971126
par François Brooks
À
l'époque romantique, être père apportait toutes sortes de gratifications qui
sont aujourd'hui disparues. Ces gratifications provenaient le plus souvent
d'une sorte de fierté liée au plaisir de se sentir indispensable. Nous étions
appréciés pour nos qualités masculines naturelles et laissez-moi vous dire que
ça dépassait largement le simple fait — aujourd'hui si valorisé — d'être
présents.
Qui savait bricoler et tout réparer? À
qui demandait-on d'ouvrir le pot de marinades? À qui octroyait-on le veto en ce
qui concernait les prises de décisions difficiles face aux choses familiales
importantes? Qui apportait-il chaque semaine son salaire pour faire vivre sa
famille? Qui faisait l'entretien mécanique de la maison et tondait le gazon? Et
j'en passe. C'est le père. Toutes ces manifestations d'adresse, de force, de
responsabilité, de générosité et de persévérance étaient des qualités pour
lesquelles on appréciait l'indispensabilité — disait-on — d'un homme dans la
maison.
Aujourd'hui, si l'homme bricole, on dira
que c'est une manie ; sa force physique, bêtement un don et loin d'être
indispensable. Ses décisions difficiles sont interprétées comme s'il bafouait
le sacro-saint droit à la liberté des membres de sa famille. L'argent qu'il
donne à sa famille, c'est un droit de celle-ci sans quoi on est prêt à le
poursuivre pour négligence de son devoir de pourvoir aux besoins familiaux. Les
tâches dans lesquelles il excellait sont maintenant si peu indispensables qu'il
n'est pas rare de voir des gîtes dans de piteux états fonctionnels. On blâmera
l'homme d'être un père absent. On veut un père présent qui fasse la vaisselle
et change les couches. Somme toute, on l'apprécie s'il est rose et pas
indispensable. Pensez-vous, s'il l'était, il pourrait nous imposer ses quatre
volontés. Et s'il fout le camp, on aura toujours le plaisir de pouvoir le
critiquer d'être simplement absent. Avec un tel mépris, et si généralisé, pour
le rôle du père, ce qui est surprenant, ce n'est pas le phénomène des pères
absents, ce sont ceux qui restent que j'ai de la difficulté à comprendre.
Le plaisir d'être père
était lié à une valorisation de son rôle indispensable dans la famille. On m'a
privé de ce plaisir et j'ai perdu mes qualités viriles. Aujourd'hui, je fais
toutes sortes de choses inutiles, comme gagner de l'argent et le dépenser pour
toutes sortes de futilités. Je ne suis plus indispensable et à ce compte-là,
qui peut s'illusionner encore de l'être?