970908
(Suite à l'émission d'ouverture de la nouvelle saison à la télévision)
par François Brooks
Un auditeur admiratif avait envoyé, sous
forme d'une question, son appréciation du talent de monsieur Blanchard : «
Comment faites-vous, monsieur Blanchard pour être si méchant dans la série Omerta et si gentil dans la série Virginie? » Nous avions tous compris que
l'auditeur voulait le féliciter pour son interprétation qui lui semblait très
convaincante. Mais cette question contenait aussi un piège dans lequel monsieur
Blanchard est tombé immédiatement. Il aurait pu simplement répondre : « Merci.
J'estime que votre question est un compliment et je l'apprécie. Je travaille
beaucoup pour interpréter mes personnages et je suis heureux d'apprendre que
mes efforts ne sont pas inutiles. » Ou bien, sur le ton de l'humour, il aurait
pu répondre en boutade, quelque chose comme : « Ce sont deux rôles qui me
permettent d'équilibrer le Yin et le Yang de mon moi profond, si je n'en jouais
qu'un seul je m'en sentirais déséquilibré. » Mais non, il a répondu
présomptueusement : « Hé bien, ça vous prouve mon talent de comédien! » C'est
dommage, il a manqué une belle occasion de nous faire voir une qualité
admirable : la modestie.
Cette émission m'a laissé sur un certain
malaise. J'ai vu beaucoup de gens talentueux qui étaient imbus de leur personne
et qui passaient leur temps à se renvoyer l'ascenseur. Je me suis senti minable
de penser que j'aurais probablement fait la même chose si j'avais été à leur
place.
Tout flatteur vit aux dépens de celui qui
l'écoute ; c'est une maxime bien
connue. Mais de quoi peut donc se nourrir le flatteur des stars. Je consomme
moi-même beaucoup d'émissions télévisées, de films, de livres et de disques. Il
m'arrive parfois d'avoir le goût de flatter l'ego de mes stars personnelles. Je
pense que c'est parce que je me nourris de leurs émotions sans lesquelles ma
petite vie plate et sécuritaire me semblerait bien monotone. Ils m'apportent
joie, peine, amour, haine etc. Ils apportent l'eau au moulin de ma réflexion ;
ils enflamment mon esprit. Bref, ils animent mon âme. Ma muse a besoin de la
leur pour s'inspirer.
Mais ce sont souvent des gens
hermétiques, des êtres gonflés d'orgueil avec parfois des personnalités
exécrables. Et pour tout dire, je les jalouse parce que leur métier leur permet
de toucher deux salaires alors que le mien ne me permet d'en toucher qu'un
seul. Je jalouse la gloire dont ils profitent. Ce salaire supplémentaire leur
permet de prolonger leur existence au travers des yeux et des oreilles des gens
qui les écoutent et il leur donne la possibilité se perpétuer par une éventuelle
renommée à venir.
Pourtant, je n'envie pas
l'envers de leur médaille. Ils ont des textes à apprendre par cœur, ils n'ont
pas la sécurité d'emploi et ils peuvent être critiqués. C'est pourquoi je me
contente de mon petit emploi sécuritaire d'électricien d'éclairage pour la
ville de Montréal. Et si parfois il m'arrive de manquer de modestie, je ne
risque pas d'avoir des milliers de personnes pour le remarquer et qui
pourraient m'infliger la honte en me le disant. Oubliez ce que j'ai dit sur
vous monsieur Blanchard. Bravo monsieur Blanchard pour votre talent de
comédien!