971101
par François Brooks
Dans
ma conversation téléphonique avec Louise, il m'est soudainement apparu que nous
sommes au monde dans trois niveaux d'existence différents : politique, familial
et personnel.
Le niveau personnel est ce que nous sommes dans la solitude et
l'intimité profonde de notre pensée. À ce niveau, la liberté est totale. Quelle
que soit l'idée qui me passe par la tête, elle peut être admise. Quelles que
soient mes habitudes personnelles, aucune éthique ne peut me contraindre à les
changer. Seul, chez-moi, avec moi, je n'ai de comptes à rendre qu'à moi-même.
Et si je m'abuse, je devrai aussi assumer seul mes déboires. Cette liberté me
donne la possibilité de fréquenter les lieux inusités de ma pensée et
d'explorer des coins de ma conscience connus de moi seul.
Mais, la liberté totale n'est possible
que dans la solitude. L'ennui va bientôt me pousser à accepter de limiter cette
liberté pour établir des contacts affectueux. Par le couple, l'amitié et les
enfants, c'est le niveau
familial que je vais vivre. Ici,
avec l'amour à fleur de peau, mon seul désir sera de plaire aux membres de ma
famille et à mes amis. Si nos univers personnels sont compatibles, je vivrai
une sorte de lune de miel où il me fera plaisir d'aliéner une partie de ma
liberté au bien-être de mes proches puisque la joie de me sentir prolongé au
travers des membres de ma famille, l'emporte largement sur les plaisirs de ma
liberté individuelle. Plus tard, lorsque la joie s'estompera, je pourrai
choisir de changer mes amis ou ma conjointe dans l'espoir de reconduire la lune
de miel. Sinon, j'accepterai de négocier une aliénation acceptable pour pouvoir
profiter des bénéfices de l'amour, de l'amitié et de la cohabitation.
Pour conserver un maximum de liberté, je
voudrais bien vivre en autarcie mais, puisqu'il m'est impossible de me suffire,
j'accepterai en plus d'aliéner une autre partie de ma liberté personnelle pour
jouir des avantages qu'apporte la vie dans une société politique où les
échanges économiques vont m'avantager. Ainsi, moyennant quelques heures de
travail par semaine, (le moins possible) la société m'apportera en retour,
toutes sortes de biens et de services qui prendraient tout mon temps si je
vivais en autarcie. Là encore, je devrai négocier pour que l'échange soit à mon
avantage et que les contraintes politiques régissant les limites de ma liberté
personnelle me soient acceptables. C'est ce que j'appellerai le niveau politique.
Ces trois niveaux de mon être — personnel, familial et politique — sont à l'origine de la plupart des
conflits que je dois affronter puisqu'ils ne relèvent pas de la même éthique.
Le conflit le plus répandu est un conflit entre les niveaux d'éthique. Très
souvent, les gens mélangent les trois niveaux et voudraient, par exemple, que
l'éthique appropriée au niveau familial soit la même que celle qui convient au
niveau personnel. Ainsi, un fumeur voudrait être libre de fumer chez lui alors
que ni son conjoint, ni ses enfants ne fument. Son habitude générera aussi un
conflit au niveau politique puisqu'il réclamera des soins de santé à la société
lorsqu'il contractera une maladie liée à son tabagisme. Cet exemple que je
donne est très actuel mais, en laissant aller un peu notre réflexion, on
pourrait aisément en trouver des dizaines d'autres, qu'ils soient sur les
comportements sexuels, économiques, écologiques, alimentaires ou hygiéniques.
On pourrait comparer le travail
nécessaire pour discerner l'éthique appropriée à chacun des trois niveaux politique, familial et personnel au travail qu'on doit faire pour vivre en
harmonie sachant que dans notre tête, il y a trois cerveaux qui cohabitent : le
reptilien, celui de l'affectivité (ou de la mémoire) et le cortex associatif. (Cf. Henri Laborit
dans le film Mon Oncle d'Amérique)
Le conflit naît du désir
d'appliquer la même éthique aux trois niveaux politique, familial et personnel. L'histoire est riche d'exemples en ce
sens. Ainsi, il m'est aisé de comprendre pourquoi la famille au Québec n'a
cessé de péricliter depuis que le gouvernement a institué une Politique Familiale. C'est comme aux Années de la Grande Noirceur où l'Église se servait de son pouvoir
moral politique pour imposer son éthique aux consciences personnelles.
Maintenant que l'État a légiféré pour protéger la vie personnelle, —
c'est-à-dire, ne plus s'en mêler — le cocooning est en plein essor. Le niveau
familial doit être régi, je crois, par une éthique de l'amour. Le gouvernement,
avec ses gros sabots ne pourra jamais imposer l'amour nécessaire au bon
fonctionnement familial et, par ses lois, il a contribué à créer un type de
relation qui était presque inconnu avant cette législation : le chacun chez-soi
et on se voit pour le nécessaire : l'amour.