960821
par François Brooks
Je m'écris parce que
j'ai besoin de parler à quelqu'un et que je suis seul. Et j'ai peur de passer
pour un fou si je me mets à parler tout seul. (Et dire qu'on est combien de
milliards sur la planète ?)
Je m'écris comme les
fous se parlent tout seul. En me targuant de ne pas être fou, je me parle à
moi-même avec un stylo. Et c'est commode : la mémoire du stylo a un plus long
cours que celle de la parole.
Je m'écris avec la vague
satisfaction que je suis peut-être en train d'écrire à quelqu'un de
compatissant qui, dans un futur quelconque me lira avec empathie et toutes ces
émotions que je voudrais que ressente cet idéal lecteur imaginaire.
Je m'écris comme je me
regarde dans un miroir ; mes phrases étant le visage de ma pensée. Je peux
ainsi observer celle-ci comme si je regardais quelqu'un d'autre. Ainsi je me
dédouble et ça réduit ma solitude.
Je m'écris parce que ça
ne coûte rien. Un thérapeute me coûterait une fortune ; je parle tout le temps.
J'écris parce que j'ai
besoin d'évaluer le modèle du monde que je me suis fabriqué. Ainsi, je peux
l'examiner à loisir et, au besoin, le modifier. Pourquoi ai-je besoin d'un
modèle du monde ? Pour comprendre mon existence. Donner des lignes (schémas) à
mon cortex qui a besoin d'ordre pour soulager son angoisse. Les animaux n'en ont
pas besoin ; ils vivent dans une telle immédiateté.