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La détérioration du français écrit et parlé

par François Brooks

élève du

 

son commentaire

 

Sec. V :

    Si on écrirait com' qu'on parl'rait ben... y'aurait plein d'fautes tout l'temps pi le mond' y parl'rait mal aussi là ...

 

Sec. V :

    Par exemp' si t'écrirait salut ben ... mêm' si tu l'écrirait pas d' “t” ben le mond' y comprendrait que c'est salut qu'tu veux dire.

 

Sec. IV :

    Comme les exceptions dans les verbes, à' place ... veux , à' place de mett' un “x” t'é y' m' senb' on pourrait mett' un “s”, ça f'rait pareil.

 

Sec. V :

    Si t'écris un mot pi e... ça t' prend un “a” “i” pi là e... t'écris “e” accent aigu, ça va faire “é” [le son] pareil.

 

Sec. IV :

    Si mettons, on accord'rait pas, pi on mettait pas de “s” pas de “e” y nous comprendraient pareil.

 

 

Voici les commentaires de quelques élèves de niveau Secondaire IV et V recueillis par les journalistes de Radio-Canada dans le cadre de l'émission Enjeux diffusée hier. Ne leur a-t-on pas raconté l'histoire de la convention syndicale de la CSN pendant les années 80, dans laquelle une simple petite virgule avait été omise au contrat, et qui avait coûté un million de dollars au gouvernement? Oui mes enfants, une simple erreur de ponctuation dans vos écrits peut en changer complètement le sens ; alors imaginez si vous vous mettez à changer l'orthographe et la façon d'accorder les mots, à plus forte raison, on risque d'interpréter votre pensée complètement différemment de ce que vous vouliez communiquer comme message. Vos commentaires sont pertinents mais ils démontrent que vos professeurs de français ont failli à la tâche de vous faire comprendre l'importance des nombreuses nuances du français écrit. C'est à se demander s'ils les comprennent eux-mêmes. D'ailleurs, même dans votre français parlé, il est évident que votre maîtrise de la langue vous empêche de communiquer clairement votre pensée.

 

Comparons. La même dictée a été administrée à des finissants du CEGEP et à une classe de finissants de Secondaire V, à la Polyvalente Armand Corbeil de Terrebonne. (Prof.: Isabelle Fortin) Cette dictée de 234 mots courants en quatre paragraphes ne comportait aucun piège. Les participants étaient volontaires. Au CEGEP, plus de 13 fautes en moyenne. Au secondaire, une moyenne de 25 fautes par élève.

 

Vous dites que le français s'est détérioré? Pas du tout. Dans les années soixante, on éduquait 15,000 élèves pour tout le Québec. Maintenant, avec l'instruction gratuite et obligatoire, on en éduque 150,000. Nous assistons tout simplement à une nivellation par le bas. À l'époque, seul les plus doués pour les connaissances intellectuelles étaient sponsorisés. Les autres étaient doués pour autre chose, on le reconnaissait et on réorientait l'élève rapidement, dès l'adolescence vers un travail qui lui convenait. Ainsi, les menuisiers en herbe devenaient apprentis, et dès l'âge adulte, ils étaient déjà compétents, sans, comme aujourd'hui, avoir dû passer 12 ans à s'emmerder avec la littérature l'histoire ou l'algèbre.

 

Tout le problème est né d'une lutte des classes où l'ouvrier manuel était déconsidéré socialement en regard du travailleur intellectuel. Le travailleur intellectuel jouissait d'une surenchère de reconnaissance parce que, disait-on, il possédait le savoir qui lui procurait du pouvoir. Nos élus d'alors, représentants des masses sociales de la majorité moins instruite, se sont fait confier le mandat d'imposer l'instruction gratuite à tous les enfants et adolescents quelles que soient leurs aptitudes pour l'instruction. On pensait ainsi — vieux relent de la Révolution Française : Liberté, Égalité, Fraternité — rendre équitables les chances de chacun face à leur avenir. Quelle naïveté! On a dépensé les deniers publics à inculquer des notions académiques à nombre d'enfants qui n'avaient pas la bosse des études, alors qu'on aurait pu leur enseigner un métier qui les aurait intéressés et pour lequel on manque actuellement de travailleurs. Nous connaissons tous aujourd'hui, l'histoire du docteur d'université qui cache son diplôme pour augmenter ses chances d'obtenir un emploi lorsqu'il postule pour un poste qui n'exige qu'une maîtrise.

* *  *

Mais revenons à nos moutons. À quoi sert le français et pourquoi, en cette ère libertaire, devrions nous nous astreindre à apprendre les règles qui régissent son bon usage? Il me semble que les cinq élèves de Secondaire IV et V nous posent tous cette même question par leurs commentaires que j'ai rapportés au début du présent article.

 

Je vais tenter de leur répondre à ma façon. D'abord, il faudrait dire que le français est un outil comme un autre pour traduire sa pensée. On peut aussi dessiner, sculpter, danser, mimer etc. Le français est largement répandu et utilisé. Il faut aussi dire que c'est un outil traître puisqu'il démontre la confusion d'un esprit lorsque ce dernier a du mal à formuler ses paroles. Cet outil, comme tout outil complexe, demande une sorte d'ascèse fidèle et soutenue pour parvenir à sa maîtrise. On imagine mal un guitariste qui pourrait lire une portée musicale et la jouer avec aisance sans jamais pratiquer ses gammes. Ainsi, pour bien connaître notre esprit, faut-il examiner et tester les mots qui le traduisent. Enrichir son vocabulaire, c'est comme se donner la possibilité de jouer un compositeur supplémentaire. Apprendre une autre langue, c'est comme apprendre à jouer d'un autre instrument.

 

Connaître la grammaire, c'est savoir utiliser et reconnaître les nuances de la pensée. Comparativement à d'autres langues, la langue française a un très haut niveau d'entropie. Les accords d'une phrase sont autant de répétitions d'une même idée et ces répétitions nous assurent de la compréhension de notre interlocuteur.

 

Certains commentaires des élèves nous disent : “ Pourquoi est-ce si compliqué? J'ai de la difficulté à comprendre telle ou telle règle. Ne pourrait-on pas éliminer ces difficultés?” Bien sûr, ce serait beaucoup plus facile si on écrivait comme on parle. Mais, sans nos yeux pour lui confirmer que l'on a compris le sens de ses paroles, notre interlocuteur serait bien en peine de savoir si son message est bien passé. Qu'en adviendrait-il des homonymes? Par exemple, foie, foi et fois désignent, tout comme sot, sceau et saut trois choses distinctes. Si je vous dis : “J'ai perdu mes vers.” Vous comprendrez que je n'ai pas perdu mes verres. Par son saut, le sot a perdu son sceau veut dire autre chose que Par son sceau, le sot a perdu son seau. Comme vous pouvez le constater, le français écrit, comparé au français parlé, est un outil beaucoup plus nuancé et qui permet de traduire la pensée d'une personne sans qu'elle ait en retour le feed-back constant de son interlocuteur pour lui confirmer que ce dernier a bien saisi le contexte. Si nous voulons communiquer notre pensée sans la présence immédiate de la personne à qui on s'adresse, il nous faut un autre outil que la parole. Sinon, le contenu de notre communication restera au niveau des boîtes vocales : “Bonjour, c'est moi, rappelle-moi au 321-1234.”

 

L'écrit nous permet de devenir notre propre interlocuteur, et ainsi vérifier, avant même de transmettre notre communication, si les mots que l'on a utilisés pour traduire notre pensée ne font pas plutôt la trahir. Cet auto-feed-back nous permet de nous corriger et à coup sûr, de transmettre le réel contenu de notre pensée.

 

Encore faut-il savoir lire. Et je vous accorderai volontiers que trop nombreux sont les écrits produits par des esprits si ennuyeux — et j'espère ne pas en faire parti trop souvent — qu'ils sont aptes à nous décourager de lire pour toute notre vie. Mais je puis vous assurer que l'ascèse en vaut la peine puisqu'elle vous permettra de voyager dans le temps, autant passé que futur : Dans le passé, en vous mettant en contact avec les plus grands esprits que l'humanité ait connus tels Lao-zi, Socrate, Archimède, Léonard de Vinci, René Descartes ou Albert Einstein. Et dans le futur, en vous mettant en contact, par vos écrits, avec tous ceux qui s'intéresseront aux sujets qui animent votre esprit aujourd'hui.

 

L'écrit doit aussi être maîtrisé pour une raison pratique. C'est ce que j'appellerai une raison de dyslexie. Imaginez que les gens se permettent d'écrire aux sons. Ainsi, le même texte pourrait être écrit de dizaines de façons différentes. Présumons que ça n'affecterait pas la compréhension des lecteurs. Mais, comme pour un pianiste qui devrait réapprendre ses gammes à chaque fois qu'il voudrait jouer le même morceau sur des pianos différents — lesquels auraient les notes ordonnées d'une façon différente d'un piano à l'autre — la lecture du même texte orthographié différemment exigerait, pour le même lecteur, un travail intellectuel constant à chaque fois qu'il voudrait relire ce texte. Il devrait à chaque fois refaire le déchiffrage du texte, c'est-à-dire l'association correcte entre la nouvelle forme du mot et l'idée que celui-ci représente. La lecture deviendrait une tâche ardue et pénible. Il aurait de même grande peine à comparer deux textes identiques, puisqu'ils seraient écrits différemment. La standardisation de l'écriture d'une langue permet au texte de devenir le transparent à travers lequel deux esprits communiquent. Lorsque maîtrisé, le langage écrit tombe dans l'inconscient et disparaît pendant le transfert des idées d'un esprit à l'autre. Ainsi, tout comme le pianiste joue avec aisance une mélodie dont les auditeurs jouissent, celui qui maîtrise sa langue perd conscience qu'il est en train de lire ou d'écrire et il jouit de s'évader de la solitude en rentrant directement en contact avec l'écrivain passé ou son éventuel lecteur.

 

Bien sûr, ce serait plus simple si on pouvait réinventer l'écriture de sa langue et l'adapter à ses caprices personnels ; surtout que parfois, il nous semble que ce soit plutôt la langue qui soit capricieuse et nous qui ayons raison. Mais ainsi, l'utilité de cet outil disparaîtrait pour faire place à une sorte de tour de Babel où chacun écrirait selon sa bonne logique. Nous devrions constamment porter attention à la signification des façons d'orthographier que les autres utilisent, pour les comprendre. Nous passerions nos vies à décoder les significations des mots utilisés par ceux avec qui nous voudrions communiquer. Je vous laisse imaginer le niveau rustique au-dessus duquel nos communications écrites ne pourraient pas s'élever. Et s'il en était ainsi, la forme de communication écrite évoluerait si rapidement qu'il faudrait en permanence des armées de traducteurs pour nous fournir la signification des écrits des grands esprits. Chaque génération aime bien réinventer un nouveau vocabulaire pour exprimer les mêmes idées parce qu'elle a l'impression d'être unique et que ses émotions ne peuvent être comprises, comme si l'être humain était différent d'une génération à l'autre. Le grand-père, même contemporain à son petit-fils, ne pourrait pas le comprendre sans l'aide d'un traducteur alors que je peux lire et comprendre aujourd'hui un texte écrit en français par René Descartes sans trop d'efforts. Merci aux gardiens de la langue et à l'Académie Française de me permettre d'entrer en communication directement avec ce grand esprit qui vivait en France et en Hollande il y a 400 ans.

 

L'enjeu est le suivant, vous avez le choix. Ou bien vous refusez d'apprendre le français écrit et essayez de l'adapter selon vos caprices personnels pour vous faciliter les choses. Vous serez alors obligés de vous adapter à tous les caprices de vos interlocuteurs, et cela pour toute votre vie puisque de nouveaux interlocuteurs continueront à naître et auront le droit, tout comme vous l'aurez eu, de vous imposer leurs caprices linguistiques. Ou bien vous vous astreignez pendant quelques années à apprendre l'usage du français standard pour ensuite le maîtriser et le reléguer dans votre inconscient. Vous ne voudriez pas passer votre vie à apprendre à écrire? j'en suis certain. C'est déjà assez plate comme ça! Alors, il vous faudra, pendant quelques années, faire quelques efforts et mettre vos caprices linguistiques de côté. René Descartes, pendant son solipsisme (doute radical) s'était astreint à suivre quelques règles provisoires en attendant des certitudes et l'une d'elles était celle-ci : “...changer mes désirs [plutôt] que l'ordre du monde”. Moi je dirais : “Pourquoi réinventer la roue? On n'a qu'à étudier son fonctionnement et l'utiliser selon ses besoins propres.” Vous êtes chanceux, vous au moins vous n'aurez pas à supporter les coups de règle sur les doigts que m'infligeait ma maîtresse de 6e année pendant la dictée lorsqu'elle voyait une faute en circulant dans les rangées. J'étais tyrannisé et terrifié. Je détestais le français. Par chance, j'ai eu de meilleurs professeurs par la suite. Vous avez aujourd'hui toutes sortes de moyens de pratiquer vos “gammes” et, avec l'ordinateur, ça peut parfois être très agréable. Mais vous devrez accepter de vous astreindre à un tant soit peu de discipline. Rien ne vient sans peine. Êtes-vous d'accord de travailler pour arriver à voyager dans le temps?