970922
par François Brooks
Le secret du bonheur et de la vertu, c'est d'aimer ce qu'on est obligé
de faire.
(Aldous Huxley Le meilleur des mondes)
Est-ce que je peux prendre une minute pour
emmerder copieusement tous ceux qui, dans les médias ou ailleurs, se targuent
de faire un métier qu'ils aiment? Comme s'ils avaient du mérite à être heureux.
C'est comme s'ils disaient à tout venant : « Faites comme moi, arrêter de faire
ce qui vous déplaît ; soyez heureux, la vie vous sera tellement plus agréable!
» Comme si on avait besoin de se faire convaincre tout le temps que vivre riche
et en santé est mieux que de vivre pauvre et malade.
Est-ce que je pourrais leur faire
remarquer, comme ça en passant, que ceux qui font leur ménage, nettoient leur
chiottes, les servent dans les restaurants et font les mille autres métiers
nécessaires au bien-être de la société, auraient peut-être davantage de mérite
parce que, justement, ils font ces choses indispensables dans l'anonymat et à
l'encontre de leur petit bonheur personnel et de leur réalisation individuelle.
J'estime qu'on pourrait se passer bien
plus facilement d'une Benoîte Groult qui, recevant un compliment sur sa
vitalité et sa jeunesse apparente alors qu'elle a 77 ans, se targue d'être
jeune parce qu'elle a le mérite de “faire ce qu'elle aime” que de l'électricien
qui travaille dans la modestie de l'anonymat à l'usine de filtration des eaux
sur le quart de nuit et qui n'aime pas ça mais qui le fait quand même parce
qu'il a, malgré tout, la dignité de travailler pour se faire vivre lui et sa
famille.
On dirait qu'ils
s'ennuient dans leur solitude de riches-heureux-et-en-santé et qu'ils nous implorent d'aller les rejoindre dans leur
bonheur paradisiaque. À moins que leur bonheur ne soit si factice qu'ils aient
besoin de le crier à tout venant pour se convaincre eux-mêmes qu'il est réel.
Qu'ils soient heureux, soit. Qu'ils éprouvent le besoin de le dire, soit ;
c'est humain de vouloir partager son bonheur. Mais de se le faire dire comme si
nous étions bêtes de nous contenter de si peu ; comme si on se faisait montrer
un lingot d'or par une personne qui nous blâmerait ensuite de ne pas en avoir.
C'est répugnant! Ces gens de peu de pudeur et de peu de modestie me donnent
envie de foutre la merde dans leur vie juste pour le plaisir de savourer leur
déconvenue et pouvoir à mon tour leur administrer la même médecine. Ainsi, je
pourrais dire comme eux : « Mais comment se fait-il que vous n'ayez pas choisi de
vivre riche et en santé, tout comme moi? »