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Libre pensée, autoroute électronique et besoins fondamentaux

par François Brooks

La libre pensée est la plus grande richesse que s'est donnée notre civilisation occidentale. C'est elle qui, en abolissant les concepts de bien et de mal, a pu permettre l'évolution par exemple de l'informatique. S'il fallait que l'informaticien qui teste son programme doive tenir compte d'une variable aussi aléatoire que le diable qui pourrait agir de façon magique dans l'exécution de son programme, il n'en sortirait jamais. Ça m'amuse toujours de voir des sociétés religieuses utiliser l'informatique comme support pour la diffusion de croyances qui prétendent que Dieu et Satan existent. Alors que la base même de l'informatique repose sur des certitudes binaires, imaginez le bordel si Satan, par un petit coup de magie, décidait d'inverser quelques-uns et quelques zéros. Le message serait-il inversé ou tout simplement illisible? Je vous laisse imaginer...

 

La libre pensée est souvent une richesse inconnue de ceux qui en disposent. Il y a un temps hélas oublié, (je dis hélas parce que si on avait la mémoire plus longue, on serait davantage conscient de cette richesse dont nous disposons) ou on pouvait en tuer un autre, ou pire, le torturer simplement parce qu'il ne croyait pas en Dieu. Hé les p'tits amis, Galilée a failli y passer! Il a du se rétracter. Galilée, ce grand qui a jeté les bases de la mécanique céleste. Ça nous a permis d'aller sur la lune et de mettre en orbite les satellites autour de la terre. Je vous ferai remarquer, en passant, que ces satellites sont aujourd'hui indispensables à notre survie. En effet, de nombreux satellites de communication nous permettent de surveiller la dégradation des écosystèmes terrestres et d'y élaborer des solutions. Ils nous permettent bien sûr, de téléphoner tante Annette partie séjourner à Bangkok ou Londres mais aussi, de communiquer à l'étranger nos commandes d'oranges de Floride, de salade de Californie ou de nectarines marocaines. Cette télécommunication dont, pour l'instant, l'essentiel est de nous apporter une grande variété de films ou d'émissions de télévision, demain, par l'autoroute électronique, nous fera voir combien elle est indispensable à notre survie.

 

À venir jusqu'à il y a quelques années, je croyais que mes besoins fondamentaux de limitaient à trois choses : la nourriture, le vêtement et le gîte. Je pense qu'il n'y a pas à expliquer longtemps pour tomber d'accord qu'une lacune au niveau d'un ou de plusieurs de ces trois besoins mets sérieusement en péril notre survie. Il n'y a qu'à observer les clochards, les vrais, dans les rues de Montréal ou ailleurs.

 

Mais il m'a fallu un peu plus de maux de tête, de nausées, d'inconfort olfactif et d'études sur le cancer du poumon, pour comprendre qu'un de mes besoins vitaux, je dirais même le premier, est celui de l'air que je respire.

 

Cette réflexion m'amène à penser que j'ai un autre besoin fondamental : celui de communiquer. Et ça, ça m'a demandé un peu plus de réflexion. Pour tant, ce n'est pas d'hier qu'on utilise des techniques de déprivation sensorielles. Pour ramener à la raison l'interné, on le coupe de la société. On met le prisonnier récalcitrant au trou ; quel puissant moyen de l'assujettir! Je suis convaincu, que si on coupait le câble aux abonnés de longue date, la majorité crierait au meurtre alors que celui-ci ne répond pas à un des trois besoins fondamentaux cités plus haut. Aie!, ça s'rait t'y que quelqu'un aurait eu l'idée géniale qu'un autre de nos besoins fondamentaux, est de communiquer? Et on a eu aussi l'idée non moins géniale de l'exploiter. J'ai eu le câble quelque temps et à voir la profusion d'émissions à la con qu'on me servait, je n'ai pas eu de misère à m'en défaire. Mais, ayant entendu parler récemment de l'autoroute électronique, j'ai compris que ça ne serait pas long pour que les services proposés me deviennent indispensables.

 

Nous sommes tous au courant de la dégradation de la planète à laquelle nous contribuons parfois contre notre propre gré. J'habite tout près de l'entrée du pont Jacques Cartier et je vois tous les jours des pauvres gens qui doivent faire du “bumper” à “bumper” pendant une heure, soir et matin, dans une voiture qui consomme du combustible fossile, lequel viendra un jour à manquer puisque les réserves de pétrole, au rythme de la consommation actuelle, vont s'épuiser dit-on, d'ici 50 ans. Bien sûr, je serai mort, vous aussi, peut être mais pour les autres, qu'arrivera-t-il si on ne maîtrise pas encore les technologies de remplacement?

 

Et si l'autoroute électronique me permettait de travailler chez-moi, de faire mes emplettes d'épicerie hebdomadaire à partir de ma télécommande et que je puisse avoir accès à mes comptes en banque via une carte à puce qui pourrait stocker les 100$ avec lesquels je paierais mon épicerie... WOW! ... est-ce que je viens de me trouver tout à coup un besoin fondamental? Ça pourrait aussi être une solution fondamentale.

 

Certains voient venir avec appréhension l'ère de l'autoroute électronique mais je ne suis pas de leur avis. Je pense que cette ère pourrait, d'un seul coup, solutionner plusieurs de nos problèmes. À commencer par le besoin chronique de se déplacer. Dans Le petit prince, Antoine de Saint-Exupéry a bien illustré le problème dans la scène de l'aiguilleur :

 

— Bonjour dit le petit prince.

— Bonjour dit l'aiguilleur.

— Que fais-tu ici? Dit le petit prince.

— Je trie les voyageurs par paquets de mille, dit l'aiguilleur. J'expédie les trains qui les emportent, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche.

Et un rapide illuminé, grondant comme le tonnerre, fit trembler la cabine d'aiguillage.

— Ils sont bien pressés, dit le petit prince. Que cherchent-ils?

— L'homme de la locomotive l'ignore lui-même, dit l'aiguilleur.

Et gronda, en sens inverse, un second rapide illuminé.

— Ils reviennent déjà? Demanda le petit prince...

— Ce ne sont pas les mêmes, dit l'aiguilleur. C'est un échange.

— Ils n'étaient pas contents là où ils étaient?

— On n'est jamais content là où on est, dit l'aiguilleur.

Et gronda le tonnerre d'un troisième rapide illuminé.

—Ils poursuivent les premiers voyageurs? Demanda le petit prince.

 

C'est une chance qu'on s'identifie à notre automobile. Symbole phallique pour certains : “Grosse Corvette, petite quéquette”. C'est aussi un symbole de statut social ; qui n'est pas ébahi de voir passer une Rolls Royce dans sa rue? Parce qu'on s'en débarrasserait, avec tous les ennuis qu'elle nous cause : trous dans notre budget, refus de démarrer à -30° au moment où on en a le plus besoin et puis en plus, on n'a même pas le droit de s'en servir lorsqu'on est en état d'ébriété. Mais, allez savoir pourquoi, on ne veut pas habiter près du quartier où on travaille. Il y a aussi qu'avec nos familles actuelles, même si un membre est assez près de ses activités quotidiennes pour pouvoir se déplacer sans automobile, ce sont les autres qui sont trop loin.

 

Et si l'autoroute de l'électronique nous apportait la solution. Bien entendu, comme a l'avènement de l'ère industrielle où on rêvait de mettre fin à tous les problèmes sur terre, je suis sûr que l'avènement de l'autoroute électronique nous apportera son lot de problèmes et que le genre humain, sachant tout corrompre — je lui fais confiance — viendra bien pervertir ses merveilleux desseins mais laissez-moi rêver un peu.

 

Je suis professeur à Teccart, et de chez-moi, sur mon écran de 48 pouces, je peux voir chacun des quinze élèves de ma classe à qui j'enseigne le fonctionnement de l'amplificateur opérationnel (op-amp). Chacun peut aussi me voir, m'entendre et voir tous les autres puisque nous sommes tous branchés en réseau interactif. Si je pose une question à un élève, chacun des autres peut voir et entendre aussi l'élève qui répond. Ils peuvent même communiquer discrètement entre élèves. Chacun “down-load” les notes de cours et “up-load” leurs travaux du professeur. Plus de papier ; personne n'a eu à se déplacer d'autant plus que les élèves se sont inscrits aux cours directement de chez eux à partir de leur terminal. Ils ont même réglé leurs frais de cours par Visa avec une castonguette électronique.

 

Toutes mes factures arrivent désormais chez-moi par télécommunication. Pour payer, je peux autoriser les virements de fonds de mon compte de banque. Mon revenu n'est pas stable, mais comme je suis dessinateur, mes employeurs contractuels emploient fréquemment mes services qui sont annoncés dans un annuaire que tous peuvent consulter puisque le centre d'emploi le met à leur disposition. Mes dessins sont livrés par modem et mon salaire est versé directement à mon compte en banque auquel j'ai accès pour payer lorsque je commande les diverses denrées dont j'ai besoin et qui me sont livrées directement chez-moi.

 

Bien sûr, j'ai encore une automobile qui me sert à l'occasion pour le travail ou le loisir si je le désire. Mais pas tous les jours. Et maintenant les routes sont beaucoup moins encombrées. Si j'ai à me déplacer, je me rends et je reviens beaucoup plus rapidement.

 

Certains prétendent que déjà, on était très isolés dans cette société individualiste et que cette ère de télécommunications va aggraver le problème puisque les gens ne sortiront plus de chez eux. À ce que je sache, ça ne va pas leur couper les jambes. Mais plutôt que d'avoir des amis et des connaissances dispersés sur 20 kilomètres, ils pourront s'impliquer davantage dans leur milieu et mieux connaître et profiter des services offerts dans leur quartier. Bien sûr, la personne qui avait tendance à s'isoler va continuer à le faire mais peut-être qu'elle pourra aussi établir de plus nombreux contacts dans la sécurité de son foyer par le biais de toutes sortes de services de rencontres, de jeux, de socialisation, de participation à des débats et j'en passe que vont permettre la téléprésence. Oui, on va même pouvoir baiser à distance et sécuritairement. Ne le fait-on pas couramment en France déjà depuis quelques années par le biais du Téléphone rose.

 

On se rend vite compte que pour peu qu'on laisse notre imagination libre, on peut trouver une application pour quelque besoin que ce soit. Mais maintenant, la part d'utilisation des télécommunications pour les besoins fondamentaux va croître. Je n'aurai plus besoin de me déplacer pour faire mon épicerie. Et du coup, les “télépiceries” qui n'auront plus besoin de grandes surfaces pour étaler leur marchandise ni de caissière ou d'étalagiste me permettront des économies (mot à la mode) appréciables. Les “télépiceries” seront les centres de distribution alimentaire actuels. Il y aura un maillon de moins dans la chaîne de l'entreposage alimentaire et nos aliments seront plus frais.

 

Je ne prétends pas que l'avènement de l'autoroute électronique va faire disparaître l'épicerie, les écoles ou le besoin de se déplacer. Mais ce sera comme les guichets automatiques dans les banques ou le disque vinyle face au disque compact.

 

À la réflexion, la télécommunication est en passe de devenir un besoin fondamental et je ne crois pas que les gens soient dépassés, même s'ils n'y connaissent rien. Pas plus que de ne pas savoir où se trouve le moteur dans une automobile n'a fait que la femme ne puisse pas être un bon conducteur. L'important n'était pas de savoir comment ça marche, mais ce que chaque manette actionne. Et je fais confiance aux ingénieurs qui nous ont maintes fois éblouis par leurs prouesses ergonomiques. Les enfants de l'actuelle génération sont particulièrement adaptés à ce qui s'en vient — Nintendo aura eu sa fonction éducative — et la standardisation de la disposition des boutons sur les appareils fera que grand-maman sera aussi à l'aise avec la programmation du micro-ondes qu'avec la télécommande de son téléviseur.