960913
par François Brooks
À
mesure que le temps passe, j'accepte de mieux en mieux l'idée que la mort,
c'est le retour au néant, qu'il n'y a rien après la vie, ni paradis ni enfer ni
rien d'autre. C'est même pas l'inconnu, puisqu'il n'y a rien à connaître du
néant. Le néant est ceci, le néant est cela, ça n'est même pas ça puisque le
néant, c'est le non-être ; ça n'est pas.
Une dernière question restait à mon
esprit : c'est la conscience. Je me disais : « mais où va cette conscience,
cette réalité qui fait que j'existe dans mon individualité ; que je suis moi,
et que j'ai le profond sentiment d'exister dans mon corps ; que ce moi existe bel et bien
dans un actuel corps qui n'est pas celui d'un autre être vivant et ne sera
jamais autre que moi et qui n'est pas transmuable : qui ne pourra jamais voir
la vie à partir des yeux de qui que se soit d'autre et ne pourra jamais non
plus actualiser la conscience d'être un autre. Bref, où va cette conscience
après la mort ? »
Je crois que cette conscience n'existe
qu'en fonction de l'existence de ma mémoire. C'est ma mémoire qui me donne la
sensation d'avoir une conscience. Sans mémoire, il me serait impossible de me
voir comme étant un continuum existant. Cette mémoire créé ma propre
individualité puisqu'elle est unique. Cette mémoire s'est constituée peu à peu
au fil du temps qu'aura duré ma vie par l'interprétation des stimuli que mes
sens ont perçus. Cette interprétation, c'est les émotions du cocktail hormonal
auquel est soumis mon corps ; ceci créé des empreintes en moi que j'appelle
mémoire.
La conscience, c'est la sensation de
vivre dans un monde réel, de pouvoir agir sur ce monde, (« L'être vivant est
une mémoire qui agit » Henri Laborit ) de percevoir mes propres actions et de
pouvoir agir de nouveau en feed-back : j'agis, ensuite, je me vois agir, ce qui
me permet de juger de mon action et ensuite d'agir à nouveau en fonction des
résultats de ma première action. Comme s'il y avait toujours deux Moi qui jouent à saute-mouton : J'agis, je
réfléchis sur mon action, j'agis en conséquence, je réfléchis sur les nouveaux
résultats de ma deuxième action, j'agis à nouveau et ainsi de suite. Ce
feed-back est permanent, inconscient et conscient et il se produit sur des
échelles différentes : Feed-back immédiat sur mon action actuelle, feed-back
sur l'ensemble de mes actions de l'heure qui vient de passer, feed-back sur la
journée, la semaine, le mois, l'année ou l'étape de ma vie qui vient de se
terminer. D'où naîtra un feed-forward (ou intention d'avenir) et tout
recommence tant que je serai en vie. Après, ce sera ma dissolution, mon retour
en poussière.
Cette mémoire créé aussi
l'illusion d'éternité. Elle est tellement permanente et persistante qu'on ne
peut pas concevoir que notre existence disparaisse ; et cette mémoire en arrive
même à se projeter dans un avenir au delà même de la dissolution de ce qu'il
lui faut pour exister : notre corps. Notre corps nous donne existence ; sans
lui notre existence sera confinée dans la mémoire de ceux qui nous survivent et
qui nous auront connus. Notre existence va aussi se perpétuer dans les signes
de notre passage à la vie (Ex.: sculptures, écrits, travaux). Mais, ce que nous
expérimentons comme existence, notre conscience, ça, ça va disparaître lorsque
nous mourrons.