970926
par François Brooks
Je
suis né dix ans après la fin de la deuxième guerre mondiale et, en 42 ans, je
n'aurai jamais connu la guerre. Quelle chance j'ai eue! La guerre sépare les
époux ; elle fait perdre aux pères le contact avec ses enfants ; elle détruit
les foyers et prive la mère des revenus qu'apporte le père. Lorsque le père
revient, les enfants ont vieilli et ils ne sont plus reconnaissables ; les
époux sont comme des étrangers ; les vies se sont refaites. Non, je n'aurai pas
eu besoin de la guerre pour vivre tout ça ; le féminisme a fait les mêmes
ravages dans ma vie sans tuer personne, si on excepte les suicides ou les
suicides élargis à la famille.
Le féminisme a été une drôle de guerre ;
il a été notre guerre. Je me demande qui a gagné cette guerre mais je sais bien
qui l'a perdue : ce sont les familles. Avec les vieillards oubliés dans les
centres d'accueil, les enfants donnés aux garderies et aux écoles — la clef au
cou — , ce sont maintenant les deux parents qui sont devenus absents pour se
mettre au service du dieu consommation. Et lorsqu'ils sont réunis sous le même
toit pour quelques heures, les membres d'une même famille se précipitent pour
faire le quotidien à toute vitesse. Sinon, ils se divertissent devant chacun
son écran.
Qu'y avez-vous gagné mesdames? Je
voudrais bien le savoir. L'égalité? Peut-être. Oui. Vous portez désormais des
pantalons. Vous fumez autant que les hommes et vous buvez autant de café et
d'alcool. Vous travaillez, je veux dire, vous vendez vos vies maintenant, comme
les hommes. Vous participez à la société automobile comme eux et vous êtes en
train de les rejoindre dans les statistiques sur les maladies cardiaques et
autres. Bientôt vous serez aussi égales dans celles de la longévité peut-être.
Après tout, à quoi vous servirait-il de vivre plus longtemps que les messieurs
; vous n'aurez plus besoin de ces années pour raconter à des petits enfants
absents les mille anecdotes familiales que vous n'aurez pas vécues avec leurs parents.
C'est à ce moment-là que vous toucherez le salaire de votre égalité et que vous
vous demanderez peut-être si votre féminisme n'a pas été un exercice d'égalitarisation par le bas. À vous suivre dans votre
mouvement, vos filles endettées ont déjà toutes les misères du monde à générer
vos petits enfants avant que leur horloge biologique leur dise, à 40 ans, que
c'est trop tard.
Oui, notre guerre a tué. Elle a tué la
famille et les enfants dans le ventre de combien de vos filles avant même
qu'ils naissent. Quelle guerre propre! La guerre féministe-consommatrice de la liberté égalitaire. Vous pourrez
toujours vous déculpabiliser en pensant que votre noble cause nous a évité les
malheurs de la surpopulation mais dans notre pays sous-peuplé, vous ne bernerez
que vous-mêmes et vous jalouserez peut-être ces belles familles d'ailleurs qui
sont venues chez nous reprendre le drapeau de la famille.
C'est drôle de penser que
les guerres ont le plus souvent pour but d'empêcher l'invasion d'un pays par
des étrangers, alors que dans la nôtre, ce sont les étrangers qui nous
fournissent, par l'immigration, les familles nécessaires à renouveler celles
que les féministes-consommatrices ont décimées. Je les aime ces nouveaux
arrivants. Puissent-ils nous apporter un répit et de nouveaux espoirs dans
notre guerre insensée!