991216
par François Brooks
Hier, notre délégué
syndical, Frantz, était horrifié de découvrir que l'on avait installé une
caméra de surveillance dans notre aire de repos, au travail. Il était d'autant
plus étonné que ceci avait été demandé par un groupe de travailleurs qui, naïvement,
voulaient protéger leur nouvelle machine à café (acquise à même leur fonds pour
6000$). Pour lui qui est né dans un pays où règne la tyrannie, il est bien
placé pour savoir le prix de la liberté. Il ne peut comprendre que l'on
permette qu'il se mette en place les instruments qui permettraient la
répression si les dirigeants actuels venaient à être remplacés par d'autres
moins respectueux de notre vie personnelle.
Il avait toutes les misères du monde à
faire comprendre à ses opposants qu'il n'était pas question de savoir si celui
qui agit a quelque chose à se reprocher ou non, mais qu'il s'agissait de sa
liberté la plus fondamentale : celle de choisir de faire le Bien en toute
liberté. J'ai bien essayé de l'aider à se faire comprendre en expliquant que si
chacun est surveillé dans tous ses faits et gestes, il ne peut jamais savoir
lui-même s'il est honnête puisque la tyrannie l'oblige à bien se tenir. Il
s'agit ici d'authenticité. En effet, si personne ne me surveille et que je fais
quand même le Bien, je peux m'« expérimenter » comme quelqu'un
d'authentiquement honnête puisque je suis dans une situation où, personne ne me
surveillant, je peux tout aussi bien choisir de Mal me conduire. Voilà bien, à
mon sens la réelle honnêteté ; l'autre, celle que l'on constate en me
surveillant, n'est que le résultat d'un œil tyrannique. Ma liberté prend tout
son sens si, en mon âme et conscience, je choisis de faire le Bien alors que je
peux, en toute liberté, choisir de faire le Mal.
Bien entendu, celui qui cherche à
protéger son bien, ne fait pas de différence entre honnêteté factice ou
imposée. Pour lui, le but à atteindre est le même, la fin justifie les moyens.
C'est seulement après une conversation
avec M. Labelle, (contremaître en charge de l'équipement de la surveillance
électronique), que j'ai pu y voir plus clair. En résumé, nous pourrions dire
que la liberté de l'un s'arrête où la propriété privée de l'autre commence.
Bien entendu, dans une société parfaite, il faut donner la possibilité à chacun
de faire des bêtises pour pouvoir affirmer que nous vivons dans une société
libre. C'est d'ailleurs dans ce sens que donne la Charte canadienne des
droits et libertés. Mais, dans un monde réel où il y a des crapules dont on
veut se protéger, il faut accepter un minimum de « tyrannie » si on
veut assurer la sécurité de tous. Nous avons ici deux mondes qui
s'opposent : celui où la liberté totale demande que chacun puisse faire
comme bon lui semble et, à l'opposé, celui où la sécurité totale demande que
tous soient surveillés partout et en tout temps pour s'assurer que chacun fasse
effectivement le Bien.
Plusieurs alternatives sont
possibles :
1-
Acheter
une assurance pour protéger la machine à café. Mais qui va accepter de la payer
cette assurance?
2-
Placer
la machine à café dans le corridor et braquer la caméra de surveillance
uniquement sur celle-ci. Mais est-ce suffisant?
3-
Faire
signer aux autorités un engagement comme quoi on ne pourra jamais se servir du
film vidéo à d'autres fins que celle d'enquête en cas de vol ou de saccage de
la machine à café qu'on veut protéger. Mais qui sait si cet engagement sera
respecté par une autre administration?
Peut-on protéger la
liberté individuelle en même temps que la propriété privée? Comme M. Labelle me
le faisait comprendre, plus la société grossit et plus les biens qu'elle
produit sont nombreux. Il y a une masse critique à partir de laquelle nous
devons accepter de perdre une partie de notre liberté pour acquérir plus de
sécurité. C'est à nous de décider où placer la frontière entre notre sécurité
et notre liberté.