective, à quelle occasion ces symptômes s'étaient produits pour la première fois. [...]

[...] [Breuer] étudia systématiquement la pathogenèse d'autres symptômes morbides plus graves. Dans presque chaque cas, il constata que les symptômes étaient, pour ainsi dire, comme des résidus d'expériences émotives que, pour cette raison, nous avons appelées plus tard traumatismes psychiques ; leur caractère particulier s'apparentait à la scène traumatique qui les avait provoqués. Selon l'expression consacrée, les symptômes étaient déterminés par les scènes dont ils formaient les résidus mnésiques, et il n'était plus nécessaire de voir en eux des effets arbitraires et énigmatiques de la névrose. [...]

[...]

Nous pouvons grosso modo résumer tout ce qui précède dans la formule suivante : les hystériques souffrent de réminiscences. Leurs symptômes sont les résidus et les symboles de certains événements (traumatiques). Symboles commémoratifs, à vrai dire. Une comparaison nous fera saisir ce qu'il faut entendre par là. Les monuments dont nous ornons nos grandes villes sont des symboles commémoratifs du même genre. Ainsi, à Londres, vous trouverez, devant une des plus grandes gares de la ville, une colonne gothique richement décorée : Charing Cross. Au XXXe siècle, un des vieux rois Plantagenêt qui faisait, transporter à Westminster le corps de la reine Éléonore, éleva des croix gothiques à chacune des stations où le cercueil fut posé à terre. Charing Cross est le dernier des monuments qui devaient conserver le souvenir de cette marche funèbre. À une autre place de la ville, non loin du London Bridge, vous remarquerez une colonne moderne très haute que l'on appelle « The monument ». Elle doit rappeler le souvenir du grand incendie qui, en 1666, éclata tout près de là et détruisit une grande partie de la ville. Ces monuments sont des « symboles commémoratifs » comme les symptômes hystériques. La comparaison est donc soutenable jusque-là.

Mais que diriez-vous d'un habitant de Londres qui, aujourd'hui encore, s'arrêterait mélancoliquement devant le monument du convoi funèbre de la reine Éléonore, au lieu de s'occuper de ses affaires avec la hâte qu'exigent les conditions modernes du travail, ou de se réjouir de la jeune et charmante reine qui captive aujourd'hui son propre coeur ? Ou d'un autre qui pleurerait devant « le monument » la destruction de la ville de ses pères, alors que cette ville est depuis longtemps renée de ses cendres et brille aujourd'hui d'un éclat plus vif encore que jadis ?

Les hystériques et autres névrosés se comportent comme les deux Londoniens de notre exemple invraisemblable. Non seulement ils se souviennent d'événements douloureux passés depuis longtemps, mais ils y sont encore affectivement attachés ; ils ne se libèrent pas du passé et négligent pour lui la réalité et le présent. [...]

[...] Dans la vie normale, une certaine quantité de notre énergie affective est employée à l'innervation corporelle et produit le phénomène de l'expression des émotions, que nous connaissons tous. L'hystérie de conversion n'est pas autre chose qu'une expression des émotions exagérée et qui se traduit par des moyens inaccoutumés. Si un fleuve s'écoule dans deux canaux, l'un d'eux se trouvera plein à déborder aussitôt que, dans l'autre, le courant rencontrera un obstacle.

[...] Lorsqu'on l'hypnotisait, il fallait faire de grands efforts pour lui remettre ces scènes en mémoire, et c'est ce travail de réminiscence qui supprimait les symptômes. Nous serions bien embarrassés pour interpréter cette constatation, si l'expérience et l'expérimentation de l'hypnose n'avaient montré le chemin à suivre. L'étude des phénomènes hypnotiques nous a habitués à cette conception d'abord étrange que, dans un seul et même individu, il peut y avoir plusieurs groupements psychiques, assez indépendants pour qu'ils ne sachent rien les uns des autres. Des cas de ce genre, que l'on appelle « double conscience », peuvent, à l'occasion, se présenter spontanément à l'observation. Si, dans un tel dédoublement de la personnalité, la conscience reste constamment liée à l'un des deux états, on nomme cet état, l'état psychique conscient, et l'on appelle inconscient celui qui en est séparé. Le phénomène connu sous le nom de suggestion posthypnotique, dans lequel un ordre donné au cours de l'hypnose se réalise plus tard, coûte que coûte, à l'état normal, donne une image excellente de l'influence que l'état conscient peut recevoir de l'inconscient, et c'est d'après ce modèle qu'il nous est possible de comprendre les phénomènes observés dans l'hystérie. [...]

Breuer se décida à admettre que les symptômes hystériques auraient été provoqués durant des états d'âme spéciaux qu'il appelait hypnoïdes. Les excitations qui se produisent dans les états hypnoïdes de ce genre deviennent facilement pathogènes, parce qu'elles ne trouvent pas dans ces états les conditions nécessaires à leur aboutissement normal. Il se produit alors cette chose particulière qui est le symptôme, et qui pénètre dans l'état normal comme un corps étranger. D'autant plus que le sujet n'a pas conscience de la cause de son mal. Là où il y a un symptôme, il y a aussi amnésie, un vide, une lacune dans le souvenir, et, si l'on réussit à combler cette lacune, on supprime par là même le symptôme.

Refoulement, résistance, symptôme et sublimation

p. 24

J'ai appelé refoulement ce processus supposé par moi, et je l'ai considéré comme prouvé par l'existence indéniable de la résistance. Mais on pouvait encore se demander ce qu'étaient ces forces, et quelles étaient les conditions de ce refoulement où nous voyons aujourd'hui le mécanisme pathogène de l'hystérie. Ce que le traitement cathartique nous avait appris nous permet de répondre à cette question. Dans tous les cas observés, on constate qu'un désir violent a été ressenti, qui s'est trouvé en complète opposition avec les autres désirs de l'individu, inconciliable avec les aspirations morales et esthétiques de sa personne. Un bref conflit s'en est suivi ; à l'issue de ce combat intérieur, le désir inconciliable est devenu l'objet du refoulement, il a été chassé hors de la conscience et oublié. Puisque la représentation en question est inconciliable avec « le moi » du malade, le refoulement se produit sous forme d'exigences morales ou autres de la part de l'individu. L'acceptation du désir inconciliable ou la prolongation du conflit auraient provoqué un malaise intense ; le refoulement épargne ce malaise, il apparaît ainsi comme un moyen de protéger la personne psychique.

[...]

J'illustrerai le processus du refoulement et sa relation nécessaire avec la résistance par une comparaison grossière. Supposez que dans la salle de conférences, dans mon auditoire calme et attentif, il se trouve pourtant un individu qui se conduise de façon à me déranger et qui me trouble par des rires inconvenants, par son bavardage ou en tapant des pieds. Je déclarerai que je ne peux continuer à professer ainsi ; sur ce, quelques auditeurs vigoureux se lèveront et, après une brève lutte, mettront le personnage à la porte. Il sera « refoulé » et je pourrai continuer ma conférence. Mais, pour que le trouble ne se reproduise plus, au cas où l'expulsé essayerait de rentrer dans la salle, les personnes qui sont venues à mon aide iront adosser leurs chaises à la porte et former ainsi comme une « résistance ». Si maintenant l'on transporte sur le plan psychique les événements de notre exemple, si l'on fait de la salle de conférences le conscient, et du vestibule l'inconscient, voilà une assez bonne image du refoulement.

C'est en cela que notre conception diffère de celle de Janet. Pour nous, la dissociation psychique ne vient pas d'une inaptitude innée de l'appareil mental à la synthèse ; nous l'expliquons dynamiquement par le conflit de deux forces psychiques, nous voyons en elle le résultat d'une révolte active des deux constellations psychiques, le conscient et l'inconscient, l'une contre l'autre. Cette conception nouvelle soulève beaucoup de nouveaux problèmes. Ainsi le conflit psychique est certes très fréquent et le « moi » cherche à se défendre contre les souvenirs pénibles, sans provoquer pour autant une dissociation psychique. Force est donc d'admettre que d'autres conditions sont encore requises pour amener une dissociation. J'accorde volontiers que l'hypothèse du refoulement constitue non pas le terme, mais bien le début d'une théorie psychologique ; mais nous ne pouvons progresser que pas à pas, et il faut nous laisser le temps d'approfondir notre idée.

[...]

[...] Le résultat le plus précieux auquel nous avait conduits l'observation de Breuer était la découverte de la relation des symptômes avec les événements pathogènes ou traumatismes psychiques. Comment allons-nous interpréter tout cela du point de vue de la théorie du refoulement ? Au premier abord, on ne voit vraiment pas comment. Mais au lieu de me livrer à une déduction théorique compliquée, je vais reprendre ici notre comparaison de tout à l'heure. Il est certain qu'en éloignant le mauvais sujet qui dérangeait la leçon et en plaçant des sentinelles devant la porte, tout n'est pas fini. Il peut très bien arriver que l'expulsé, amer et résolu, provoque encore du désordre. Il n'est plus dans la salle, c'est vrai ; on est débarrassé de sa présence, de son rire moqueur, de ses remarques à haute voix ; mais à certains égards, le refoulement est pourtant resté inefficace, car voilà qu'au-dehors l'expulsé fait un vacarme insupportable ; il crie, donne des coups de poing contre la porte et trouble ainsi la conférence plus que par son attitude précédente. Dans ces conditions, il serait heureux que le président de la réunion veuille bien assumer le rôle de médiateur et de pacificateur. Il parlementerait avec le personnage récalcitrant, puis il s'adresserait aux auditeurs et leur proposerait de le laisser rentrer, prenant sur lui de garantir une meilleure conduite. On déciderait de supprimer le refoulement et le calme et la paix renaîtraient. Voilà une image assez juste de la tâche qui incombe au médecin dans le traitement psychanalytique des névroses.

Exprimons-nous maintenant sans images : l'examen d'autres malades hystériques et d'autres névrosés nous conduit à la conviction qu'ils n'ont pas réussi à refouler l'idée à laquelle est lié leur désir insupportable. Ils l'ont bien chassée de leur conscience et de leur mémoire, et se sont épargné, apparemment, une grande somme de souffrances, mais le désir refoulé continue à subsister dans l'inconscient ; il guette une occasion de se manifester et il réapparaît bientôt à la lumière, mais sous un déguisement qui le rend méconnaissable ; en d'autres termes, l'idée refoulée est remplacée dans la conscience par une autre qui lui sert de substitut, d'ersatz, et à laquelle viennent s'attacher toutes les impressions de malaise que l'on croyait avoir écartées par le refoulement. Ce substitut de l'idée refoulée — le symptôme — est protégé contre de nouvelles attaques de la part du « moi » ; et, au lieu d'un court conflit, intervient maintenant une souffrance continuelle.

À côté des signes de défiguration, le symptôme offre un reste de ressemblance avec l'idée refoulée. Les procédés de formations substitutives se trahissent pendant le traitement psychanalytique du malade, et il est nécessaire pour la guérison que le symptôme soit ramené par ces mêmes moyens à l'idée refoulée. Si l'on parvient à ramener ce qui est refoulé au plein jour — cela suppose que des résistances considérables ont été surmontées —, alors le conflit psychique né de cette réintégration, et que le malade voulait éviter, peut trouver sous la direction du médecin, une meilleure solution que celle du refoulement. Une telle méthode parvient à faire évanouir conflits et névroses. Tantôt le malade convient qu'il a eu tort de refouler le désir pathogène et il accepte totalement ou partiellement ce désir ; tantôt le désir lui-même est dirigé vers un but plus élevé et, pour cette raison, moins sujet à critique (c'est ce que je nomme la sublimation du désir) ; tantôt on reconnaît qu'il était juste de rejeter le désir, mais on remplace le mécanisme automatique, donc insuffisant, du refoulement, par un jugement de condamnation morale rendu avec l'aide des plus hautes instances spirituelles de l'homme ; c'est en pleine lumière que l'on triomphe du désir.

Trois techniques de psychanalyse

1. Associations libres

p. 35

[...] Une observation minutieuse montre qu'un tel arrêt des associations libres ne se présente jamais. Elles paraissent suspendues parce que le malade retient ou supprime l'idée qu'il vient d'avoir, sous l'influence de résistances revêtant la forme de jugements critiques. On évite cette difficulté en avertissant le malade à l'avance et en exigeant qu'il ne tienne aucun compte de cette critique. Il faut qu'il renonce complètement à tout choix de ce genre et qu'il dise tout ce qui lui vient à l'esprit, même s'il pense que c'est inexact, hors de la question, stupide même, et surtout s'il lui est désagréable que sa pensée s'arrête à une telle idée. S'il se soumet à ces règles, il nous procurera les associations libres qui nous mettront sur les traces du complexe refoulé.

Ces idées spontanées que le malade repousse comme insignifiantes, s'il résiste au lieu de céder au médecin, représentent en quelque sorte, pour le psychanalyste, le minerai dont il extraira le métal précieux par de simples artifices d'interprétation. Si l'on veut acquérir rapidement une idée provisoire des complexes refoulés par un malade, sans se préoccuper de leur ordre ni de leurs relations, on se servira de l'expérience d'associations imaginée par Jung et ses élèves. Ce procédé rend au psychanalyste autant de services que l'analyse qualitative au chimiste ; on peut s'en passer dans le traitement des névroses, mais il est indispensable pour la démonstration objective des complexes et pour l'étude des psychoses, qui a été entreprise avec tant de succès par l'école de Zurich.

L'examen des idées spontanées qui se présentent au malade, s'il se soumet aux principales règles de la psychanalyse, n'est pas le seul moyen technique qui permette de sonder l'inconscient. Deux autres procédés conduisent au même but : l'interprétation des rêves et celle des erreurs et des lapsus.

2. L'interprétation des rêves

p. 36

[...] L'interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de la connaissance de l'inconscient, la base la plus sûre de nos recherches, et c'est l'étude des rêves, plus qu'aucune autre, qui vous convaincra de la valeur de la psychanalyse et vous formera à sa pratique. Quand on me demande comment on peut devenir psychanalyste, je réponds : par l'étude de ses propres rêves. [...]

Il convient de noter que nos productions oniriques — nos rêves — ressemblent intimement aux productions des maladies mentales, d'une part, et que, d'autre part, elles sont compatibles avec une santé parfaite. [...]

[...]

Pour se persuader de l'existence des « idées latentes » du rêve et de la réalité de leur rapport avec le « contenu manifeste », il faut pratiquer l'analyse des rêves, dont la technique est la même que la technique psychanalytique dont il a été déjà question. Elle consiste tout d'abord à faire complètement abstraction des enchaînements d'idées que semble offrir le « contenu manifeste » du rêve, et à s'appliquer à découvrir les « idées latentes », en recherchant quelles associations déclenchent chacun de ses éléments. Ces associations provoquées conduiront à la découverte des idées latentes du rêveur, de même que, tout à l'heure, nous voyions les associations déclenchées par les divers symptômes nous conduire aux souvenirs oubliés et aux complexes du malade. Ces « idées oniriques latentes », qui constituent le sens profond et réel du rêve, une fois mises en évidence, montrent combien il est légitime de ramener les rêves d'adultes au type des rêves d'enfants. Il suffit en effet de substituer au « contenu manifeste », si abracadabrant, le sens profond, pour que tout s'éclaire : on voit que les divers détails du rêve se rattachent à des impressions du jour précédent et l'ensemble apparaît comme la réalisation d'un désir non satisfait. Le « contenu manifeste » du rêve peut donc être considéré comme la réalisation déguisée de désirs refoulés.

[...]

Vous serez en outre étonnés de découvrir dans l'analyse des rêves, et spécialement dans celle des vôtres, l'importance inattendue que prennent les impressions des premières années de l'enfance. Par le rêve, c'est l'enfant qui continue à vivre dans l'homme, avec ses particularités et ses désirs, même ceux qui sont devenus inutiles. C'est d'un enfant, dont les facultés étaient bien différentes des aptitudes propres à l'homme normal, que celui-ci est sorti. Mais au prix de quelles évolutions, de quels refoulements, de quelles sublimations, de quelles réactions psychiques, cet homme normal s'est-il peu à peu constitué, lui qui est le bénéficiaire — et aussi, en partie, la victime — d'une éducation et d'une culture si péniblement acquises !

[...]

[...] D'après ce que nous avons dit jusqu'ici, il est facile de voir que l'interprétation des rêves, quand elle n'est pas rendue trop pénible par les résistances du malade, conduit à découvrir les désirs cachés et refoulés ; ainsi que les complexes qu'ils entretiennent. Je peux donc passer au troisième groupe de phénomènes psychiques dont tire parti la technique psychanalytique.

3. Actes manqués, lapsus, erreurs

p. 42

Ce sont tous ces actes innombrables de la vie quotidienne, que l'on rencontre aussi bien chez les individus normaux que chez les névrosés, et qui se caractérisent par le fait qu'ils manquent leur but : on pourrait les grouper sous le nom d'actes manqués. D'ordinaire, on ne leur accorde aucune importance. Ce sont des oublis inexplicables (par exemple l'oubli momentané des noms propres), les lapsus linguae, les lapsus calami, les erreurs de lecture, les maladresses, la perte ou le bris d'objets, etc., toutes choses auxquelles on n'attribue ordinairement aucune cause psychologique et qu'on considère simplement comme des résultats du hasard, des produits de la distraction, de l'inattention, etc. À cela s'ajoutent encore les actes et les gestes que les hommes accomplissent sans les remarquer et, à plus forte raison, sans y attacher d'importance psychique : jouer machinalement avec des objets, fredonner des mélodies, tripoter ses doigts, ses vêtements, etc. Ces petits faits, les actes manqués, comme les actes symptomatiques et les actes de hasard, ne sont pas si dépourvus d'importance qu'on est disposé à l'admettre en vertu d'une sorte d'accord tacite. Ils ont un sens et sont, la plupart du temps, faciles à interpréter. On découvre alors qu'ils expriment, eux aussi, des pulsions et des intentions que l'on veut cacher à sa propre conscience et qu'ils ont leur source dans des désirs et des complexes refoulés, semblables à ceux des symptômes et des rêves. Considérons-les donc comme des symptômes ; leur examen attentif peut conduire à mieux connaître notre vie intérieure. C'est par eux que l'homme trahit le plus souvent ses secrets les plus intimes. S'ils sont habituels et fréquents, même chez les gens sains qui ont réussi à refouler leurs tendances inconscientes, cela tient à leur futilité et à leur peu d'apparence. Mais leur valeur théorique est grande, puisqu'ils nous prouvent l'existence du refoulement et des substituts, même chez des personnes bien portantes.

[...]

[...] Mais la psychanalyse, il est vrai, est dans une situation spéciale, qui lui rend plus difficile d'obtenir l'approbation. Que veut le psychanalyste, en effet ? Ramener à la surface de la conscience tout ce qui en a été refoulé. Or, chacun de nous a refoulé beaucoup de choses que nous maintenons peut-être avec peine dans notre inconscient. La psychanalyse provoque donc, chez ceux qui en entendent parler, la même résistance qu'elle provoque chez les malades. C'est de là que vient sans doute l'opposition si vive, si instinctive, que notre discipline a le don d'exciter. Cette résistance prend du reste le masque de l'opposition intellectuelle et enfante des arguments analogues à ceux que nous écartons chez nos malades au moyen de la règle psychanalytique fondamentale.

La sexualité

Désirs sexuels de l'enfant

p. 46

La première découverte à laquelle la psychanalyse nous conduit, c'est que, régulièrement, les symptômes morbides se trouvent liés à la vie amoureuse du malade ; elle nous montre que les désirs pathogènes sont de la nature des composantes érotiques et nous oblige à considérer les troubles de la vie sexuelle comme une des causes les plus importantes de la maladie.

[...]

[...] Le travail analytique nécessaire pour expliquer et supprimer une maladie ne s'arrête jamais aux événements de l'époque où elle se produisit, mais remonte toujours jusqu'à la puberté et à la première enfance du malade ; là, elle rencontre les événements et les impressions qui ont déterminé la maladie ultérieure. Ce n'est qu'en découvrant ces événements de l'enfance que l'on peut expliquer la sensibilité à l'égard des traumatismes ultérieurs, et c'est en rendant conscients ces souvenirs généralement oubliés que nous en arrivons à pouvoir supprimer les symptômes. Nous parvenons ici aux mêmes résultats que dans l'étude des rêves, à savoir que ce sont les désirs inéluctables et refoulés de l'enfance qui ont prêté leur puissance à la formation de symptômes sans lesquels la réaction aux traumatismes ultérieurs aurait pris un cours normal. Ces puissants désirs de l'enfant, je les considère, d'une manière générale, comme sexuels.

Mais je devine votre étonnement, bien naturel d'ailleurs. — Y a-t-il donc, demanderez-vous, une sexualité infantile ? L'enfance n'est-elle pas plutôt cette période de la vie où manque tout instinct de ce genre ? À cette question je vous répondrai : Non, l'instinct sexuel ne pénètre pas dans les enfants à l'époque de la puberté (comme, dans l'Évangile, le diable pénètre dans les porcs). L'enfant présente dès son âge le plus tendre les manifestations de cet instinct ; il apporte ces tendances en venant au monde, et c'est de ces premiers germes que sort, au cours d'une évolution pleine de vicissitudes et aux étapes nombreuses, la sexualité dite normale de l'adulte. Il n'est guère difficile de le constater. Ce qui me paraît moins facile, c'est de ne pas l'apercevoir ! Il faut vraiment une certaine dose de bonne volonté pour être aveugle à ce point !

[...]

[...] L'instinct sexuel de l'enfant est très compliqué ; on peut y distinguer de nombreux éléments, issus de sources variées. Tout d'abord, il est encore indépendant de la fonction de reproduction au service de laquelle il se mettra plus tard. Il sert à procurer plusieurs sortes de sensations agréables que nous désignons du nom de plaisir sexuel par suite de certaines analogies. La principale source du plaisir sexuel infantile est l'excitation de certaines parties du corps particulièrement sensibles, autres que les organes sexuels : la bouche, l'anus, l'urètre, ainsi que l'épiderme et autres surfaces sensibles. Cette première phase de la vie sexuelle infantile, dans laquelle l'individu se satisfait au moyen de son propre corps et n'a besoin d'aucun intermédiaire, nous l'appelons, d'après l'expression créée par Havelock Ellis, la phase de l'auto-érotisme. Ces parties propres à procurer le plaisir sexuel, nous les appelons zones érogènes. La succion ou tettement des petits enfants est un bon exemple de satisfaction auto-érotique procurée par une zone érogène. [...] Une autre satisfaction sexuelle de cette première époque est l'excitation artificielle des organes génitaux, qui conserve pour la suite de la vie une grande importance et que certains individus ne surmontent jamais complètement. À côté de ces activités auto-érotiques, et d'autres du même genre, se manifestent, très vite, chez l'enfant, ces composantes instinctives du plaisir sexuel, ou, comme nous l'appelons volontiers, de la libido, qui exigent l'intervention d'une personne étrangère.

Ces instincts se présentent par groupes de deux, opposés l'un à l'autre, l'un actif et l'autre passif, dont voici les principaux : le plaisir de faire souffrir (sadisme) avec son opposé passif (masochisme) ; le plaisir de voir et celui d'exhiber (du premier se détachera plus tard l'exhibition artistique et dramatique). D'autres activités sexuelles de l'enfant appartiennent déjà au stade du choix de l'objet, choix dans lequel une personne étrangère devient l'essentiel. Dans les premiers temps de la vie, le choix de cette personne étrangère dépend de l'instinct de conservation. La différence des sexes ne joue pas le rôle décisif dans cette période infantile. Sans crainte d'être injuste on peut attribuer à chaque enfant une légère disposition à l'homosexualité.

Développement de la vie sexuelle

p. 52

Cette vie sexuelle de l'enfant, décousue, complexe, mais dissociée, dans laquelle l'instinct seul tend à procurer des jouissances, cette vie se condense et s'organise dans deux directions principales, si bien que la plupart du temps, à la fin de la puberté, le caractère sexuel de l'individu est formé. D'une part, les tendances se soumettent à la suprématie de la « zone génitale », processus par lequel toute la vie sexuelle entre au service de la reproduction, et la satisfaction des premières tendances n'a plus d'importance qu'en tant qu'elle prépare et favorise le véritable acte sexuel. D'autre part, le désir d'une personne étrangère chasse l'auto-érotisme, de sorte que, dans la vie amoureuse, toutes les composantes de l'instinct sexuel tendent à trouver leur satisfaction auprès de la personne aimée. Mais toutes les composantes instinctives primitives ne sont pas autorisées à prendre part à cette fixation définitive de la vie sexuelle. Avant l'époque de la puberté, sous l'influence de l'éducation, se produisent des refoulements très énergiques de certaines tendances ; et des puissances psychiques comme la honte, le dégoût, la morale, s'établissent en gardiennes pour contenir ce qui a été refoulé. Et, lorsque à la puberté surgit la grande marée des besoins sexuels, ceux-ci trouvent dans ces réactions et ces résistances des digues qui les obligent à suivre les voies dites normales et les empêchent d'animer à nouveau les tendances victimes du refoulement. Ce sont les plaisirs coprophiles de l'enfance, c'est-à-dire ceux qui ont rapport aux excréments ; c'est ensuite l'attachement aux personnes qui avaient été tout d'abord choisies comme objet aimé.

Névrose, perversion et fixation

p. 53

Il y a, en pathologie générale, un principe qui nous rappelle que tout processus contient les germes d'une disposition pathologique, en tant qu'il peut être inhibé, retardé ou entravé dans son cours. Il en est de même pour le développement si compliqué de la fonction sexuelle. Tous les individus ne le supportent pas sans encombre ; il laisse après lui des anomalies ou des dispositions à des maladies ultérieures par régression. Il peut arriver que les instincts partiels ne se soumettent pas tous à la domination des « zones génitales » ; un instinct qui reste indépendant forme ce que l'on appelle une perversion et substitue au but sexuel normal sa finalité particulière. Comme nous l'avons déjà signalé, il arrive très souvent que l'auto-érotisme ne soit pas complètement surmonté, ce que démontrent les troubles les plus divers qu'on peut voir apparaître au cours de la vie. L'équivalence primitive des deux sexes comme objets sexuels peut persister, d'où il résultera dans la vie de l'homme adulte un penchant à l'homosexualité, qui, à l'occasion, pourra aller jusqu'à l'homosexualité exclusive. Cette série de troubles correspond à un arrêt du développement des fonctions sexuelles ; elle comprend les perversions et l'infantilisme général, assez fréquent, de la vie sexuelle.

La disposition aux névroses découle d'une autre sorte de troubles de l'évolution sexuelle. Les névroses sont aux perversions ce que le négatif est au positif ; en elles se retrouvent, comme soutiens des complexes et artisans des symptômes, les mêmes composantes instinctives que dans les perversions ; mais, ici, elles agissent du fond de l'inconscient ; elles ont donc subi un refoulement, mais ont pu, malgré lui, s'affirmer dans l'inconscient. La psychanalyse nous apprend que l'extériorisation trop forte de ces instincts, à des époques très lointaines, a produit une sorte de fixation partielle qui représente maintenant un point faible dans la structure de la fonction sexuelle. Si l'accomplissement normal de la fonction à l'âge adulte rencontre des obstacles, c'est précisément à ces points où les fixations infantiles ont eu lieu que se rompra le refoulement réalisé par les diverses circonstances de l'éducation et du développement.

[...]

L'Oedipe

p. 55

[...] Le choix primitif de l'objet chez l'enfant (choix qui dépend de l'indigence de ses moyens) est très intéressant. L'enfant se tourne d'abord vers ceux qui s'occupent de lui ; mais ceux-ci disparaissent bientôt derrière les parents. Les rapports de l'enfant avec les parents, comme le prouvent l'observation directe de l'enfant et l'étude analytique de l'adulte, ne sont nullement dépourvus d'éléments sexuels. L'enfant prend ses deux parents et surtout l'un d'eux, comme objets de désirs. D'habitude, il obéit à une impulsion des parents eux-mêmes, dont la tendresse porte un caractère nettement sexuel, inhibé il est vrai dans ses fins. Le père préfère généralement la fille, la mère le fils. L'enfant réagit de la manière suivante : le fils désire se mettre à la place du père, la fille, à celle de la mère. Les sentiments qui s'éveillent dans ces rapports de parents à enfants et dans ceux qui en dérivent entre frères et soeurs ne sont pas seulement positifs, c'est-à-dire tendres : ils sont aussi négatifs, c'est-à-dire hostiles. Le complexe ainsi formé est condamné à un refoulement rapide ; mais, du fond de l'inconscient, il exerce encore une action importante et durable. Nous pouvons supposer qu'il constitue, avec ses dérivés, le complexe central de chaque névrose, et nous nous attendons à le trouver non moins actif dans les autres domaines de la vie psychique. Le mythe du roi Oedipe qui tue son père et prend sa mère pour femme est une manifestation peu modifiée du désir infantile contre lequel se dresse plus tard, pour le repousser, la barrière de l'inceste. Au fond du drame d'Hamlet, de Shakespeare, on retrouve cette même idée d'un complexe incestueux, mais mieux voilé.

[...]

Il est inévitable et tout à fait logique que l'enfant fasse de ses parents l'objet de ses premiers choix amoureux. Toutefois, il ne faut pas que sa libido reste fixée à ces premiers objets ; elle doit se contenter de les prendre plus tard comme modèles et, à l'époque du choix définitif, passer de ceux-ci à des personnes étrangères. L'enfant doit se détacher de ses parents : c'est indispensable pour qu'il puisse jouer son rôle social. À l'époque où le refoulement fait son choix parmi les instincts partiels de la sexualité, et, plus tard, quand il faut se détacher de l'influence des parents (influence qui a fait les principaux frais de ce refoulement), l'éducateur a de sérieux devoirs, qui, actuellement, ne sont pas toujours remplis avec intelligence.

Ces considérations sur la vie sexuelle et le développement psycho-sexuel ne nous ont éloignés, comme il pourrait le paraître, ni de la psychanalyse, ni du traitement des névroses. Bien au contraire, on pourrait définir le traitement psychanalytique comme une éducation progressive pour surmonter chez chacun de nous les résidus de l'enfance.

Névrose et création artistique

p. 58

[...] Ce n'est pas seulement le « moi » du malade gui se refuse énergiquement à abandonner les refoulements qui l'aident à se soustraire à ses dispositions originelles ; mais les instincts sexuels eux-mêmes ne tiennent nullement à renoncer à la satisfaction que leur procure le substitut fabriqué par la maladie, et tant qu'ils ignorent si la réalité leur fournira quelque chose de meilleur.

La fuite hors de la réalité pénible ne va jamais sans provoquer un certain bien-être, même lorsqu'elle aboutit à cet état que nous appelons maladie parce qu'il est préjudiciable aux conditions générales de l'existence. Elle s'accomplit par voie de régression, en évoquant des phases périmées de la vie sexuelle, qui étaient l'occasion, pour l'individu, de certaines jouissances. La régression a deux aspects : d'une part, elle reporte l'individu dans le passé, en ressuscitant des périodes antérieures de sa libido, de son besoin érotique ; d'autre part, elle suscite des expressions qui sont propres à ces périodes primitives. Mais ces deux aspects, aspect chronologique et aspect formel, se ramènent à une formule unique qui est : retour à l'enfance et rétablissement d'une étape infantile de la vie sexuelle.

Plus on approfondit la pathogenèse des névroses, plus on aperçoit les relations qui les unissent aux autres phénomènes de la vie psychique de l'homme, même à ceux auxquels nous attachons le plus de valeur. Et nous voyons combien la réalité nous satisfait peu malgré nos prétentions ; aussi, sous la pression de nos refoulements intérieurs, entretenons-nous au-dedans de nous toute une vie de fantaisie qui, en réalisant nos désirs, compense les insuffisances de l'existence véritable. L'homme énergique et qui réussit, c'est celui qui parvient à transmuer en réalités les fantaisies du désir. Quand cette transmutation échoue par la faute des circonstances extérieures et de la faiblesse de l'individu, celui-ci se détourne du réel ; il se retire dans l'univers plus heureux de son rêve ; en cas de maladie il en transforme le contenu en symptômes. Dans certaines conditions favorables, il peut encore trouver un autre moyen de passer de ses fantaisies à la réalité, au lieu de s'écarter définitivement d'elle par régression dans le domaine infantile ; j'entends que, s'il possède le don artistique, psychologiquement si mystérieux, il peut, au lieu de symptômes, transformer ses rêves en créations esthétiques. Ainsi échappe-t-il au destin de la névrose et trouve-t-il par ce détour un rapport avec la réalité. Quand cette précieuse faculté manque ou se montre insuffisante, il devient inévitable que la libido parvienne, par régression, à la réapparition des désirs infantiles, et donc à la névrose. La névrose remplace, à notre époque, le cloître où avaient coutume de se retirer toutes les personnes déçues par la vie ou trop faibles pour la supporter.

Je voudrais souligner ici le principal résultat auquel nous sommes parvenus, grâce à l'examen psychanalytique des névrosés : à savoir que les névroses n'ont aucun contenu psychique propre qui ne se trouve aussi chez les personnes saines, ou, comme l'a dit C. G. Jung, que les névrosés souffrent de ces mêmes complexes contre lesquels nous aussi, hommes sains, nous luttons. Il dépend des proportions quantitatives, de la relation des forces qui luttent entre elles, que le combat aboutisse à la santé, à la névrose ou à des productions surnormales de compensation.

Transfert

p. 61

[...] Chaque fois que nous traitons psychanalytiquement un névrosé, ce dernier subit l'étonnant phénomène que nous appelons transfert. Cela signifie qu'il déverse sur le médecin un trop-plein d'excitations affectueuses, souvent mêlées d'hostilité, qui n'ont leur source ou leur raison d'être dans aucune expérience réelle ; la façon dont elles apparaissent, et leurs particularités, montrent qu'elles dérivent d'anciens désirs du malade devenus inconscients. Ce fragment de vie affective qu'il ne peut plus rappeler dans son souvenir, le malade le revit aussi dans ses relations avec le médecin ; et ce n'est qu'après une telle reviviscence par le « transfert » qu'il est convaincu de l'existence comme de la force de ses mouvements sexuels inconscients. Les symptômes qui, pour emprunter une comparaison à la chimie, sont les précipités d'anciennes expériences d'amour (au sens le plus large du mot), ne peuvent se dissoudre et se transformer en d'autres produits psychiques qu'à la température plus élevée de l'événement du « transfert ». Dans cette réaction, le médecin joue, selon l'excellente expression de Ferenczi, le rôle d'un ferment catalytique qui attire temporairement à lui les affects qui viennent d'être libérés. [...] Il ne faut pas croire, d'ailleurs, que le phénomène du « transfert », dont je ne puis malheureusement dire ici que peu de chose, soit créé par l'influence psychanalytique. Le « transfert » s'établit spontanément dans toutes les relations humaines, aussi bien que dans le rapport de malade à médecin ; il transmet partout l'influence thérapeutique et il agit avec d'autant plus de force qu'on se doute moins de son existence. La psychanalyse ne le crée donc pas ; elle le dévoile seulement et s'en empare pour orienter le malade vers le but souhaité.

Issues de la psychanalyse

p. 63

Voyons maintenant ce que deviennent les désirs inconscients libérés par la psychanalyse. Par quels moyens peut-on les rendre inoffensifs ? Nous en connaissons trois.

1. Il arrive, le plus souvent, que ces désirs soient simplement supprimés par la réflexion, au cours du traitement. Ici, le refoulement est remplacé par une sorte de critique ou de condamnation. Cette critique est d'autant plus aisée qu'elle porte sur les produits d'une période infantile du « moi ». Jadis l'individu, alors faible et incomplètement développé, incapable de lutter efficacement contre un penchant impossible à satisfaire, n'avait pu que le refouler. Aujourd'hui, en pleine maturité, il est capable de le maîtriser.

2. Le second moyen, par lequel la psychanalyse ouvre une issue aux instincts qu'elle découvre, consiste à les ramener à la fonction normale qui eût été la leur, si le développement de l'individu n'avait pas été perturbé. Il n'est, en effet, nullement dans l'intérêt de celui-ci d'extirper les désirs infantiles. La névrose, par ses refoulements, l'a privé de nombreuses sources d'énergie psychique qui eussent été fort utiles à la formation de son caractère et au déploiement de son activité.

Nous connaissons encore une issue, meilleure peut-être, par où les désirs infantiles peuvent manifester toutes leurs énergies et substituer au penchant irréalisable de l'individu un but supérieur situé parfois complètement en dehors de la sexualité : c'est la sublimation. Les tendances qui composent l'instinct sexuel se caractérisent précisément par cette aptitude à la sublimation : à leur fin sexuelle se substitue un objectif plus élevé et de plus grande valeur sociale. C'est à l'enrichissement psychique résultant de ce processus de sublimation que sont dues les plus nobles acquisitions de l'esprit humain.

3. Voici enfin la troisième des conclusions possibles du traitement psychanalytique : il est légitime qu'un certain nombre des tendances libidinales refoulées soient directement satisfaites et que cette satisfaction soit obtenue par les moyens ordinaires. Notre civilisation, qui prétend à une autre culture, rend en réalité la vie trop difficile à la plupart des individus et, par l'effroi de la réalité, provoque des névroses sans qu'elle ait rien à gagner à cet excès de refoulement sexuel. Ne négligeons pas tout à fait ce qu'il y a d'animal dans notre nature. Notre idéal de civilisation n'exige pas qu'on renonce à la satisfaction de l'individu. Sans doute, il est tentant de transfigurer les éléments de la sexualité par le moyen d'une sublimation toujours plus étendue, pour le plus grand bien de la société. Mais, de même que dans une machine on ne peut transformer en travail mécanique utilisable la totalité de la chaleur dépensée, de même on ne peut espérer transmuer intégralement l'énergie provenant de l'instinct sexuel. Cela est impossible. Et en privant l'instinct sexuel de son aliment naturel, on provoque des conséquences fâcheuses.

Rappelez-vous l'histoire du cheval de Schilda. Les habitants de cette petite ville possédaient un cheval dont la force faisait leur admiration. Malheureusement, l'entretien de la bête coûtait fort cher ; on résolut donc, pour l'habituer à se passer de nourriture, de diminuer chaque jour d'un grain sa ration d'avoine. Ainsi fut fait ; mais, lorsque le dernier grain fut supprimé, le cheval était mort. Les gens de Schilda ne surent jamais pourquoi.

Quant à moi, j'incline à croire qu'il est mort de faim, et qu'aucune bête n'est capable de travailler si on ne lui fournit sa ration d'avoine.

[1] Sigmund Freud, Oeuvres complètes - Vol. XIII – Psychanalyse (1914-1915), Presses Universitaires de France © 1988, p. 207.

[2] Ibid., pp. 207-213.

[3] Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, (1929), Presses Universitaires de France © 2010,
pp. 79-80, 82, 85-87. Extrait sonore de Ibid., Éditions Frémeaux © 2010, CD3, [11], [12] et [13].

[4] Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, 1904, Petite bibliothèque Payot © 1966.
Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique, § 3, p. 130,
PP. 24-25.

Philo5
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