991205
par François Brooks
Toute pensée soutient, dans son énoncé,
une thèse sous-jacente contraire à ce qu'elle affirme. Quand je dis quelque
chose, sans m'en rendre compte, je dis en même temps son contraire, j'affirme
la validité du contraire de ce que je viens de dire. En même temps que le monde
se définit par ce qu'il est, il se définit pareillement par ce qu'il n'est pas.
Par exemple, on peut tout aussi bien
dire : « la liberté, c'est pouvoir faire ce que l'on veut quand on
le veut » que dire « la liberté, c'est faire son devoir ».
Chacune de ces deux propositions sont vraies et fausses en même temps. On peut
contrer l'évidence de la première en disant que « celui qui fait
ce qu'il veut quand il le veut n'est pas libre mais obéit à ses pulsions »
et justifier l'absurdité apparente de la deuxième en affirmant que « la
liberté c'est d'agir dans un geste intentionnel pour arriver au but que l'on
s'est fixé malgré les pulsions qui tentent de nous distraire». Pour
comprendre la notion de liberté, nous devons comprendre celle d'asservissement.
L'une ne va pas sans l'autre ; l'une définit l'autre.
Sans le mal, aucun bien n'est possible,
et ainsi de suite... Lorsque j'énonce une proposition, elle s'annule d'elle-même
puisqu'elle contient en-soi sa thèse inverse. Il n'y a rien à dire. N'y a-t-il
rien à faire?
Alors que tout le monde reconnaît la beauté comme beauté, en
soi, ceci est laideur.
Alors que tout le monde reconnaît ce qui est bon comme bon,
en soi, ceci est mauvais.
En effet, le caché et le manifeste naissent l'un de l'autre.
Le difficile et le facile se complémentent l'un et l'autre.
Le long et le court se montrent l'un l'autre.
Le haut et le bas se définissent l'un par l'autre.
La voix et le son s'harmonisent l'un et l'autre.
L'arrière et l'avant se suivent.
Ainsi, le Sage dirige ses affaires sans s'agiter,
Et répand son enseignement sans parler.
Il ne renie rien de la multitude grouillante.
Il les repousse, mais ne s'en plaint pas.
Il fait son travail, mais n'en fait pas de cas.
Il accomplit sa tâche, mais ne le souligne pas.
Aussi, c'est à cause de sa
discrétion que personne ne peut jamais rien lui ravir.