970324
par François Brooks
Il semble que je ne sois destiné, pour le
reste de ma vie, qu'à travailler. Encore qu'en travaillant pour la Ville de Montréal,
je bénéficierai, pour les 23 années qui me séparent de ma pension de :
4 semaines de vacances pour les 8 prochaines années, = 32
+ 5 semaines de vacances pour 5 autres
années et = 25
+ 6 semaines de vacances pour les 10 dernières années. = 60
Pour un grand total de 117 semaines de
vacances ; soit 2 ans et 3 mois pour toute ma vie adulte. Ensuite, lorsque
je serai vieillard, à ma pension, j'aurai enfin la liberté d'être oisif et de
faire tout ce dont je n'aurai plus la force, l'enthousiasme ni l'intérêt de
faire. Quelle dérision que cette vie partielle qui me reste! Je pourrais
toujours me donner congé de travail tout de suite pour les 27 semaines de
vacances que j'aurai d'ici à ma pension mais comment pourrais-je avoir assez
d'argent pour faire tout ce que je voudrais? Sur quel budget pourrais-je faire
le tour de la planète et lire tous les livres qui m'intéressent? Si je n'avais
pas mon petit patrimoine à devoir d'abord manger avant que l'État ne me fasse
vivre, je serais grandement tenté de vivre sur le Bien-Être Social pour
récupérer le loisir de faire ce que je voudrais de ma vie. Je me sens comme un
esclave qui devra encore travailler 23 ans pour racheter sa liberté.
Peut-être devrais-je sérieusement
réfléchir à réduire considérablement mon train de vie pour racheter du temps de
vie.
Quelle drôle de vie passée à travailler!
Au fait, nous ne sommes pas si différents des abeilles. Et encore que je
bénéficie de conditions privilégiées comparativement à un travailleur sans
autres avantages sociaux que ceux qui lui sont conférés par les Droits des
travailleurs.
Un jeune qui finirait ses études à 25 ans
et qui travaillerait 40 ans jusqu'à sa retraite, avec 2 semaines de vacances
annuelles, n'aurait en tout que 80 semaines à vivre en toute liberté dans toute
sa vie adulte.
Face à ces petits calculs
rapides, il n'est pas étonnant que de jeunes adultes choisissent parfois le
suicide. Ils ont été élevés dans une mentalité de liberté et ils tombent en
esclavage dès qu'ils entrent sur le marché du travail. On dit souvent qu'ils se
suicident parce qu'ils manquent de perspective d'avenir et que le marché de
l'emploi leur est difficile d'accès, sinon bouché. Mais pour moi, même avec un
emploi, la perspective de l'esclavage à vie me porterait à vouloir en finir
avec cette vie de fou à travailler.