Granville Island, Vancouver, 970706

Désir vide

par François Brooks

Le magasin de jouets était bondé de jouets. Au moins quinze magasins étaient juxtaposés. Ça aurait été le paradis de mes 6 ans. C'est le magasin d'où j'aurais fait une crise si on avait dû m'y arracher sans m'acheter au moins un jouet.

 

L'enfant n'avait rien demandé. Il était tranquille et il souriait doucement. La vue de tous ces jouets avait attisé une telle convoitise qu'il était devenu tout excité. Il aurait voulu les avoir tous, ces jouets. Ce désir, qui assouvi, lui aurait apporté une grande jouissance, allait bientôt se transformer en privation, frustration et manque. Mieux aurait-il valu ne rien lui montrer.

 

La vie de certains consiste à voyager sur les montagnes russes du désir-assouvissement-vide-désir, alors que d'autres, plus bouddhistes limitent leurs désirs pour rester d'humeur plus égale.

 

Lorsque je nous observe, moi et mes contemporains, il est rare que l'on s'adonne à une activité essentielle, assouvissant un besoin fondamental. Manger, dormir, copuler, occupent une place limitée dans notre horaire quotidien. La plupart de nos autres activités sont si dérisoires...

 

Je serais tenté de croire que le maître Zen nous apporte “La” réponse en nous enseignant à combattre nos désirs. Mais que vaut-il mieux? Vaut-il mieux passer une vie à désirer ou passer une vie à combattre ses désirs? L'un n'est-il pas aussi dérisoire que l'autre?

 

J'ai passé une grande partie de ma vie à consommer. Ma maison est remplie de jouets en compagnie desquels je ne vois plus le temps passer. Parfois, tous ces jouets me semblent bien dérisoires et il me semble que j'occuperais ma vie plus profitablement à ne rien faire. J'aurais l'impression de la voir passer un peu plus cette vie qui file à toute allure et dont j'ai l'impression qu'on me vole quelque chose à chaque jour.

 

Mon esprit s'égare souvent à penser au moment où mon horloge biologique me dira “C'est fini!” et je crains, comme pour l'enfant privé de jouets, de faire une crise en disant “Non, pas tout de suite, je n'ai pas fini de jouer ; je veux vivre encore!” Je sais que ce n'est pas une question de temps, mais une question de plénitude. J'ai parfois l'impression que j'aurais mieux à faire que toutes ces activités dérisoires auxquelles je m'adonne souvent. Je cherche un modèle mais je n'en trouve pas. Les modes prennent toute la place.