971205
par François Brooks
Il
est quand même curieux de penser que les supplices infligés aux Saints Martyrs
Canadiens (Pères Brébeuf, Lallemand etc.) étaient de nature semblable à ceux
imposés lors de l'Inquisition à Giordano Bruno, Jeanne d'Arc etc. Les premiers
ont souffert sous les mains d'Iroquois sanguinaires anticléricaux alors que les
seconds ont souffert sous des bourreaux engagés par le clergé d'alors. Sont-ce
les idées chrétiennes de l'époque qui avaient l'heur d'inspirer des châtiments
de cette nature? Les feux de l'enfer qu'ont subis les victimes étaient loin
d'être une simple allégorie de l'esprit.
Si tant de philosophes ont cru bon devoir
prouver que Dieu existe, c'est donc qu'ils admettent qu'il est légitime d'en
douter. Mais pourquoi diable Dieu a-t-il eu, dans l'histoire, besoin de tant d'avocats pour défendre sa cause? N'est-il pas
assez grand pour se défendre tout seul?
La bêtise humaine est amusante. Dieu,
s'il existe, doit bien se bidonner.
N'ai-je pas lu quelque part dans la Bible
qu'il est interdit de prononcer le nom de Dieu? On l'appelait alors
l'Innommable. Il me semble que c'est encore la meilleure façon d'aborder le
sujet : de ne pas en parler. Si Dieu a une quantité d'attributs si mirifiques
et innombrables — on parle d'infinité ; ce n'est pas rien — que sommes-nous,
nous, petits grains de sable, pour le nommer, l'interpeller dans nos prières-listes-d'épicerie
ou encore usurper sa pensée en prétendant le représenter sous de fausses
représentations présomptueuses? Qui sommes-nous pour prétendre parler en son
nom? Malgré tout, aurions-nous enfin fini par comprendre ; puisque plus
personne n'en parle?
Dieu représente aussi un paradoxe
immense. On dit qu'il possède une infinité d'attributs et pourtant on dit aussi
qu'il est unique. On peut parler de Dieu à toutes les sauces ; on peut aborder
le sujet à partir d'autant d'angles différents qu'il y a d'individus qui
veulent bien en parler. Et le contraire aussi, puisque refuser d'en parler est
encore une double façon de l'aborder : premièrement, en niant son existence, ou
deuxièmement, en lui accordant une telle importance qu'on refuse de s'octroyer
le droit de dire quoi que ce soit à son sujet. Il n'est pourtant supposé
exister qu'un seul Dieu. Beau paradoxe?
Le Dieu d'aujourd'hui nous
ressemble comme leur ressemblait celui de nos ancêtres. Autrefois, Dieu
enflammait les esprits et les bûchers. Dieu merci, aujourd'hui, il agit dans le
chacun pour soi. On admet lui donner une place mais on
refuse d'en parler. D'ailleurs, si on force notre interlocuteur par des questions
insistantes, il n'apparaîtra qu'un Dieu un peu nébuleux et très personnel. Il y
a belle lurette que Dieu n'agit plus dans les sphères communautaires. Dieu
n'est plus l'idée qui réunit des groupes (ou si peu) mais plutôt un instrument
d'unification personnelle, s'il en est. On n'a plus besoin de prouver son
existence puisqu'on admet que le problème relève d'une question personnelle. On
reconnaît aussi que la vie peut être parfaitement valable sans Dieu. Alors,
pourquoi se casser la tête à embrigader les gens dans une croyance invérifiable
alors qu'on a mille autres façons de les embrigader par la consommation? On
consomme de tout et c'est rentable. Dieu ne l'est plus alors on l'oublie. Et
c'est tant mieux, il avait tendance à échauffer les esprits.