970813
par François Brooks
Vivre, c'est naître
lentement. Il serait un peu trop aisé d'emprunter des âmes toutes faites!
Saint-Exupéry (Antoine
de), Pilote
de guerre (Gallimard).
Le
mot âme se dit anima en latin et il semble référer quelque chose d'animé, qui
bouge. Quand j'étais petit, on parlait souvent de l'âme et ça m'intriguait. On
disait que c'est elle qui devait aller au ciel ou en enfer ou dans les limbes,
c'était selon... Je trouve amusant de penser, aujourd'hui, qu'on ait pu me faire
croire qu'une âme pouvait exister sans un corps quelconque à animer et ailleurs
que dans la mémoire des gens. Si l'âme c'est l'animation de chaque chose, même
les arbres en ont une, puisqu'ils bougent. Ils poussent, grandissent et même
parfois, le vent les anime.
Je pense que l'âme, en soi, toute seule
ne peut pas exister. C'est un concept qui, hors contexte, n'a pas de sens. Je
vois le corps comme une machine complexe et, comme une machine s'anime lorsque
l'on met sa switch à on, notre corps aussi s'anime progressivement à mesure que la
gestation du fœtus avance. À mesure que la construction d'une machine avance,
on peut l'animer par section. On dit que l'on “teste ses composantes”. De la
même manière, durant sa gestation et sa croissance, le fœtus humain s'anime
progressivement au rythme de sa maturation. L'âme, disait la bible, c'est le
souffle de Dieu sur Adam après qu'il fut créé. Ce souffle, c'est la pulsion
électrique nerveuse qui se propage dans tout le corps.
Il y a cependant une différence d'avec la
machine mécanique. C'est que s'il y a eu une switch à mettre à on, c'est, selon la Genèse, au moment d'insuffler la vie à Adam
seulement. Pour tous ceux qui sont venus ensuite, la chaîne de la vie a été
permanente. En admettant qu'Adam et Ève aient existé, la trame de la vie d'eux
à moi fut permanente. De spermatozoïde et ovule à fœtus à maturité, jamais la
mort n'est arrivée ne serait-ce qu'une seule fois. Ma vie est en lien direct
avec celle du premier humain connu et l'espèce n'a jamais connu la mort ; seul
l'individu que nous sommes la connaîtra un jour. Mais encore, pour connaître
quelque chose, faudrait-il être vivant. La mort est inconnaissable.
Peut-être est-ce pour cela que l'on dit
que l'âme est immortelle? Ainsi, elle survit dans la mémoire de ceux qui nous
ont connus et qui se souviennent de nous mais aussi, dans les traces que nous
aurons laissées dans la matière et même dans les mouvements que nous aurons
initiés de notre vivant. Si l'effet papillon existe, ma mémoire, de la même
manière, aura laissé une trace qui sera permanente dans le tourbillon de la vie
à venir. Une trace peut-être négligeable, pour l'âme modeste que je suis, mais
réelle. D'autres grandes âmes survivent à chaque fois que nous nous en
rappelons, mais encore faut-il nous en rappeler avec toute la modestie qu'elles
nous inspirent. Sans quoi nous risquerions de tomber dans le piège de
l'orgueil.
L'esclave fait son orgueil de la braise
du maître.
Saint-Exupéry (Antoine
de), Terre
des hommes