960815
par François Brooks
La superstition semble être une fonction
naturelle de notre cortex associatif. Tout ce que ce cortex ne connaît pas lui
fait peur et le fascine en même temps. Pour éliminer la peur de l'inconnu, ce
cortex va associer une donnée connue à un stimulus ou un ensemble de stimuli.
Si j'entends un bruit dans le noir, et que je ne reconnais pas ce son, je
ressens de l'angoisse tant que mon cortex n'aura pas associé le bruit à quelque
chose que je connais et qui, par le fait même, me sécurisera. Mais, si je ne
trouve aucune association avec quoi que ce soit que je connaisse, je serai
tenté de faire quand même une association mais celle-ci sera l'objet de (la
foi) ma foi et voila où commence la superstition. Je penserai que ce bruit que
je ne connais pas est bon ou mauvais ; qu'il est produit par un esprit malin ou
bénéfique selon ma foi. J'imagine que Dieu et le Diable ont été deux
accessoires très pratiques pour notre cerveau qui ne peut s'empêcher d'associer
— il est fait pour ça — à une époque où l'humain était très ignorant. Dieu et
le Diable sont les ersatz de la science pour un esprit primitif peu renseigné.
Et ça lui suffit. L'esprit scientifique, la curiosité, la recherche des causes
réelles, tout ça n'est pas indispensable à mon cortex associatif. Ce cortex, pour
se sécuriser, n'a pas besoin de la vérité ; il a besoin seulement de quelque
association qui le satisfasse. En le programmant de telle sorte qu'il croie à
la définition usuelle de Dieu ; i.e. Dieu est « Omni-tout » (tout-puissant, partout, infiniment bon
etc.), ce cortex utilisera Dieu comme fourre-tout associatif commode en cas
d'ignorance sur quoi que ce soit et tout particulièrement sur la mort.
Y a-t-il un sujet plus inconnu que la
mort ? La plupart des gens reconnaissent leur ignorance sur ce qui nous advient
après la mort, puisque dit-on, personne n'est jamais revenu après sa mort pour
nous raconter ce qui se passe dans l'au-delà. J'ai cependant l'impression
d'avoir connu la mort trois fois dans ma vie : lors des trois opérations
chirurgicales que j'ai subies sous anesthésie générale. La première, ce fut à
l'âge de quatre ans. On m'avait endormi à l'éther pour m'enlever les amygdales.
La deuxième fois, j'avais douze ans. Je fus endormi par injection ; c'était
pour me replacer l'annulaire gauche fracturé. La troisième fois, à dix-neuf ans,
je fus encore endormi par injection ; c'était pour m'enlever une fissure
rectale. Chaque fois, je tombais dans le néant et j'en ai gardé le même
souvenir que celui que j'ai d'avant ma naissance : rien, que dalle, l'amnésie
totale. J'ai l'impression que ce sera pareil lorsque je mourrai pour de bon. Ce
qui m'a été difficile à accepter, n'est pas tant de savoir le néant qui
m'attend mais la déprogrammation de l'association qu'on m'avait programmé à
faire de la mort avec le paradis, l'enfer, le purgatoire et tout autre lieu
fabuleux où on m'avait dit que mon âme pouvait aller après la mort de mon
corps.
Mon
âme, je n'en ai rien à foutre. D'abord, je ne sais pas ce que c'est et il ne
s'est jamais trouvé beaucoup de gens pour s'entendre sur sa définition. Chaque
fois qu'on en parle, l'âme est si indéfinie ou indéfinissable qu'il faut
toujours d'abord la définir. Et c'est souvent là d'ailleurs que s'arrête la
conversation puisque souvent, on ne s'entend pas sur sa définition.
Pour
ce qui est de ma conscience, alors là, c'est autre chose. Face à la mort, je
n'ai qu'une seule crainte, c'est la souffrance qui la précède. Après, je
n'aurai plus ce qu'il faut pour sentir, jouir ou souffrir ; alors le néant auquel
j'aurai été rendu s'occupera bien de lui-même. S'il fallait que je prenne du
temps de ma vie pour m'inquiéter de ce qui arrivera après celle-ci, ce serait
vraiment du temps perdu : faire de ma vie qu'elle se préoccupe du néant,
n'est-ce pas absurde ?
J'ai pensé au suicide dernièrement et
deux choses arrêtaient mes pensées. D'abord, en regardant mon corps en santé et
bien musclé dans le miroir, il était évident qu'il pensait à tout sauf à
mourir. Ensuite, la simple pensée du chagrin que je provoquerais à tous ceux
qui m'aiment fait fuir illico mon désir de me suicider. Je comprends d'ailleurs
bien ce qui me fait penser au suicide : c'est mon hypoglycémie et le cocktail
hormonal dans mes veines qui me donnent le goût d'être mort.
Même
si la mort c'est le néant, Dieu reste utile ; ne serait-ce que comme image
positive. Si, dans la mosaïque de notre vie, nous focalisons sur le positif que
Dieu représente, ça suffit à orienter positivement nos actions et Dieu nous dessine une vie meilleure.
J'ai l'impression de démonter le mécanisme de ma pensée
et de pouvoir ainsi l'observer. Je peux alors comprendre comment fonctionne le
cortex que j'ai dans le crâne et voir à quoi il sert : à associer librement les
idées reçues et à en fabriquer de nouvelles. Les routines de vie dans
lesquelles je me suis installé sont une série d'associations qui fonctionnent et que je répète pour provoquer les
mêmes résultats qui m'ont déjà satisfait et qui continuent à me satisfaire.
D'autres associations créent en moi des pensées stupides dont je dois sans
cesse me débarrasser. Elles me proviennent généralement d'images de publicité
et de concepts sociaux actuellement en vogue. Elles sont légion. Quelques
associations m'apportent parfois de nouvelles façons de voir les choses. Celles-ci
me viennent principalement de conversations, de lectures ou de documentaires.
Une pensée en chasse une autre, une image en amène une autre, une idée prend la
place de celle qui la précède. Je suis penséeivore, imagivore. Mon cortex est insatiable. Il faut toujours que je lui trouve
quelque chose à se mettre dans l'œil ou dans l'oreille. C'est pourquoi j'aime
bien l'activité physique, que ce soit courir, travailler ou baiser. Quand mon
cerveau s'occupe à faire bouger mon corps, mon cortex évacue ses vieilles
images et m'en associe d'autres toutes neuves ou il améliore celles déjà
fabriquées. Et ça recommence. Ça m'oblige à aimer vivre. J'en ai besoin ;
souvent tout me semble absurde ; j'ai les hormones paresseuses.