970925
par François Brooks
Nous vénérons les idoles, c'est plus fort
que nous ; il semble même que l'être humain soit fabriqué pour ça.
Chez les Juifs de l'antiquité, Moïse
avait de la misère avec son peuple qu'il conduisait dans le désert. Il a dû
combattre les idoles et le veau d'or pour imposer Dieu le seul, l'unique. Chez
les Grecs de l'antiquité, c'était pareil. Il y avait bien un Dieu suprême mais
il y avait aussi toutes sortes de petits dieux et déesses subalternes auxquels
il fallait rendre des dévotions. Jésus-Christ est arrivé pour professer la foi
en un seul et unique Dieu.
L'église
Catholique est tombée dans le même panneau avec ses saints, ses statues et ses
icônes. Ce sont les protestants qui ont mis le holà! Pour revenir à la forme la
plus simple de spiritualité où on s'adresse à Dieu seul, directement. Ils ont
su protester contre les idoles qui font écran entre Dieu et les humains.
Aujourd'hui, même si la notion d'esprit
scientifique impose une seule et unique démarche cartésienne, laquelle est
appuyée sur l'idée d'un Dieu unique, parfait et infini, la multiplication et le
foisonnement des idoles n'ont jamais été si forts. La technologie aidant, on
nous fait même miroiter les opportunités d'en devenir une. Qui n'a pas déjà
rêvé ou ne rêve-t-il pas encore de devenir une vedette de cinéma, de la chanson
ou du monde littéraire. La reconnaissance des autres est le miel qui flatte
l'ego et dynamise la vie. Dieu est difficile d'accès dans nos petites vies
mornes et plates de consommation. Il est plus facile d'y accéder à travers une
idole inspirée.
Mais la muse n'est malheureusement pas
toujours au rendez-vous et ça donne parfois, pour ne pas dire souvent, des
idoles plates et insipides. Je me demande pourquoi les fans continuent d'applaudir
même quand le spectacle est mauvais? Par politesse peut être. Je dois aussi
reconnaître que les jeunes ont besoin des idoles pour se fabriquer des
souvenirs et les plus vieux des leurs pour se raccrocher à la jeunesse qui les
habite encore. Pour ma part, j'ai déjà payé ma place. J'estime cette
contribution suffisante. L'effet d'entraînement de la foule ne me fera pas
applaudir à moins que je sois touché par la magie du spectacle ou de l'œuvre.
Ce qui attire mon admiration pour une
idole c'est, avant tout, sa modestie. L'artiste s'efface devant la muse divine
qui le visite et il tâche de ne rester que l'humble accessoire de Dieu et c'est
à lui qu'il s'adresse lorsqu'il s'incline devant le vox populi de nos
applaudissements. Aussi, je ressens très bien son malaise au début d'un
spectacle lorsque l'idole fait un geste pour faire taire les applaudissements
démesurés avant même que la muse se soit manifestée. À sa place, j'aurais
l'impression d'usurper les honneurs dus à la muse. Et que penser des fans qui, n'ayant
rien compris à la magie, s'emparent de la vedette en prolongeant démesurément
les applaudissements. Les artistes ont parfois une patience admirable.
Les cons, et j'en suis trop souvent, vont
dire que l'idole était sublime, merveilleuse et cetera et ils vont lui vouer un
culte en joignant son fan club. Les autres vont rentrer chacun chez soi en
appréciant la sensation de bien-être que procure le spectacle d'un être inspiré
lorsqu'on a la sensation de s'être, pour un moment, rapproché de Dieu. Ils vont
souhaiter que, la prochaine fois, la magie se reproduise et que l'artiste soit
à nouveau inspiré.
S'il y a, dans mon espace
intérieur, un endroit où j'arrive à m'approcher de Dieu, je garderai cet
endroit secret pour ne pas le perdre lorsque, mis à la vue de tous, on pourrait
m'en détourner en m'adressant une admiration qui ne serait due qu'à Dieu. Les
artistes risquent de tomber dans ce piège à tout moment et je crois que ça leur
prend une force très grande pour garder l'humilité de ne pas devenir une idole.
On dit que Jésus-Christ, comme tous les prophètes inspirés, est venu nous
montrer la voie, mais que les gens sont restés les yeux fixés sur le bout de
son doigt. De la même façon, l'artiste inspiré est un index qui pointe vers le
lieu où se trouve une lueur pour éclairer nos vies ; c'est cette lueur qu'il
faut rechercher. Ne pas se laisser séduire par l'outil...