971103
par François Brooks
— Regarde, j'ai inventé un détecteur de
connerie. Ça s'active et une alarme se fait entendre quand quelqu'un dit une
connerie. Vas-y, essaye-la. Dis une connerie.
— ... euh ...
— Vas-y, dis une connerie, n'importe
laquelle.
— Euh ... C'est beau la vie.
— ( Bip! Bip! Bip! )
(scène
du film de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, Delicatessen, © 1991)
J'aime
la vie à peu près autant qu'on aime respirer quand quelqu'un vous a retenu la
tête de force sous l'eau pendant deux minutes. J'entends souvent des gens dire
qu'ils aiment la vie et je trouve leur propos à peu près aussi insensé que si
j'entendais un poisson me dire qu'il aime l'eau. Je n'ai pas le choix d'être en
vie, je le suis. J'aurais le choix si la mort n'était pas irréversible et si le
passage d'un état à l'autre n'occasionnait pas de souffrance. Autant dire qu'il
y a une impossibilité pratique.
Cependant je ne connaîtrai jamais la mort
puisque pour connaître quelque chose il faut être en vie. Même au moment de la
dernière minute de la vie, on ne connaît pas la mort ; on connaît l'agonie. Et
pour agoniser, il faut être en vie. La douleur est une manifestation de la vie
; je n'aime pas la douleur. Qui aime souffrir? (
Non, le masochiste ne souffre pas, il jouit.) Le plaisir est aussi une manifestation
de la vie tout comme l'ennui. Non, je n'aime ni ne déteste la vie ; je suis
pris avec et j'essaie de me la rendre la plus agréable possible. Pour moi le
bonheur[1]
n'est pas un privilège, c'est un minimum auquel je me dois d'accéder et je
voudrais être mort à chaque fois que je souffre ou que je m'ennuie.
Je pense que c'est pareil
pour chacun alors j'évite d'emmerder les autres avec mes problèmes existentiels
et je porte ma peau, gardant en tête la phrase de Montaigne qui dit que « Chaque homme porte en lui la forme
entière de l'humaine condition ». Cette phrase me revient à chaque fois que mon regard
silencieux croise celui d'un passant ou se remémore des visages connus.
[1]
J'entends ici le bonheur au sens de Léo Ferré :
Le bonheur ça n'est pas grand-chose
C'est du chagrin qui se repose
Alors, il ne faut pas le réveiller
Le bonheur ... qu'est-ce que c'est?