971030
par François Brooks
Drôle
d'éthique que celle de la personne qui attache son chien aux barreaux de sa
galerie pour se permettre de sortir le soir et d'éviter que celui-ci ne fasse
des dégâts dans la maison. Pendant son absence, il condamne son chien à gémir
d'ennui et ses voisins à l'endurer toute la soirée. Pourtant, cette personne croit
aimer son animal familier et être un voisin acceptable alors que son
comportement ne démontre que le souci d'elle-même et du mépris pour son voisin
et son chien.
Drôle d'éthique que celle de la personne
qui laisse son “gentil” chien sans laisse se promener à ses côtés et qui va se
frotter amoureusement sur vos pantalons propres et vous renifler le sexe “sans
mauvaises intentions”. N'allez surtout pas lui rappeler son devoir social de
tenir son chien en laisse ; il va vous invectiver, indigné que vous ne reconnaissiez
pas à son bien-aimé toutou — qu'il appelle “son bébé” — les mêmes droits que
lui accordent ceux de la charte des droits et libertés de circuler où et comme
bon lui semble.
Drôle d'éthique que celle d'une personne
qui accompagne attentivement son chien d'un poteau à l'autre pour lui laisser
le plaisir de renifler la trace des déjections laissées par ses pairs et d'y
rajouter la sienne. Ce maître — on se demande qui est le maître — va
curieusement devenir distrait lorsque le “vrai maître” va se mettre à déféquer
sur la place publique y déposant son étron dans lequel tout un chacun va
marcher, ni vu ni connu. J'ai même déjà vu un maître écraser les excréments de
son chien en réponse à mon regard désapprobateur et celui d'autres passants.
Voulait-il s'autopunir, nous montrer que mettre le pied dans un tas de marde
“c'est pas la fin du monde” ou faire disparaître le tas en l'étalant sur le
trottoir? Pour ma part, qu'ils se passent entre humains ou avec des animaux,
les comportements scatophiles me répugnent.
Drôle d'éthique que celle du propriétaire
d'un chien dressé à vous donner la frousse de votre vie en vous manifestant
soudainement sa rage au travers de la grille de sa clôture alors que vous
circulez paisiblement sur le trottoir ou dans votre cour. Ce chien enragé,
sorti de nulle part, vous arracherait la peau pour peu qu'une seconde
d'inattention vous mette à sa portée. Il n'en faut pas plus pour faire de vous
un misanthrope du monde canin.
Drôle d'éthique que celle de la personne
qui laisse son chien aboyer jour après jour à proximité des fenêtres de ses
voisins en se donnant bonne conscience de penser que c'est tout de même pas de
sa faute si, en ville, on permet que les maisons soient bâties si rapprochées.
Ce voisin au bon cœur est répugné devant votre suggestion “inhumaine” de faire
dévocaliser son chien mais il n'a plus aucun sentiment d'humanité lorsque vous
lui parlez de votre sommeil et de votre tranquillité perdus à cause des
aboiements et gémissements de son chien. D'un air froid, il va vous renvoyer en
vous disant que si vous n'êtes pas content, vous pouvez toujours recourir à un
avocat.
Oui, drôle d'éthique que celle qui vous
mène à tellement aimer votre chien que vous en être amené à perdre toute votre
civilité envers vos semblables. Votre toutou bien-aimé en dit beaucoup sur ce
que vous êtes. C'est triste de constater avec quel manque de pudeur le meilleur
ami qu'est votre chien révèle le peu que vous êtes. On disait : tel père, tel
fils ; force nous est de constater qu'aujourd'hui c'est devenu : tel maître tel
chien.
Certains m'ont même accusé de ne pas
aimer les chiens, comme s'il était honteux de pouvoir adresser de la répugnance
envers le comportement de ces petites bêtes innocentes. Comme de la personne et
de son comportement, faut-il encore rappeler qu'il y a une différence entre ce
que l'on fait et ce que l'on est? J'aime les chiens et tous les animaux. Mes
reproches s'adressent uniquement à leurs comportements et à ceux de leurs
maîtres qui croient que l'amour qu'ils ont pour leur chien les dispense de
rester civils. Le maître ne doit-il pas être responsable de ce que son chien
fait? C'est dommage, ils devront se contenter de l'amour de leur chien
puisqu'ils n'arrivent pas à gagner celui de leurs concitoyens. L'adage dit : « Qui
n'aime pas les bêtes n'aime pas les hommes ». Moi je dis : « Qui ne peut être aimé des hommes,
peut toujours se contenter de l'amour de son chien ».
J'aime les chiens mais mon amour n'est
pas inconditionnel. Mon amour a de la valeur, c'est pourquoi je ne l'adresse
pas gratuitement. J'ai beaucoup d'admiration pour les chiens dressés qui
rendent de nombreux services à leurs maîtres et à la société. Je pense aux
chiens guides pour aveugles, aux chiens pisteurs pour les policiers, aux chiens
de chasse pour les chasseurs, aux chiens qui gardent les troupeaux, au chien
affectueux pour l'enfant ou le vieillard, au chien gardien en qui on peut avoir
confiance etc. Mais, tout comme je suis peu enclin à aimer les enfants qui
manquent d'éducation et ne savent pas se conduire correctement en société, je
ne saurais aimer les chiens et encore moins les maîtres qui négligent leurs
devoirs de citoyens et qui laissent leurs chiens faire toutes ces choses qui
susciteraient l'horreur si elles étaient faites par un être humain.
Arrêtez-vous un instant à imaginer ce qui se passerait si, comme on le voit
faire couramment par de nombreux chiens, quelqu'un se mettait à chier sur le
trottoir devant tout le monde et partait ensuite en laissant son tas sur place
comme si de rien n'était? Comment réagirait-on si j'allais me coller sur les
belles femmes qui passent sur le trottoir et renifler leur entrejambe? Que
ferait-on si un passant s'arrêtait ici et là pour pisser sur tout ce qui tient
lieu de poteau? Comment se fait-il que notre société réagisse si peu à la vue
de ces gestes qui sont devenus courants de la part de tant de chiens? Si notre
société a construit un réseau d'égout et des installations sanitaires dans
chaque maison, comment se fait-il que, lorsqu'il s'agit des chiens, que nous
acceptions des conditions sanitaires semblables à celles qui étaient courantes
en Europe au Moyen Âge? Devra-t-on instituer le dressage obligatoire et le
suivi de chaque chien (et de chaque maître)? Comment se fait-il que la ville de
Montréal n'ait qu'un seul inspecteur dans sa brigade canine pour tout son
territoire?
Nous ne faisons plus
d'enfants, nous faisons des chiens. Nous les aimons tellement qu'il n'est pas
rare qu'on les désigne comme notre “bébé”, notre “fille” ou notre
“ti-gars” ; on leur donne même notre nom de famille. Si nous acceptons
d'élever nos chiens de telle sorte qu'ils jouissent de certains privilèges
familiaux, avec leur nombre croissant, ne devrons-nous pas obliger les “pères”
et les “mères” à les élever (je ne peux plus dire “les dresser”) de telle sorte
qu'ils se conforment à un comportement social acceptable? N'est-il pas temps de
parler d'éthique canine?